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Petite enfance / Jeunesse

Délinquance juvénile: vaste entreprise de communautarisation

Un rapport jette les bases de ce que pourrait être l’architecture du système de justice pour mineurs délinquants en Communauté française. Tour d’horizon.

© Flickrcc milk

Un gros chantier à venir: la communautarisation de la prise en charge des mineurs délinquants. Un groupe d’experts, convoqué par l’ex-ministre de l’Aide à la jeunesse, a planché pendant deux ans sur ce thème. Tour d’horizon, non exhaustif, de leurs recommandations en compagnie de Pierre Rans, avocat général près la cour d’appel de Bruxelles, qui présida le groupe.

Il leur aura fallu plus de deux ans pour rendre leur copie. Un épais rapport sur la communautarisation de la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction. Le groupe de travail, dirigé par Pierre Rans, avocat général à la cour d’appel de Bruxelles, a compilé les études, croisé les regards d’experts et débattu pendant de longues semaines. On trouvait dans ce groupe des juges, des universitaires, des psychologues et un directeur de service de protection judiciaire, en la personne de Guy De Clercq. «C’était le choix de la ministre, explique Pierre Rans: constituer un groupe d’experts plutôt que de représentants d’associations ou de services.»

Pendant la durée des travaux, bien peu d’éléments ont filtré quant au contenu des discussions. Il n’en fallait pas plus pour que certains qualifient ce groupe de «secret». Mais pour Pierre Rans, point de secret au programme: «La ministre nous avait demandé la discrétion», argue-t-il. Quant au contenu du rapport, il n’est pas figé. Les orientations qu’il propose devront être l’objet de débats avec le secteur puis, bien sûr, avec le politique, qui devra trancher.

À l’origine de ces travaux, l’accord institutionnel du 11 octobre 2011. Il transfère aux communautés la définition des mesures qui peuvent être prises à l’égard des mineurs ayant commis un fait qualifié infraction. Aujourd’hui, ces mesures et autres offres restauratrices, bref, tout ce qui concerne la réponse à la délinquance juvénile, sont compilées dans la loi du 8 avril 1965 sur la protection de la jeunesse. Une loi qui avait été sensiblement réformée en 2006, avec une diversification remarquée du nombre de mesures à la disposition des juges (rappelons que les mesures sont des réponses, éducatives et contraignantes, à un fait qualifié infraction).

Une des questions que posait l’ancienne ministre de l’Aide à la jeunesse, Évelyne Huytebroeck (Ecolo), au groupe de travail était la suivante: les mesures prévues dans la loi de 1965 rencontrent-elles tous les besoins? À partir de cette question, les membres du groupe de Pierre Rans ont passé en revue toutes les dispositions de la loi de 1965 afin de voir ce qui pourrait être changé, supprimé ou amélioré.

La tonalité générale du rapport est que l’arsenal législatif existant est déjà bien fourni. Plutôt que d’y ajouter de nouvelles choses, mieux vaudrait améliorer l’existant. «La diversification n’est pas explorée au maximum», confie Pierre Rans. Il s’agirait donc de corriger les imperfections de la loi ou de son application, déjà bien documentées. Aide à la décision des juges, changement dans le dispositif d’offres restauratrices, changements des règles concernant le placement en IPPJ. Tout y passe. Pour le groupe de travail, les changements proposés devraient figurer dans un décret spécifique aux mineurs ayant commis un fait qualifié infraction.

Aider les juges à mieux décider

Pour que la mécanique judiciaire soit plus fluide, le groupe de travail propose une idée forte: mieux informer les juges. Explications de Pierre Rans: «Il s’agit d’un préalable, de quelque chose de fondamental. Beaucoup de décisions sont prises par les juges dans l’urgence.» Le constat est connu depuis longtemps. Les tables rondes sur la délinquance juvénile, en 2010, ainsi que la recherche de 2011 de l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC) sur les décisions prises par les juges de la jeunesse avaient révélé cet enjeu: pour bien prendre leurs décisions, les juges ont besoin d’une meilleure information sur le jeune, sur sa vie, sur ses difficultés, sur sa famille, sur son passé éventuel dans l’aide à la jeunesse. «Si le juge est mieux outillé, il pourra peut-être mieux envisager des prises en charge alternatives au placement», ajoute Pierre Rans. Afin de réaliser cet objectif, le groupe de travail propose deux pistes. D’abord renforcer le «cadre» des services de protection judiciaire, donc les effectifs. Si ceux-ci sont en théorie les «soutiens naturels» du juge, à travers leurs investigations sociales, cela ne se vérifie pas toujours sur le terrain (59% des décisions sont prises sans avis du SPJ, peut-on lire dans le rapport). Un faible investissement des SPJ qui s’expliquerait d’abord par un manque de moyens, puis par une tendance à traiter en priorité les dossiers de mineurs en danger, au détriment des mineurs ayant commis des faits qualifiés infraction. Par conséquent, le rapport recommande de «fixer des normes visant à clarifier la répartition entre les prises en charge des missions relatives aux mineurs en danger et aux mineurs ayant commis un fait qualifié infraction.»

La deuxième piste proposée par le groupe est de «créer des pools de permanence spécialisés et pluridisciplinaires au sein des SPJ afin d’éclairer le juge». Et de commencer par un projet pilote dans un ou deux arrondissements judiciaires. Des «pools» qui auraient pour mission d’agir vite, «dès la première décision. Leur but serait de donner des indications rapides lorsqu’un jeune serait privé de liberté par exemple», explique Pierre Rans.

Le dessaisissement malgré tout

Bernard De Vos a dû être déçu en lisant le rapport du groupe de travail de Pierre Rans. Car les experts ne se prononcent pas pour mettre fin au «dessaisissement», pratique qu’il combat, aux côtés d’autres acteurs associatifs, depuis plusieurs années.

Rappelons que, dans certains cas, lorsqu’un mineur de 16 ans a déjà fait l’objet de plusieurs mesures ou qu’il a commis un fait particulièrement grave, le juge de la jeunesse peut se «dessaisir» d’une affaire. Le mineur sera alors jugé comme un adulte.

Alors que cette disposition légale est très critiquée, tant en Belgique que dans des instances internationales, beaucoup espéraient que la communautarisation serait l’occasion de placer le mot «dessaisissement» aux oubliettes.

Ce n’est pas l’option choisie par le groupe de travail. Pierre Rans nous explique: «Nous sommes unanimes sur un point: le fonctionnement actuel du dessaisissement n’est pas satisfaisant. Nous proposons qu’il y ait des conditions plus restrictives pour qu’un juge puisse se dessaisir et de revoir les conséquences du dessaisissement. Mais le dessaisissement est une soupape de sécurité qui permet de préserver la philosophie éducative et protectionnelle de notre système actuel». En gros, se passer de dessaisissement ouvrirait les portes aux accusations de «laxisme» et provoquerait un retour de bâton: «Ceux qui suggèrent, en Communauté flamande, de supprimer le dessaisissement, proposent de permettre au juge d’imposer des sanctions, notamment de détention, pour une durée pouvant atteindre dix années.»

Imposer aux services privés des prises en charge

«Les services privés remplissent une mission de service public. Ils doivent accepter des contraintes.» Pierre Rans

Le fait que certains services privés de l’aide à la jeunesse «trient» leur public en fonction de critères obscurs n’est un secret pour personne. Alter Échos le soulignait dans une précédente édition. Les autorités mandantes ont du mal à «caser» certains profils de mineurs en danger au sein des services, et plus particulièrement les mineurs les plus turbulents.

Ce problème est encore plus aigu pour les mineurs ayant commis un fait qualifié infraction. Le rapport est très clair à ce sujet. Certes, les services privés manquent de places. Mais ils semblent aussi «fermer leurs portes aux mineurs ayant commis un fait qualifié infraction», écrivent les auteurs du texte. Certains services mettent en avant leur «liberté pédagogique» pour justifier ces refus. «Une autonomie pédagogique qui peut aboutir à des effets pervers non escomptés», peut-on lire dans ce rapport.

Au vu de cette situation, les juges «s’autocensurent» dans leurs tentatives de confier un jeune à un service privé «étant convaincus d’une absence de possibilités». Conséquence: les placements privés ne représentent que 9% des mesures enregistrées dans l’enquête de l’INCC.

Si les experts demandent d’être attentifs aux moyens des associations actives dans le secteur de l’aide à la jeunesse, ils proposent une solution très claire à ce problème de «tri»: «Imposer aux services privés d’accueillir, de manière plus large, des mineurs FQI (fait qualifié infraction) ou de poursuivre la prise en charge d’un mineur en danger lorsque celui-ci est suspecté d’avoir commis un FQI.»

On peut d’ores et déjà anticiper les débats spectaculaires qu’une telle proposition suscitera. Une position assumée par Pierre Rans: «D’un côté, il faut être attentifs aux difficultés des services privés. Mais d’un autre, ceux-ci ont des responsabilités. Ils remplissent une mission de service public qui a été déléguée à des services privés. Ils doivent donc accepter des contrôles, des contraintes. Mais on ne se focalise pas sur l’aide à la jeunesse, nous évoquons aussi le secteur du handicap, les internats scolaires.»

Offres restauratrices: des changements majeurs

© Flickrcc chrisdrum
© Flickrcc chrisdrum

Les offres restauratrices, la médiation et la concertation restauratrice en groupe sont un des gros morceaux du rapport de Pierre Rans et de ses acolytes. Là aussi, les constats sont connus (cf. Alter Échos n°385). Ces offres, qui supposent évidemment d’impliquer les victimes, sont considérées comme prioritaires dans la loi de 1965. Elles sont vues comme des alternatives aux mesures, plus contraignantes.

On le sait, les offres restauratrices n’ont pas suffisamment «pris». Les juges ont parfois l’impression que ces offres leur échappent, car ils ne sont que peu informés de l’avancement du processus de médiation. Des juges pensent aussi que ce type de réponses n’est pas adéquat pour des actes d’une certaine gravité. Souvent, ils souhaitent donner un «coup d’arrêt» aux jeunes.

Quant à la concertation restauratrice en groupe (CRG), sorte de médiation élargie à la famille, aux proches et intégrant une dimension de réparation sociétale, elle reste la mal-aimée des dispositions de la loi de 1965.

«Nous nous sommes dit qu’il fallait revoir notre conception de la médiation pour lui donner réellement sa chance», affirme Pierre Rans.

La conception des offres restauratrices serait donc revue de fond en comble. Tout d’abord, il ne s’agirait plus d’une «alternative» à une mesure. Cela permettrait, selon les auteurs du rapport, d’éviter que le processus de médiation ne soit biaisé. Car si le jeune adhère à une offre dans le seul but d’éviter quelque chose d’autre (une mesure, en l’occurrence, ou des poursuites), alors la victime peut se sentir instrumentalisée. C’est aussi dans ce but que le groupe de travail recommande de «supprimer la possibilité pour le mineur et ses parents de demander un allégement de la mesure en cours, après l’exécution d’une offre restauratrice»… même si le juge pourra toujours en tenir compte.

On cherche ici à bien séparer, à bien clarifier ce qui est une «offre restauratrice» de ce qui est une «mesure». L’idée est que l’offre restauratrice soit une disposition autonome dont l’intérêt réside bien dans le processus de médiation entre un jeune délinquant et une victime. Et non plus une sorte de mesure déguisée, plus ou moins imposée, suscitant la réticence des victimes, comme elle le serait encore trop souvent.

Dans le même temps, pour pousser à utiliser au maximum ces offres, le rapport suggère que «toutes les parties concernées» soient informées «à tous les stades de la procédure» de la possibilité d’entamer un processus restaurateur. Autre innovation importante, une étude de faisabilité serait réalisée pour aider le juge dans sa décision relative aux offres restauratrices. Quant à ces dernières, elles ne seraient plus déclinées en deux types d’offres: médiation ou concertation restauratrice en groupe (CRG).

Seule la médiation perdurerait. Mais celle-ci pourrait présenter différents contours, «classique» ou «élargie». La médiation élargie remplaçant la CRG. Ainsi, la CRG serait débarrassée de certains de ses défauts, à commencer par la «restauration des dommages subis par la société» qui s’apparentent parfois à des mesures contraignantes, comme la prestation.

Vers moins d’IPPJ?

L’un des objectifs affichés par les auteurs du rapport est de «resserrer les conditions de placement en institution publique de protection de la jeunesse», pour citer Pierre Rans. «L’idée est de centrer le placement en IPPJ sur les infractions les plus graves, comme les agressions contre les personnes. L’IPPJ doit devenir une exception réservée aux jeunes qui mettent en danger les autres.» Pour ce faire, on l’aura compris, il s’agit de bien travailler en amont. En informant bien les juges de la diversité des mesures qui existent, bien sûr. Et en développant les possibilités alternatives de prise en charge… par exemple dans les services privés de l’aide à la jeunesse, afin que ces jeunes évoluent dans un cadre moins contraignant.

Mais cela ne saurait suffire. Le rapport suggère aussi de changer certaines règles relatives aux IPPJ. Tout d’abord, en augmentant l’âge minimum de placement en IPPJ de 12 à 14 ans (sauf dans des cas exceptionnellement graves). Puis en réservant clairement l’accès aux IPPJ aux mineurs qui ont commis des faits très graves (comme des atteintes aux personnes par exemple) ou en établissant une gradation entre les conditions de placement en régime ouvert et fermé.

D’autres dispositions parsèment le rapport. Impossible de tout détailler ici. Elles concernent par exemple les différentes «mesures» existantes, comme le fameux Samio (section d’accompagnement, de mobilisation intensifs et d’observation), l’accompagnement dans le milieu de vie ou la surveillance. Alter Échos reviendra prochainement sur certaines d’entre elles, comme les propositions au sujet des «mesures en cas de troubles psychiatriques» du mineur.

Reste à voir ce que fera Rachid Madrane, le nouveau ministre de l’Aide à la jeunesse, de ce rapport. Impossible de le deviner pour l’instant… tant la déclaration de politique communautaire est floue au sujet de l’aide à la jeunesse.

 

Aller plus loin

Alter Échos n° 378 du 21.03.2014: «Aide à la jeunesse : trier n’est pas jouer»

Alter Échos n° 375 du 31.01.2014: «Offres restauratrices et aide à la jeunesse : la greffe prend mal»

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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