La lutte contre l’étalement urbain semble incontournable. Mais, pour les citoyens, elle ne va pas de soi. Comment concilier intérêts individuel et collectif? David Miet est architecte et urbaniste bordelais. Depuis 2009, il a piloté le projet de recherche Bimy qui développe l’idée d’une filière courte de production de logements: la division de terrains déjà bâtis, à l’initiative des habitants et en appui aux stratégies de développement territorial des communes. Luc Maréchal, ancien directeur de la DG04, l’administration wallonne de l’aménagement du territoire, a été en 1999 l’auteur du premier Sder, Schéma de développement de l’espace régional. Entretien croisé.
Alter Échos: Comment faire contribuer la population à l’effort de densification, en évitant les oppositions fortes de citoyens qui ne voient pas souvent d’un bon œil ces nouveaux voisins venir occuper le paysage avec des lotissements massifs?
David Miet: Face à l’extension sans fin de l’habitat, on a étudié un nouveau scénario: et si on allait trouver les terrains nécessaires dans les jardins des gens? Quand on regarde ce qui se passe dans certaines communes françaises, on constate qu’on y trouve des lotissements assez anciens, des maisons qui datent des années 70, mal isolées… Les gens qui y vivent ont souvent une petite retraite. Ils sont âgés et y vivent seuls. En fait, ces maisons ne conviennent plus aux gens qui y habitent. Elles ont vieilli avec eux. Si ces propriétaires sont à la tête d’un gros patrimoine (car ces maisons valent cher), ils ont souvent un petit revenu qui leur empêche tous travaux. Pourtant, leur grand terrain pourrait leur permettre de construire une petite maison de plain-pied plus adaptée à leur usage et de vendre leur grande maison à un jeune couple. Bien sûr, ils la vendraient moins cher et la construction d’une petite maison viendrait grever le bénéfice de cette vente. La pression foncière actuelle crée une situation favorable pour échanger un logement adapté et un chèque.
Luc Maréchal: Derrière la densification, il y a une multitude de situations: on augmente le nombre de logements dans un immeuble, on abat un immeuble unifamilial pour construire des appartements, etc. Mais il y a une constante: le terme soulève des craintes chez le public. Quand on considère le Bimby, on reste, selon moi, dans des démarches de propriétaires, liées à des situations de vie qui évoluent pour diviser une parcelle et faire une plus-value financière. Pour rendre l’effort de densification plus attrayant et tenir compte de ces demandes individuelles, il faudrait les inclure dans la rénovation de lotissements (rénovation des voiries, aménagement de l’espace public…). Vu la complexité du problème, on devrait passer par une phase d’expérimentation, avec un cahier des charges très large, tenant compte des problèmes énergétiques, des problèmes de mobilité… Et en disant aux personnes que la Région met à disposition des architectes, des juristes pour coconstruire un nouveau quartier en conciliant la démarche individuelle et collective.
A.É.: Comment sortir de ce cercle vicieux entre l’intérêt public et l’intérêt privé afin de lutter plus efficacement contre l’étalement urbain?
D.M.: Dans le domaine de la ville, on a l’habitude de dire que l’intérêt collectif rejoint rarement l’intérêt personnel. C’est ce qu’exprime l’expression Nimby (Not in my backyard, qui signifie «Pas dans mon arrière-cour»). C’est pourtant une tout autre approche que prône le projet Bimby (Build in my backyard, c’est-à-dire: «Construis dans mon arrière-cour»). Car on optimise et rentabilise l’infrastructure existante, en développant une densification plus douce. Pour la collectivité comme les propriétaires, l’avantage financier est évident. Pour le premier, les voiries et réseaux sont déjà là. Pour le second, le terrain est disponible. On évite de surinvestir dans les infrastructures, à une période où les investissements publics sont plus difficiles. Avec Bimby, on a aussi montré que la rente foncière pouvait être répartie de manière plus équitable. Il y a 19 millions d’habitations individuelles en France. Si l’on pouvait récupérer ne serait-ce que 1% de ces terrains, on aurait l’équivalent de la production annuelle des maisons individuelles.
L.M.: La lutte contre l’étalement urbain demande la mise en place d’une ingénierie technique, juridique, sociale et urbanistique. C’est tout un chantier à mettre en place au niveau wallon. À l’heure actuelle, on pourrait faire rentrer 1% des maisons individuelles dans cette dynamique Bimby, si on extrapole l’estimation faite par David Miet. Cela peut être un pan (mais pas le seul) d’une politique urbanistique en Wallonie pour lutter contre l’étalement urbain, intenable à long terme. Plusieurs bourgmestres se rendent compte que quand on accroît le nombre d’habitants, cela entraîne un coût d’entretien de voiries à gérer, des équipements collectifs à gérer… Il faut une répartition des tâches entre la Région et les communes, en s’engageant sur des solutions concrètes.
A.É.: Plus largement, comment faire pour intégrer au mieux les citoyens aux questions urbanistiques?
D.M.: Le gros problème de l’urbanisme, c’est qu’il n’a jamais fait la ville avec l’habitant! Il a donc fallu revoir cette méthode: cesser de raisonner pour les habitants, mais raisonner avec eux. Dans les communes où le projet Bimby s’est mis en place, on a proposé aux habitants d’être reçus gratuitement pendant une heure par un architecte pour discuter de leurs projets éventuels. L’idée était de voir avec les gens les opportunités qui pourraient s’offrir à eux, dans l’idéal. Durant cette heure, le travail consistait à repérer leur parcelle, à modéliser la maison existante. Cette rencontre permettait surtout aux gens de leur faire prendre conscience qu’ils avaient peut-être les moyens de formuler un autre projet de vie et de le réaliser.
A.É.: Par rapport à d’autres territoires, la Wallonie est-elle en retard dans la mise à contribution des citoyens dans cet effort de densification?
L.M.: En Wallonie, il y a une densification de fait: en ville, il y a une densification du nombre d’habitants dans les immeubles des premiers faubourgs. C’est un phénomène qui touche certaines catégories sociales: étudiants, jeunes couples, couples monoparentaux… Les promoteurs construisent des appartements, souvent pour personnes plus âgées. Il y a aussi les politiques de rénovation ou de revitalisation de la Région, mais les moyens financiers sont nettement insuffisants. Cela dit, depuis 1950, la taille des parcelles pour les maisons individuelles augmente, elle a été multipliée par trois. Le nombre de lotissements augmente encore aujourd’hui dans de nombreuses régions comme dans le Condroz. C’est une tendance liée au type de comportement du Wallon par rapport à l’espace, qui correspond à deux choses: d’abord, le prix du foncier. Puis les conditions de vie. Ce qui m’a frappé, c’est que les gens qui vivent dans le péri-urbain rural recherchent non pas la ruralité en tant que telle, mais le calme avant toute autre chose. C’est une valeur à prendre en compte dans les politiques à mener face à l’étalement urbain. Dès 1999, le Sder adopté par le gouvernement wallon met en avant la densification. Mais on n’a rien fait par la suite. Simplement parce que les obstacles juridiques et culturels sont nombreux. En 2014, on parle toujours de la nécessité de densifier. On reste fortement dans le slogan…