Dans les caves de Tour & Taxis, aux côtés d’autres asbl bruxelloises, Molembike a installé son atelier vélo. Le credo: renforcer la cohésion sociale par le deux-roues. Atelier de réparation participatif, cours d’initiation au vélo pour toutes et tous, récupération, restauration et don de vélos pour un public précarisé… À travers ses multiples initiatives et grâce au travail d’une belle brochette de bénévoles passionnés du biclou, l’association promeut une culture cycliste accessible, particulièrement adaptée au contexte urbain.
Comme chaque samedi après-midi, un groupe de curieuses «Hirond’elles» s’apprête à pédaler, aujourd’hui guidé par Delphine Metten. «Les Hirond’elles, c’est notre programme de mise en selle, explique l’animatrice vélo chez Molembike. Il s’adresse à tout public, mais surtout aux femmes et aux enfants des quartiers populaires alentour. Les séances s’adaptent aussi bien aux débutantes qu’aux cyclistes intermédiaires. La cotisation annuelle coûte 20 € et permet de s’inscrire librement, sans obligation de suivre un cycle de sessions en continu.»
Une fois les bases acquises, les participantes peuvent s’exercer dans l’enceinte de Tour & Taxis avant de s’aventurer dans la circulation. Lors des ateliers, d’autres aspects liés aux déplacements à vélo sont également abordés: sécurité routière, visibilité, règles de circulation, bases de mécanique vélo… L’association organise aussi des dons de vélos pour toute personne qui n’a pas les moyens de s’en procurer un. Et si le trafic bruxellois freine certaines participantes, l’asbl propose même du coaching individuel.
« Notre objectif est de lever les freins économiques à l’usage du vélo. Les habitants du quartier parviennent souvent à s’en procurer un à bas coût, mais dès qu’une panne survient, le vélo finit abandonné dans un garage, par crainte de réparations coûteuses. »
Lindsay Korevaar, atelier vélo Ça roule
Gilet fluo enfilé, casque vissé sur la tête, chaque participante choisit sa monture dans le vaste entrepôt. Des vélos de ville retapés et rebaptisés du nom de grandes figures féministes: Rosa Parks, Gisèle Halimi… «Le mien, c’est le Bell Hooks», sourit Hadija. L’étudiante et nouvellement cycliste participe aux Hirond’elles depuis novembre. Elle a fait ses premiers tours de pédale accompagnée par Delphine. À terme, la jeune femme souhaiterait se déplacer en Villo, le service de vélos partagés disponibles dans un tas d’endroits stratégiques de la capitale. «Ça serait surtout pour me rendre à l’université, car les transports en commun me mettent parfois en retard, mais pourquoi ne pas intégrer le vélo dans mon quotidien aussi», se projette Hadija.
En selle, et après?
Alors qu’elles avalent le bitume, on se demande si ces Hirond’elles s’approprient également le vélo au-delà du groupe et des cours de mise en selle. Autrement dit, une fois l’apprentissage du vélo acquis, est-ce que ces femmes et ces enfants continuent d’utiliser ce nouveau moyen de transport sur la durée, ou est-ce que le vélo reste un passe-temps du samedi après-midi? «Je pense que oui, le vélo s’ancre progressivement dans leurs habitudes, soutient Delphine Metten. Au début de mon bénévolat chez Molembike, j’en doutais aussi, mais j’observe que de nombreuses participantes poursuivent l’expérience vélo chez elles. Par contre, devenir cycliste du quotidien, c’est une autre histoire. Ça ne se fait pas en quelques séances. C’est un peu comme lorsqu’on veut changer d’alimentation et se tourner vers le végétarisme. Mais leur première motivation à participer aux Hirond’elles n’est pas toujours de faire du vélo leur mode de transport unique.»
En effet, Delphine Metten observe que les raisons qui amènent aux Hirond’elles sont multiples. Certaines femmes souffrent de sédentarité et cherchent à faire du sport, elles arrivent parfois sur conseil de leur médecin. D’autres suivent une initiation, car elles veulent être capables d’accompagner leurs enfants lors de sorties familiales à vélo. D’autres encore viennent simplement pour passer du bon temps en extérieur, tout en socialisant avec d’autres habitantes du quartier. «Il y a aussi le frein genré, ajoute Delphine Metten. Il ne faut pas oublier que beaucoup de femmes n’ont jamais appris à faire du vélo étant petites. Pour elles, la pratique du deux-roues peut aussi être une sorte de revanche sur la vie.»
Ces associations qui pédalent vers l’inclusion
Vélothèques de vélos pour enfants, ateliers de mécanique vélo participatifs en mixité choisie, sorties vélo féministes… Au-delà des cours d’initiation pour femmes et enfants, quelques recherches sur le web suffisent pour comprendre que des initiatives similaires à Molembike fleurissent un peu partout en Belgique. Des associations pour la plupart implantées dans les villes qui visent à démocratiser la pratique du vélo auprès de publics moins initiés.
« Si l’on regarde les Pays-Bas, il a fallu plus de trente ans après les grandes politiques d’aménagement cyclable des années 1970 pour que la culture vélo s’y installe véritablement. Au-delà de la sensibilisation, il est donc essentiel de continuer à défendre des politiques en faveur du vélo. »
Nathalie Heusquin, Ateliers de la rue Voot
Par exemple, à Liège, la Conciergerie sociale gère l’atelier vélo Ça roule. Un atelier de réparation participatif qui propose la vente de vélos et de pièces à prix démocratiques. L’atelier est installé dans le quartier Saint-Léonard et s’adresse en priorité à un public fragilisé. «Notre objectif est de lever les freins économiques à l’usage du vélo, explique la coordinatrice Lindsay Korevaar. Les habitants du quartier parviennent souvent à s’en procurer un à bas coût, mais dès qu’une panne survient, le vélo finit abandonné dans un garage, par crainte de réparations coûteuses. Ici, chacun peut accéder aux outils, à l’atelier et à l’aide d’un technicien, moyennant une petite participation financière, pour l’entretenir ou le réparer. La sensibilisation à la mobilité douce reste un travail de longue haleine, mais la fréquentation de l’atelier ne cesse d’augmenter.»
Dans la commune bruxelloise de Woluwe-Saint-Lambert, les Ateliers de la rue Voot restent confiants quant à la progression du vélo auprès des publics moins habitués à ce mode de transport. Nathalie Heusquin, coordinatrice des activités vélo, reconnaît toutefois que cette démocratisation prendra du temps: «On sent qu’un changement de mentalité s’amorce. Parmi les différents projets que l’on mène autour du vélo, on observe que nos participants reviennent, et de plus en plus d’enfants grandissent avec cette habitude. Mais si l’on regarde les Pays-Bas, il a fallu plus de trente ans après les grandes politiques d’aménagement cyclable des années 1970 pour que la culture vélo s’y installe véritablement. Au-delà de la sensibilisation, il est donc essentiel de continuer à défendre des politiques en faveur du vélo.»
Vélo solidaire
À Bruxelles, une collaboration entre trois asbl (Cyclo, Pro Velo et les Ateliers de la rue Voot) vise à rendre le vélo accessible à tous. L’initiative Vélo solidaire propose un parcours d’apprentissage complet, un vélo reconditionné prêté pendant un an, une formation à son entretien et la possibilité de le racheter en fin de parcours pour 25 €. «Depuis 2021, environ 75% des participants choisissent de racheter leur vélo, note Cécile Van Overstraeten, coordinatrice du projet. Deux publics se distinguent: ceux qui n’ont jamais fait de vélo et suivent une formation complète, et ceux qui savent déjà rouler mais n’ont pas de vélo, à qui l’on propose deux séances de formation à la circulation. Ce dernier groupe utilise davantage le vélo, car ils en maîtrisent déjà l’usage, mais n’avaient pas les moyens de s’en procurer un. C’est souvent le cas des demandeurs d’asile.» Environ 1.400 vélos ont été distribués à Bruxelles, mais, pour certains, l’usage quotidien reste un défi. Les associations constatent néanmoins que, même sans une utilisation régulière, posséder un vélo renforce la confiance en soi et améliore la santé physique et mentale des participants.
La motilité au service de l’inclusivité
Chez Pro Vélo, le concept de motilité est fréquemment employé pour évaluer si un projet de deux-roues correspond réellement aux besoins du public ciblé. Développée par le sociologue suisse Vincent Kaufmann, la motilité désigne l’ensemble des éléments nécessaires à l’appropriation d’une solution de mobilité et repose sur trois dimensions. D’abord, les compétences, ou l’ensemble des savoir-faire indispensables pour se déplacer à vélo (tenir l’équilibre, s’intégrer dans le trafic, entretenir son vélo…). Ensuite, les représentations. «Ce qu’on considère comme envisageable ou désirable, développe John Nieuwenhuys, de Pro Vélo. Par exemple, comprendre les bénéfices écologiques du vélo, ou bien se heurter à l’obstacle que représente la culture de la voiture. L’idéologie du tout-à-la-voiture n’a pas que des implications en matière d’infrastructures qui favorisent toujours largement l’automobile. Elle impacte aussi nos représentations. La voiture continue d’être perçue et promue comme symbole d’émancipation sociale.»
Enfin, dernière dimension de la motilité: l’accessibilité. Elle englobe à la fois la capacité financière à acquérir un vélo, les infrastructures cyclables, mais aussi un frein soulevé par toutes les associations interrogées pour cet article: le stockage. «Pour le public des Hirond’elles, c’est la première barrière à l’obtention d’un vélo, indique Delphine Metten. La plupart des participantes habitent dans des logements sociaux sans local à vélos. Stocker leur deux-roues chez elles est souvent mission impossible. Il faudrait envisager des solutions de garages partagés à l’échelle des quartiers.» Molembike a été contacté à plusieurs reprises par parking.brussels pour envisager des projets pilotes de ce type, sans concrétisation jusqu’à présent.