La capitale wallonne a aussi ses exclus. Journaliste indépendant, Benjamin Moriamé publie une sélection d’articles issus de huit années de pratique de terrain :« Les laissés-pour-compte de Namur, la face cachée de la capitale wallonne. » En filigrane, il nous parle aussi d’une certaine pauvreté dans le traitementmédiatique des sujets locaux et sociaux.
A.E. : Des sans-abri chassés du centre, des prisons moyenâgeuses, des homes illégaux… D’après vous, Namur ne serait pas celle que l’oncroit ?
B.M.: Namur est méconnue des non-Namurois qui la voient comme une ville bourgeoise, mais aussi des Namurois eux-mêmes. Namur, ville où il fait bon vivre, Namur et sonécrin de verdure… Il faut arrêter avec ces slogans qui nous vendent la ville comme une carte postale ! Selon une étude du CPAS qui date de 2011, 13 % de lapopulation vit sous le seuil de pauvreté. C’est à peine moins que dans le reste du pays où le seuil de pauvreté est de 15 %.
Namur possède ses laissés-pour-compte au même titre que Liège ou Charleroi. Mais elle ne les assume pas. Pour les sans-abri, par exemple, la ville ne disposaitmême pas d’un abri de nuit répondant aux normes fixées par la Région wallonne. C’était insalubre, il n’y avait pas de douches, pas d’espaceréservé aux femmes. On vient d’inaugurer un nouvel abri, mais ce n’est pas encore la panacée. Il n’y a pas suffisamment de lits. La situation, juste à côtéd’un magasin de nuit, n’est pas idéale. La pression est mise sur les travailleurs sociaux qui devront prester quinze nuits par mois au lieu de dix.
A.E. : Peut-on dire qu’à Namur, la pauvreté est cachée ?
B.M. : Il y a quelques années, des réunions officieuses se sont tenues entre les associations de riverains et de commerçants de la Place d’armes pour se plaindre dessoi-disant nuisances engendrées par les sans-abri. Qu’est-ce qui s’est dit ? On ne le sait pas. Mais on le devine quand, deux ans plus tard, la Ville se dote d’une ordonnance qui interditaux jeunes de boire en rue. En réalité, ce texte est utilisé pour chasser les sans-abri.
Namur est une ville hétéroclite. Il y a des quartiers immigrés, des quartiers vieux, des quartiers riches. Si on ne sort pas de sa voiture ni de son bureau, oui, on peut avoirl’impression que tout va bien. Mais ce n’est pas le cas !
A.E. : Vous avez choisi de mettre en avant la problématique des Gens du voyage en l’illustrant comme photo de couverture. Que peut-on dire de leur situation ?
B.M. : À Namur, comme ailleurs, personne ne veut accueillir les gens du voyage. Quand ils sont tolérés sur un terrain, c’est dans des quartiers de logements sociaux, entre unebarre d’immeubles et une centrale électrique. En Wallonie, la Région met à disposition un fonds pour permettre aux communes d’aménager un terrain. Mais personne nesollicite ces subsides ! Les choses sont toutefois en train de changer puisque Namur va bientôt aménager une aire d’accueil.
A.E. : Dans le fond, le tableau n’est donc pas entièrement sombre ?
B.M. : Non, au contraire, il y a des avancées qui se dessinent dans plusieurs domaines : le nouvel abri de nuit, l’aire d’accueil pour les gens du voyage., etc. Dans ce livre, ily a aussi beaucoup de notes d’espoir. Sur le terrain, on rencontre aussi plein de gens et d’idées pour faire bouger les choses.
A.E. : Ce n’est pas un hasard si ce livre sort à la veille des élections…
B.M. : Il semble utile d’amener les questions sociales au premier plan, au cœur de la campagne, où les intérêts de groupes particuliers ne manqueront pasd’étouffer le nécessaire débat de société.
Mais Namur souffre parfois moins des autorités locales que des réglementations régionales, fédérales, voire, européennes. Que ce soit pourl’état des prisons de Namur et d’Andenne ou pour la question des campings résidentiels, on ne peut pas blâmer le pouvoir local. Il y a un besoin de dialogue entre lespolitiques locales et les politiques régionales et fédérales qui sont parfois déconnectées du terrain.
A.E. : N’est-ce pas aussi le rôle des journalistes que de faire la lumière sur ces problématiques ?
B.M. : Que ce soit les politiques ou les médias, on ne donne pas assez la parole aux principaux intéressés. Quand la ville inaugure un nouvel abri de nuit pour les sans-abri,on interviewe la ministre et le bourgmestre. Jamais les sans-abri !
La presse quotidienne est en déclin. Pour faire des économies, on a sacrifié les rédactions locales. La Libre reprend les articles de la DH, Le Soir les articles de LaMeuse. Comment avoir des infos originales si on se coupe des correspondants locaux ? Il faut lire à ce propos la carte noire de l’AJP sur la main d’œuvre exploitée dans lesmédias. Quand les journalistes ne bénéficient plus des conditions nécessaires pour faire leur travail, c’est la démocratie locale qui est menacée.
Home triste home
Xavier Willot a travaillé avec Benjamin Moriamé sur la problématique des maisons de repos. Cette photo, prise dans un home à Jambes, lui a valu le prixdu journalisme 2011 du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
A.E. : Pouvez-vous nous expliquer dans quelles circonstances ce cliché a-t-il été pris ?
X.W. : Éliane Tillieux avait convoqué une conférence de presse pour inaugurer les nouveaux subsides pour rénover les homes en Wallonie. Le genre de reportage officielque je déteste. Elle a fait son discours, j’ai pris la photo pour l’article. Puis je me suis baladé dans le home pour discuter avec les résidents. Il y avait une petite dame,toute seule, dans sa chambre. Elle n’avait pas décidé d’être là, mais c’était plus simple pour ses enfants. On a parlé du temps qui passe, du temps dehors. Lehome était surchauffé, les vieux se plaignaient. C’était gris, triste. Je n’y mettrais pas un membre de ma famille !
A.E. : Que pensez-vous de la situation des maisons de repos à Namur ?
On manque de places, de personnel, les prix sont démentiels. Les infrastructures sont vieilles. C’est des blocs de béton. Parfois, le chauffage ne fonctionne pas. Sans parler des casde maltraitance, des directeurs licenciés à cause de malversations… La situation est terrible dans les homes illégaux, mais c’est loin d’être idéal dans lesofficiels. Offrir un minimum de confort à des gens qui vont terminer leurs jours là, ce n’est quand-même pas du luxe !
A.E. : Est-ce que le travail de photographe actuellement permet encore de prendre le recul nécessaire pour ce genre de reportage ?
X.W. : En janvier, Le Soir a licencié une dizaine de photographes indépendants à Namur, Luxembourg et Liège. Dans les rédactions locales, ce sontdésormais les
journalistes qui doivent prendre les photos !
Le photojournalisme est en crise. C’est la course à l’image, à celui qui propose le plus de sujets. On n’a plus le temps de parler avec son sujet. Même plus le temps de seprésenter ! Les gens qui vivent dans des situations précaires n’aiment pas trop être vus. Mais quand ils voient que je m’intéresse vraiment à eux, que je ne suis paslà pour me moquer mais pour comprendre, alors ils acceptent d’être photographiés. Mais tout cela prend du temps.
Photo : Xavier Willot