La crise touche-t-elle vraiment le non-marchand et l’associatif ? Les chiffres et les constats du terrain invitent parfois à la prudence.
« C’est la crise, mon bon monsieur. » Depuis 2007, on ne parle plus que de ça. Parfois jusqu’à l’écœurement… et l’interrogation. Qu’entend-on par crise ? Et pour ne s’intéresser qu’au petit monde du non-marchand et de l’associatif, affecte-t-elle réellement ce secteur aux caractéristiques bien particulières ? « Je pense que l’on peut dire que dans les premiers temps de la crise, à partir de 2008, le non-marchand a joué un rôle d’amortisseur », explique Jacques Defourny, professeur ordinaire à la HEC École de gestion (et directeur du Centre d’économie sociale) de l’Université de Liège. Moins exposé à la concurrence que l’économie « classique », le non-marchand aurait ainsi mieux résisté… et permis à certains pans de l’économie de garder la tête hors de l’eau. Ce que viennent d’ailleurs confirmer certains chiffres. D’après l’Institut des comptes nationaux, l’évolution de l’emploi salarié dans les institutions sans but lucratif (associations et fondations) aurait connu une croissance de 3,7 % en 2009-2010, contre 0,7 % seulement dans l’ensemble de l’économie. Avec 446 500 salariés occupés en 2010, la part des ISBL dans l’emploi salarié total de l’économie belge s’élevait à 11,9 %.
Avec des pincettes, les chiffres
Malgré cela, Jacques Defourny note que depuis 2012, « la crise a fini par grever les finances publiques. Et le non-marchand et les associations ont fini par en ressentir les effets. Le secteur peut se maintenir pendant deux ou trois ans en période de crise, mais cinq ans c’est long ». Si l’on sait que d’après le baromètre annuel des associations 2012 de la Fondation Roi Baudouin – mis en place depuis 2010, suite à la crise financière – « les subsides publics représentent en moyenne la moitié des recettes du secteur associatif belge, quelle que soit la communauté linguistique », on ne peut donc que s’inquiéter de la situation. Une situation que les associations elles-mêmes ressentent comme allant en se dégradant, d’après le baromètre. Ainsi 59 % d’entre elles en Communauté française estiment que la situation économique du secteur associatif se dégrade. Contre seulement 37 % penchant pour une stabilisation et… 2 % pour une amélioration.
Pourtant, il convient de prendre ces chiffres avec des pincettes. Dans les pages de ce même baromètre, les associations ont également été interrogées à propos de leur propre situation économique. Et les résultats sont plus contrastés. En Communauté française, « seulement » 29 % des associations pensent que leur situation économique s’est dégradée. 60 % optent pour une stabilisation et 10 % tout de même pour une amélioration. Ce qui pousse les auteurs du baromètre à affirmer que « les associations ont une perception plus négative de la situation du secteur associatif que de leur propre réalité ». Mais surtout, concernant les financements publics, le baromètre indique qu’en général « les dirigeants des associations ont l’impression que la situation financière de leur organisation est restée stable ».
« Les subsides ont été maintenus »
Entre perception et réalité, il semble donc y avoir une différence… que confirment différentes fédérations. Ainsi, à la Fédération des maisons médicales et des collectifs de santé francophones (FMM), on déclare que la crise « n’a pas eu d’impact sur les financements ». « Nous sommes dans le secteur de la santé et tout le monde se décarcasse pour le préserver », explique Isabelle Heymans, secrétaire générale de la Fédération. Même son de cloche du côté de l’Association des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (Ama) où on note que les services déjà subventionnés et agréés « ont été épargnés, les subsides ont été maintenus ».
Autre point important : du côté de ces deux secteurs, les subsides ont été indexés. Un bonus d’importance dont ne peut malheureusement pas se prévaloir Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises (Saw-b, fédération d’économie sociale) qui note que dans le secteur de l’insertion « les subsides n’ont pas diminué, mais stagnent et ne sont pas indexés ». Certaines difficultés sont donc bien réelles. À la FMM, on souligne ainsi « qu’il est plus compliqué de trouver des financements pour de nouvelles initiatives. Il existe de plus un moratoire sur l’agrément des maisons médicales à la Cocof à cause du manque d’argent. Presque dix maisons ont un dossier en ordre mais ne peuvent donc pas être reconnues ». L’Ama explique également que les nouvelles initiatives ont du mal à se faire subventionner. Chez Saw-b, la création moindre de nouvelles structures est soulignée.
Si l’existant ne souffre donc pas trop, la crise semble avoir un effet sur l’émergence de nouvelles choses… et sur certaines aides, tout de même. L’Union des entreprises à profit social (Unipso) fait remarquer à titre d’exemple que les Plans Marshall 1 et 2.vert en Wallonie prévoyaient des octrois de points APE pour le secteur de l’accueil de l’enfance et le secteur des personnes dépendantes. « Avec la crise, les places ont été créées dans le cadre du Plan Marshall 1, mais à durée déterminée, alors que ce sont des postes essentiels. Dans le Plan 2.vert, les places n’ont pas été créées faute de moyens », détaille Frédéric Clerbaux, conseiller juridique. Un problème alors que nombre de structures interrogées pointent un autre effet de la crise : l’augmentation et la précarisation du public à prendre en charge.
Un plan de relance
Face à ces constats, il semble donc difficile d’émettre un avis tranché. Nombre d’intervenants l’admettront d’ailleurs. « Il n’est pas évident d’objectiver l’impact de la crise, ne serait-ce que parce que les données, notamment de l’ONSS, nous arrivent avec un certain retard », explique-t-on à l’Observatoire de l’économie sociale. D’autres sources de difficultés « hors crise » sont d’ailleurs citées : les accords du non-marchand qui peuvent dans certains cas amener à de nouvelles dépenses pour quelques structures. Ou encore certaines conjonctures, voire des choix tout simplement politiques. « À Bruxelles, on dégage des millions pour le dispositif hiver. Et en Wallonie, il y a le plan grand froid, alors que les abris de nuit ne sont pas subventionnés », prend pour exemple Christine Vanhessen, directrice de l’Ama.
À parler de choix politiques, ceux-ci inquiètent parfois Jacques Defourny. Pour lui, il ne faudrait surtout pas qu’en ces temps plus difficiles, on fasse le choix de « s’alléger du non-marchand sous prétexte que ce ne serait pas de l’économie ». Bien au contraire, pour le professeur, le secteur préfigurerait la structure de l’économie nouvelle. Il plaide d’ailleurs pour une relance basée sur le non-marchand et l’économie sociale. « Il existe bon nombre de secteurs d’avenir autour du troisième âge, de l’éducation, du développement durable. Ce sont les vrais besoins de demain, non créés par une agence de marketing », s’enthousiasme-t-il. Malgré la dépendance du secteur aux subsides ? « Il existe toute une série de créneaux où l’on peut créer de l’emploi à financement mixte. Il s’agirait d’aller chercher parmi les usagers de ces secteurs la plus grande disposition à payer et puis couvrir le reste par d’autres financements, notamment du public. À l’heure actuelle, il y a d’ailleurs beaucoup de structures associatives qui vont chercher des financements marchands. Et puis Ryanair à Charleroi ou la sidérurgie à Liège, ce n’est pas du financement mixte ça ? », conclut-il.