Lassitude, stress et restriction des droits. Le confinement dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile n’a pas été de tout repos pour les résidents. Mais, dans l’ensemble, Fedasil estime que la situation est particulièrement bien restée sous contrôle.
Le contraste est symbolique. D’un côté de la route, la caserne militaire cerclée de fils barbelés met en garde le badaud trop curieux: «Attention, patrouilles avec chien». De l’autre, la façade fleurie du centre d’accueil de Fedasil souhaite la bienvenue aux visiteurs. À quelques mètres de distance, la méfiance côtoie la bienveillance. Un rappel plutôt ironique des conditions de détention auxquelles certains migrants font face durant leur parcours. Pour l’heure, c’est une belle journée qui démarre dans la périphérie de Spa. Carmeline Godfirnon, responsable du centre, nous accueille sur un muret, en robe et en masque. La responsable du centre garde un talkie-walkie en main et une oreille attentive sur ce qu’il émet. «Quand on aime le travail humain, on ne peut qu’être marqué par la situation que l’on vient de vivre, souffle-t-elle. À la base, notre centre est fort tourné vers le monde extérieur. Avec le confinement, l’inquiétude des résidents est venue s’ajouter aux angoisses liées à leur procédure d’accueil et aux périodes de stress intense déjà vécues dans leur vie. La situation a malheureusement renforcé le sentiment de solitude dans lequel se trouvaient certains résidents, même si on a essayé de passer un maximum de temps avec eux.»
Confinés en même temps que le reste du pays, les centres d’accueil pour demandeurs d’asile ont chamboulé leur fonctionnement, de l’horaire des travailleurs jusqu’aux activités du quotidien. Certains centres ont organisé des permanences pour rassurer les résidents et leur permettre de poser des questions, d’autres ont créé des équipes «solidarité» autour des nouveaux besoins comme le renforcement de l’hygiène, l’isolement des personnes à risque, le contrôle du respect de la distanciation physique, etc. «On a réalisé des packs de jeux pour les enfants, explique Carmeline Godfirnon. Les adultes ont participé aux travaux communautaires en s’occupant notamment de la désinfection puis ils ont confectionné pas mal de masques.» Abigail a fait partie de cette équipe de couturiers improvisés. Habillée d’un tee-shirt noir flanqué de paillettes formant le mot «Girl», la jeune femme se montre très reconnaissante envers les autorités pour leur gestion de l’épidémie. «Au début, j’ai fait une petite crise de psychose, se souvient-elle. Je ne comprenais pas ce qui se passait, j’avais peur pour rien… ce n’était pas facile. Avec le temps, je me suis rendu compte que ce n’était pas un jeu et qu’il fallait mettre la main à la pâte pour qu’on vainque ensemble le virus.» Abigail est principalement restée chez elle, dans son bungalow. Passionnée de lecture, de chant et de danse, elle a profité du moment pour mettre certains souvenirs sur papier. Des joies comme des peines. «Sans structure ni objectif, à la volée.»
Procédures en stand-by
Au bout du fil, Benoît Mansy remonte le cours d’une période marquée par les ajustements. «Fedasil s’est constamment adaptée pour que la façon dont les demandeurs d’asile sont accueillis soit conforme aux mesures d’hygiène dictées par les autorités fédérales», note le porte-parole de Fedasil, l’agence qui chapeaute tout le réseau d’accueil du pays. «On a par exemple dressé une liste de toutes les personnes à risque (enceintes, âgées, présentant des troubles, etc.) et elles ont déménagé vers d’autres structures d’accueil individuelles. C’est aussi ce qui nous a permis de garder la situation sous contrôle.» Au-delà de l’aspect sanitaire, c’est toute la question psychologique qu’il a fallu gérer. Toutes les procédures d’asile ont en effet été mises en stand-by, il y a eu très peu d’entrées et de sorties. De quoi donner un sursis supplémentaire à ceux qui avaient reçu un ordre de quitter le territoire, mais surtout d’ajouter du temps au temps pour tous les autres qui attendent des nouvelles depuis parfois des mois.
«Avec le confinement, l’inquiétude des résidents est venue s’ajouter aux angoisses liées à leur procédure d’accueil et aux périodes de stress intense déjà vécues dans leur vie.»
Carmeline Godfirnon, responsable du centre de Spa
«J’ai senti un état dépressif plus important chez les résidents pendant cette période, témoigne Sarah Turine, la responsable du centre de Mouscron. Pas d’activité, pas de formation, pas de travail à l’extérieur… ils ont passé leur temps à attendre, et l’attente crée de l’angoisse et de la tristesse. Nous avons donc eu un rôle important de soutien à jouer.»
Restriction des droits
Abdul porte le maillot de l’équipe de football du Togo. «Je viens du Niger», rigole pourtant ce jeune homme élancé aux cheveux courts. Le confinement ne l’a pas empêché de poursuivre son activité physique: il a couru dans les bois et sur les sentiers voisins du centre de Spa. «Le sport m’a permis de garder le moral… et aussi de conserver ma condition physique.» Très actif, Abdul a aussi suivi une formation de secrétaire-comptable en ligne. Une manière de créer sa propre bulle, lui qui partage un bungalow avec quatre-cinq autres résidents. «J’ai vécu trois mois en cohabitation constante avec des gens qui respectent les mesures barrières et d’autres pas du tout. Les moments d’évasion ont été très importants… comme le moment des courses, par exemple.»
Tous les résidents n’ont malheureusement pas eu cette opportunité. Si Coxyde a fait parler de lui fin mai suite à la décision de la cellule de crise de la cité côtière de garder le centre provisoirement fermé par crainte d’une propagation du virus, d’autres centres ont également dû restreindre les droits des résidents. Interdiction de sortir après 18 h, système de contrôle à l’entrée et à la sortie, remplacement des chèques-repas par des barquettes de nourriture parfois non adaptée… Plusieurs travailleurs se sont émus d’une certaine forme de discrimination principalement imposée par les autorités locales.
«Certaines mesures ont été plus strictes que ce qu’elles n’auraient dû l’être. Plusieurs bourgmestres ont voulu ménager leurs concitoyens et les rassurer sur le fait que le centre respectait bien les mesures de confinement.»
Benoît Mansy, Fedasil
«Certaines mesures ont été plus strictes que ce qu’elles n’auraient dû l’être», reconnaît Benoît Mansy, tout en précisant que cela ne concerne qu’une poignée de centres. «Plusieurs bourgmestres ont voulu ménager leurs concitoyens et les rassurer sur le fait que le centre respectait bien les mesures de confinement. Pourtant, il n’y avait pas de raison de croire que les demandeurs d’asile étaient un groupe particulièrement à risque.» C’est aussi ce que pensait Marc Lejeune, bourgmestre de Beauraing, interpellé par des habitants effrayés de voir des résidents se promener en groupes dans la commune. «J’estime que dès que l’on accueille quelqu’un sur notre territoire, il fait partie de la population et mérite un traitement identique à tous les autres, explique l’élu local. Les résidents viennent d’endroits où ils ont souffert, on a donc fait en sorte de les laisser souffler un maximum.» Par respect pour les consignes données aux Beaurinois, Marc Lejeune a tout de même demandé de limiter les promenades des résidents à quatre ou cinq personnes.
Mesures pérennes
Le centre Fedasil de Mouscron est un des plus importants du pays. Installé dans l’ancien hôpital «Le Refuge», il accueille actuellement un peu plus de 800 résidents. Autant dire qu’avec la fermeture de la cantine pendant le confinement, la gestion des repas a occupé pas mal les esprits. Initialement, pour limiter les déplacements, les résidents recevaient chaque soir un repas chaud ainsi qu’un gros lunch pack pour faire leur déjeuner et une partie du dîner. À midi, ils pouvaient venir chercher un complément pour manger dans leur chambre. «Mais, culturellement, cette notion même de pique-nique n’est pas toujours bien acceptée et certains trouvaient qu’ils n’avaient pas assez. On s’est donc adapté avec le fournisseur pour répondre à leurs inquiétudes», raconte Sarah Turine. La responsable du centre mouscronnois a personnellement dû faire face au virus… tout en restant en contact à distance avec ses collaborateurs. «Une fois qu’on a trouvé notre vitesse de croisière, il y a eu un certain soulagement, puis un contrecoup puisqu’on n’était plus dans le fonctionnement normal du centre, mais, dans un système de contrôle, toute la vie tournait donc au ralenti. Dans ce cas-là, il faut tenir bon et essayer de rester positif tout en adaptant chaque semaine les directives sur le terrain.»
Certaines de ces directives spéciales «corona» vont d’ailleurs se pérenniser. À Mouscron, des petites failles dans le système médical ont ainsi été réglées par l’urgence de la situation. Finies les files à la salle d’attente de l’infirmerie, les résidents s’adressent désormais à un infirmier qui juge s’il s’agit d’une urgence ou s’il convient de prendre rendez-vous. «De par leur parcours, les résidents sont beaucoup plus inquiets par rapport à leur santé qu’un citoyen lambda; il y a donc une pression assez forte sur les services médicaux que ce nouveau système contribue à alléger», se réjouit Sarah Turine.
À l’heure du déconfinement, les centres Fedasil vont vers un assouplissement général dont le timing dépend des autorités sanitaires et communales. «On est bien sûr par principe opposé à tout traitement particulier ou discriminatoire, mais un poste ‘check santé’* à l’entrée du centre est un exemple concret d’un bon compromis entre la gestion que l’on veut de nos centres et celle que les communes souhaitent dans l’intérêt des riverains», reprend Benoît Mansy. Depuis le mois de mai, l’Office des étrangers a par ailleurs remis la machine des procédures en marche et Fedasil s’attend à une hausse des demandes de places d’accueil. «Le coronavirus a réduit la pression sur nos centres et sur le besoin de trouver de nouvelles places, mais on doit désormais anticiper ces arrivées», conclut le porte-parole.
* Le système était encore d’application dans certains centres à la mi-juin.