La réforme du décret de l’Aide à la jeunesse entérine une nouvelle hiérarchie des normes concernant les jeunes ayant commis des faits qualifiés infractions: les juges devraient en priorité favoriser les mesures d’accompagnement dans le milieu de vie. Pour leur faciliter la tâche, l’Aide à la jeunesse fusionne des services existants en des «équipes mobiles d’accompagnement», afin de rendre cette offre plus visible et de la renforcer (un peu).
La fusion des API et des Samio est passée relativement inaperçue. La faute à ces foutus acronymes. Ils produisent un effet répulsif pour le tout-venant et même les spécialistes des secteurs concernés – ici, l’Aide à la jeunesse – manquent d’entrain face aux avalanches d’initiales. Pourtant, le mélange de ces deux dispositifs en un nouveau – les équipes mobiles d’accompagnement (EMA) – est loin d’être anodin pour qui s’intéresse à la délinquance juvénile et au traitement que lui réservent les pouvoirs publics.
En effet, jusqu’au 31 décembre 2018, les juges de la jeunesse, confrontés à des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction, avaient la possibilité de mandater un service d’accompagnement, de mobilisation intensifs et d’observation (Samio) pour les prendre en charge au lieu de les placer en IPPJ. Les Samio étaient conçus comme des alternatives à l’enfermement et comme une action préventive au placement.
Les API, pour services d’accompagnement post-institutionnels des IPPJ, avaient pour but de suivre des jeunes à l’issue de leur placement, afin d’aider à leur réinsertion et d’éviter les récidives. Il s’agissait de services publics intégrés dans les locaux des IPPJ. Mais certains services privés, des SAIE (services d’aide et d’intervention éducative), réalisaient aussi des missions d’accompagnement post-IPPJ, pour une capacité d’environ 50 prises en charge.
Dans la foulée de la réforme du décret de l’Aide à la jeunesse, Rachid Madrane a décidé de faire fusionner ces trois dispositifs en un seul, les EMA, qui dépendent directement de l’administration. «Le but poursuivi est de rationaliser l’offre de services, explique Laetitia de Fays, attachée à l’administration de l’Aide à la jeunesse, car, finalement, ces services proposent des interventions assez similaires.» L’accompagnement de ces services s’adresse en effet à des jeunes «délinquants», qui reçoivent une aide contrainte sur décision d’une autorité mandante. Le suivi a lieu dans le milieu de vie et se fait en interaction avec la famille des jeunes, leur réseau et d’autres acteurs qui gravitent autour du mineur – secteur jeunesse, école, lieux culturels, clubs sportifs. L’objectif poursuivi est de sortir le jeune de la spirale négative l’ayant conduit à commettre des infractions, en travaillant sur les causes.
Quelques mécontents
Certains services privés, qui se voient dépossédés de leur mission d’accompagnement de jeunes délinquants, grincent un peu des dents. Pascal Iacono, directeur du service Émergence, s’étonne que le ministre ait décidé «de supprimer une offre, sans évaluer ce qui était proposé en SAIE. Nous avions développé des méthodologies, une expertise qui étaient appréciées des juges». Il est vrai que certains juges, comme Pierre-André Hallet, par ailleurs président de l’Union francophone des magistrats de la jeunesse, trouvent que la création des EMA est «une mauvaise nouvelle, car la prise en charge proposée par les SAIE était subtile, et utile».
Mais la grogne ne se mue pas en fronde. Il faut dire que les prises en charge perdues par les services privés ont été financièrement compensées, et que la rationalisation du secteur offre aussi davantage de lisibilité quant aux prises en charge proposées. On sait par exemple que les critères d’admission seront désormais identiques entre toutes les structures EMA, ainsi que les durées et modalités de prises en charge, et la répartition géographique des services sera un peu plus équilibrée; deux des sept équipes EMA se trouvent à Bruxelles, là où les besoins sont criants.
Quant aux coordinateurs des EMA, ils estiment que l’harmonisation de l’offre n’équivaut pas à une quelconque forme de standardisation des prises en charge: «Chaque situation est différente, rappelle Johan Dessart, coordinateur de l’EMA Bruxelles 1. Nous adaptons nos interventions et leur intensivité à la situation du jeune, à la spécificité de son cadre familial.» La prise en charge d’un jeune par une EMA est de trois mois renouvelables une seule fois. Elle correspond, en moyenne, à «trois interventions par semaine» auprès du jeune, dont au moins une fois en face-à-face. De nombreux contacts ont lieu avec la famille, acteur clé de la réinsertion.
«L’accompagnement dans le milieu de vie doit être une priorité dans la hiérarchisation des mesures protectionnelles.» Amandine Morlet, de l’administration.
Hiérarchie des normes
Le choix de regrouper les prises en charge «ambulatoires» de jeunes délinquants par un seul service public identifiable – les EMA – correspond à la volonté du ministre de confier intégralement l’accompagnement de ces jeunes à des services publics, alors que le suivi de mineurs en danger se situe davantage dans le giron de services agréés privés ou dépendant d’entités publiques, comme des intercommunales.
Mais ce choix de clarifier l’offre d’accompagnement dans le milieu de vie pour des mineurs délinquants est aussi dicté, selon le cabinet du ministre de l’Aide à la jeunesse, par la récente réforme du décret sectoriel. Le nouveau «code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse» prévoit clairement que l’IPPJ doit être envisagé comme une mesure de dernier ressort. «L’accompagnement dans le milieu de vie doit être une priorité dans la hiérarchisation des mesures protectionnelles», insiste Amandine Morlet, de l’administration. Les EMA deviendraient donc le pendant identifiable et «hors les murs» des IPPJ.
Les EMA touchent des jeunes de plus de 12 ans et ont une capacité de 296 prises en charge; 83 personnes y travaillent. Cette année, 10 autres équivalents temps pleins devraient rejoindre les rangs des EMA. Dans ces équipes, les psychologues jouent un rôle important, car ils endossent la seule mission réellement nouvelle de ces services: l’investigation et l’évaluation. C’est ce que détaille Stéphanie Martin, psychologue en EMA: «Lors d’un premier fait qualifié infraction, un magistrat peut mandater une EMA pour mener, pendant 15 jours, un diagnostic relatif au jeune, dont le psychologue a la charge. Il s’agit d’évaluer les ressources du jeune, dans sa famille, son entourage. Le diagnostic est réalisé grâce à un outil, déjà expérimenté en IPPJ et élaboré par des chercheurs de l’ULg. L’objectif de ce diagnostic est d’éclairer le juge dans sa décision quant aux mesures à prendre, en privilégiant le retour dans le milieu de vie.»
Les EMA pourront donc intervenir à différents stades de l’accompagnement d’un jeune, dès son premier contact avec un juge, jusqu’à l’accompagnement après l’IPPJ. «Il sera possible de travailler avec un jeune que l’on connaît déjà, cela facilitera la relation de confiance», estime Catherine Discepoli, coordinatrice de l’EMA Bruxelles 2.
En savoir plus
En savoir plus? «Le code Madrane est là!», Alter Échos n°458, Cédric Vallet, 24 janvier 2018.