À Marsupilama, pas de prêchi-prêcha
par Céline Gautier (1)
À Mons, Marsupilama accueille les mamans de 16 à 20 ans, en semi-autonomie. Ici, pas de prêchi-prêcha. La vie d’un bébé et la gestion d’un foyer, ça s’apprend, jour après jour, en mettant les mains à la pâte.
L’histoire de Marsupilama démarre dans les années 2000 par un chiffre interpellant. Au Tobbogan, un foyer de Mons pour jeunes filles en difficulté, souvent sorties de l’institution publique de protection de la jeunesse (IPPJ) de Saint-Servais, près de 20% des filles tombent enceintes pendant leur placement et 10% l’année qui suit, et ce, malgré un accès facilité à la contraception. Sur 39 de ces adolescentes, seules trois ont choisi d’interrompre leur grossesse. «Elles semblent s’engouffrer dans la maternité», écrit la psychologue Diane Mongin, qui dresse cet état des lieux en 2002. Or, il est impensable pour les équipes d’encadrement de garder des filles enceintes ou des bébés dans un environnement aussi explosif.
Marsupilama est donc créé, en marge du Toboggan, pour accueillir les mères de 16 à 20 ans et leur enfant. Dans une aile séparée du foyer principal, chacune dispose d’un mini-studio donnant sur un même couloir, composé d’une salle de bain, d’un séjour-cuisine et d’une chambre en mezzanine. Un espace commun permet d’échanger, de jouer ou de manger, des pêches au thon par exemple.
Les grossesses adolescentes surviennent plus souvent dans les régions marquées par la précarité et l’isolement social. Est-ce un problème d’information, d’accès à la contraception?
Les naissances chez les moins de 18 ans sont plus de deux fois plus nombreuses en Hainaut (1,2%) que dans le reste de la Belgique (0,5%), indique l’Observatoire de la Santé du Hainaut. De 2009 à 2013, 4,3% des bébés hainuyers ont été mis au monde par des mères âgées de moins de 20 ans, soit deux fois plus qu’au niveau national (2,2%). Alors que, sur l’ensemble de la Belgique, la maternité «tardive» (chez les plus de 40 ans) est beaucoup plus fréquente que la maternité «précoce» (chez les moins de 20 ans), la tendance s’inverse en Hainaut: 633 naissances en moyenne par an chez les moins de 20 ans, contre 448 chez les plus de 40 ans. Le taux d’IVG chez les adolescentes y est également plus élevé que dans les autres provinces.
Les grossesses adolescentes surviennent plus souvent dans les régions marquées par la précarité et l’isolement social. Est-ce un problème d’information, d’accès à la contraception? Fabienne Jeanson, directrice de Marsupilama: «Non, elles savent très bien comment on tombe enceinte. C’est au-delà de ça. Ce n’est pas pour rien qu’elles font un bébé ou qu’elles décident de le garder.» Il y aurait des profils de personnalité plus disposés à une grossesse précoce. «Elles ont souvent comme point commun une absence du père et une mère défaillante, précise Fabienne Jeanson. Ces jeunes filles ont des manques affectifs gigantesques, qu’elles essaient de combler en faisant un bébé.»
Une pensionnaire du Toboggan lui aurait dit un jour: «Pour une gamine comme moi avec un profil délinquant, il y a deux issues: soit je vais en IPPJ, soit je me fais faire un gosse.» Derrière cette envie d’enfant, il y a aussi le rêve de se donner un statut social, de passer du rôle de l’emmerdeuse qui foire ses études à celui de maman. «Le changement de statut est d’ailleurs réel, observe Fabienne Jeanson, puisque la loi leur confère l’autorité sur le bébé, même si leurs parents gardent l’autorité sur elles.»
Simple comme la vie
Le projet de Marsupilama est simple comme la vie: on n’y suit pas de cours à l’éducation, pas d’entraînement ni de longues séances de psy. Les mamans sont responsables de leur enfant et des tâches quotidiennes (repas, lessive, nettoyage, etc.), de manière autonome, mais avec à leurs côtés, en journée, des adultes bienveillants qui peuvent les réconforter, les conseiller ou les orienter. La crèche d’à côté prend en charge les enfants, afin que les jeunes mères puissent reprendre l’école.
Derrière cette envie d’enfant, il y a aussi le rêve de se donner un statut social, de passer du rôle de l’emmerdeuse qui foire ses études à celui de maman.
Fabienne Jeanson: «Ici, elles s’accrochent; elles doivent se lever le matin pour s’occuper du gamin; elles s’entraînent l’une l’autre pour aller à l’école.» Les règles sont strictes: wi-fi coupé à l’heure du repas et après 22 heures, pas de sortie si le kot n’est pas rangé, obligation d’être là à 19 heures – sauf demande spécifique. Mais on tente aussi de préserver ce qui leur reste d’adolescence. «Nous partons du principe que la grossesse n’est pas une maladie. La vie ne s’arrête pas là. Il faut que ces jeunes filles continuent à se construire. Notre projet, c’est de leur permettre de continuer à grandir, d’avoir une vie d’ado, avec l’école et des loisirs, mais de les accompagner pour qu’elles accomplissent au mieux leur rôle parental.»
Nid protecteur
L’hébergement des mères adolescentes joue aussi un rôle indirect: il les protège du placement de leur enfant – une crainte très vive chez ces mamans aux vies cabossées. «Même si elles n’élèvent pas leurs enfants comme on le ferait nous, ce sont en général des mamans assez aimantes, poursuit Fabienne Jeanson. On sent qu’elles ont envie que ça fonctionne.» À Marsupilama, on veille d’ailleurs à ce que la mère soit bien l’interlocutrice – avec le père s’il est présent – pour les questions liées au bébé. L’hébergement sert parfois aussi de coupure avec un milieu familial néfaste ou envahissant, avec par exemple des tentatives d’accaparement du rôle maternel par la grand-mère.
À la naissance de son fils, Keshia (15 ans) ne pouvait pas retourner chez elle – elle n’a pas envie d’expliquer pourquoi. «Je devais rester à l’hôpital, mais on m’a trouvé une place en maison maternelle.» Ces institutions accueillent des femmes en difficulté, avec leurs enfants, notamment dans des cas de violence conjugale ou de grande précarité. «J’étais la plus jeune; j’étais chouchoutée par les éducatrices. Mais avec les autres mamans, ça n’allait pas du tout. Elles se plaignaient parce que je ne respectais pas les règles. À part les chambres, tout est commun: la cuisine, la salle de bain; c’est compliqué.»
Dans les maisons maternelles, on attend des résidentes qu’elles puissent se gérer comme des adultes responsables… Les mères adolescentes, quand elles sont acceptées, n’y trouvent pas toujours leur place. Or, les institutions adaptées à leur âge et à leur situation manquent cruellement: en Hainaut, il y a trois places au Foyer à Marcinelle, trois dans l’unité de maternologie des Marronniers à Tournai et quatre à Marsupilama à Mons.
Effet dissuasif
Conçue pour accueillir les jeunes filles enceintes du Toboggan, l’unité maman-bébé Marsupilama a eu un effet inattendu: elle a fait chuter le taux de natalité dans le foyer adjacent. Les situations de grossesse sont devenues très rares. «Ça en a refroidi plus d’une!, suggère Fabienne Jeanson. Elles se rendent compte de ce que c’est d’avoir un bébé. C’est aussi moins bien perçu qu’avant dans les écoles; les filles enceintes se font malmener, insulter; il y a beaucoup de jugements de valeur.» Malgré cela, les lits sont remplis en permanence. Les jeunes filles viennent d’horizons plus variés, mais portent toutes des manques affectifs criants et des contextes familiaux de plus en plus lourds: «des parents déchus, de grosses problématiques liées à l’alcool, à la drogue, à des problèmes psys». Résultat, si l’effet boule de neige a fondu au Toboggan, la demande pour héberger des jeunes mamans reste élevée: «On en refuse tout le temps.»
Echoline, dessine-moi le bien-naître
par Martine Vandemeulebroucke (2)
À Charleroi, trop de mamans arrivent à la maternité dans une situation précaire tant sur le plan social que sur le plan médical. Echoline est née de ce constat: pour assurer un vrai accompagnement obstétrical autour de la naissance, il faut revenir aux consultations, au contact direct avec la maman et son bébé, cela afin de prévenir la prématurité, mais aussi la maltraitance physique, la négligence, l’absence d’accès aux soins. Echoline est née en 2001, comme une empreinte wallonne d’Aquarelle, cette équipe de sages-femmes au CHU Saint-Pierre à Bruxelles, qui depuis 1999 propose un accompagnement global à la naissance pour les femmes n’ayant pas accès à la sécurité sociale.
L’équipe est un mélange de sages-femmes et de psychologues qui travaillent en binômes dans les consultations à domicile. «On va chercher les femmes là où elles sont, explique Marie Sorel, psychologue. Beaucoup d’entre elles sont envoyées par l’ONE, le service d’aide à la jeunesse (SAJ) et le service de protection judiciaire (SPJ). Il faut alors établir le lien. Certaines femmes accrochent tout de suite parce qu’elles cherchaient ce type d’aide. Pour d’autres, celles qui viennent par ‘obligation’ parce qu’envoyées par le SPJ, cela prendra plus de temps.» Les femmes sont suivies avant et après la naissance. Avant?
«Trop de femmes sont en mauvaise condition physique pendant leur grossesse, constate Florence Gantier, sage-femme. Les rendez-vous chez le gynécologue sont expédiés ou négligés. Elles souffrent de stress, de problèmes respiratoires et d’allergies.» Le tabagisme est très répandu et l’alcoolisme ou la toxicomanie ne sont pas négligeables.
Un bébé, ça fait peur
Le domaine d’intervention est vaste. Echoline a formé des groupes, les «bulles» pour les futurs parents, les «cocons» pour les nouveau-nés, les «chenilles» pour ceux qui commencent à se déplacer, les «papillons» pour les enfants qui prennent leur envol avant l’école maternelle.
«Cela prend beaucoup de temps et d’énergie, cela demande pas mal d’investissement en matériel, mais les résultats dans les relations enfants-parents sont bénéfiques, constate Marie. Dans les groupes, on parle allaitement, on apprend comment manipuler le bébé, comment le changer, comment gérer les pleurs.» «Certaines n’ont jamais vu de bébé et ça leur fait peur», remarque Florence.
L’équipe est un mélange de sages-femmes et de psychologues qui travaillent en binômes dans les consultations à domicile.
Echoline apporte aussi une aide matérielle en puériculture (jouets, landaus…) très appréciée. Et l’ONE? C’est un partenaire essentiel d’Echoline, mais dans les familles les plus précarisées, l’ONE fait peur. Peur du jugement, peur du contrôle social, du placement de l’enfant. De fait, l’équipe est fort sollicitée pour des situations de négligence qui sont définies comme un manque de soins et de réponses aux besoins primaires de l’enfant (sommeil, alimentation, sécurité, éducation). Cela représente un bon tiers des familles suivies.
Quand on demande aux sages-femmes et aux psychologues d’Echoline s’il ne leur arrive pas d’être découragées, les rires fusent. Mais Emilie Querton, psychologue psychomotricienne, reconnaît que «leur travail n’est pas facile» et qu’elles ne «peuvent donner que 10% de ce que les mères ont besoin».
Sentiment d’impuissance
Un sentiment d’impuissance qui s’explique par l’accumulation des problèmes sociaux sur lesquels l’équipe n’a pas ou n’a que peu de prise. Comme le logement. Trop de familles vivent dans des appartements, voire de simples chambres insalubres et inadaptées à la présence d’enfants. Les problèmes se corsent pour celles qui souffrent de troubles mentaux. Il faudrait, dit-on chez Echoline, plus de logements supervisés avec un encadrement assuré par des éducateurs, et des institutions psychiatriques de jour avec une possibilité d’accompagnement des enfants.
Un sentiment d’impuissance qui s’explique par l’accumulation des problèmes sociaux sur lesquels l’équipe n’a pas ou n’a que peu de prise. Comme le logement.
Ce retour précoce ne comporte pas de risque pour la maman et l’enfant s’il est bien encadré. Or ce sont les femmes les plus vulnérables qui ont le plus difficilement accès aux visites des infirmières de l’ONE à domicile. On en revient aux constats de départ, ceux qui ont rendu nécessaire la création d’Echoline et la rendent incontournable aujourd’hui: l’accompagnement à la naissance des familles les plus démunies reste un défi de tous les jours. Et avec lui la lutte contre la reproduction de la pauvreté. «J’essaie d’être une meilleure mère que la mienne», nous expliquait une des mamans suivies par l’association. Quelle meilleure réponse?
La Maison Source. Des gestes et des mots pour accompagner les parentalités fragilisées
par Céline Téret (3)
En province de Luxembourg, La Maison Source accompagne des jeunes parents précarisés et isolés dans les activités avec leurs enfants. Dans deux espaces didactiques, une maison à Barvaux et un appartement à Bastogne, des familles vivent concrètement les gestes du quotidien liés à l’alimentation, à la santé, au développement de l’enfant… Ici, le bien-être est central. Celui des enfants, comme celui des parents. Parce que l’un ne va pas sans l’autre.
Entre les murs de La Maison Source, une équipe de professionnelles de la petite enfance accompagne des jeunes parents issus de milieux précarisés dans les activités du quotidien avec leurs enfants. Chaque année, une soixantaine de familles passent le pas de la porte. Elles atterrissent ici via des services sociaux et de la santé de la région: CPAS, ONE…
95% des parents participant aux activités de La Maison Source sont des femmes. La majorité de ces mamans sont soit célibataires, soit isolées, soit les deux. Certaines sont porteuses de handicaps. «Toute une série de raisons expliquent la participation plus importante des mamans, remarque Marie Spoden, initiatrice et coordinatrice de La Maison Source. Statistiquement, beaucoup de femmes seules vivent avec leurs enfants. Par ailleurs, lorsqu’une femme est enceinte, elle est souvent mise à l’écart des démarches d’emploi et de formation.» Une mise à l’écart qui renforce l’isolement vécu par la plupart de ces mamans. À La Maison Source, elles viennent chercher des conseils concrets pour s’occuper de leur enfant, mais aussi une présence. «Pour nous, c’est important que ces mamans aient envie de venir. Les rares fois où elles sont un peu poussées à venir voir ce que nous pouvons leur proposer, c’est ensuite pour leur laisser le choix. Et souvent, elles poursuivent.»
Espaces didactiques
La Maison Source a démarré en 2013. En 2015, Marie Spoden dépose les valises de son projet à Barvaux, dans une jolie petite villa aux châssis bleus louée par son association fraîchement créée. Quatre ans plus tard, la seconde implantation, à Bastogne, fait son nid dans un appartement, au deuxième étage d’un bâtiment paroissial.
La Maison Source, c’est donc une vraie maison et un vrai appartement, dotés de leurs pièces de vie, à l’image du quotidien des familles. Tout dans ce projet est pensé autour du «faire». Acquérir des compétences, en tant que parent et en tant qu’enfant, passe par les vivre concrètement, par des mises en situation empreintes de la vie de tous les jours. C’est donc au salon que les parents découvrent le jeu avec leurs enfants, dans la cuisine qu’ils leur préparent à manger, dans la salle de bain qu’ils font les soins. Les gestes du quotidien sont apprivoisés dans ces espaces didactiques pour être répétés et testés une fois de retour à la maison. «Ici on pratique en permanence avec le parent des gestes anodins qui vont aider l’enfant à grandir, explique la coordinatrice. On va permettre aux mamans d’expérimenter d’autres façons de faire, des pistes face aux difficultés rencontrées à un moment donné… Les mamans ont l’occasion d’échanger avec des animatrices spécialisées dans l’accueil de la petite enfance. On ne dit pas qu’on a toutes les solutions, mais on propose, on essaie ensemble.»
Chaque année, une soixantaine de familles passent le pas de la porte. Elles atterrissent ici via des services sociaux et de la santé de la région: CPAS, ONE…
Expérimenter avec l’accompagnement d’une animatrice permet aussi aux mamans de passer au-dessus de certaines craintes, d’oser ce qu’elles n’auraient pas osé seules. «Les mamans ont beaucoup d’appréhensions, de peurs, raconte Carmen, animatrice. Faire ensemble, ça leur permet de sentir que c’est possible.»
Le développement de l’enfant, son alimentation, sa santé, mais aussi le jeu, le suivi scolaire, les achats, les déplacements, les loisirs… Toute une série de thématiques peuvent ainsi être abordées à La Maison Source, l’air de rien, en faisant, tout simplement. Rien n’est imposé, tout est suggéré, accompagné. La clé: partir des besoins exprimés par les parents. «Lors de la première rencontre, on explique tout ce qu’on peut faire et on sonde leurs besoins, explique Marie Spoden. On part de ce que les mamans ont envie de faire. Certaines nous diront qu’elles ne parviennent pas à jouer avec leur enfant. D’autres qu’elles se sentent seules et fatiguées. Ou qu’elles souhaitent des conseils en matière d’alimentation.»
Le soutien aux parents s’étend parfois en dehors des murs de La Maison Source. Carmen se souvient de cette maman craignant de se rendre au magasin avec sa fille. Ou d’une autre maman n’osant pas prendre le train. «On les accompagne, on va avec elles, poursuit l’animatrice. Elles se sentent alors en confiance et capables de le faire toutes seules par la suite. Ça les grandit.»
Bien-être de l’enfant et des parents
Lisa était enceinte de sa première fille lorsque le CPAS lui a conseillé de passer à La Maison Source. C’était il y a sept ans. «J’étais toute seule à l’époque. Je suis arrivée ici avec des bagages assez lourds de mon passé. Je ne savais pas comment j’allais atterrir et gérer cela toute seule, émotionnellement, sentimentalement. J’avais besoin de créer des liens avec mon enfant, de trouver les gestes… Je n’étais pas très câline. La Maison Source m’a aidée à mettre les bonnes flèches à mon arc pour avancer.»
À La Maison Source, le développement global de l’enfant est au centre des préoccupations, tout autant que le bien-être des parents. Parce que l’un ne va pas sans l’autre. «On propose des activités entre la maman et l’enfant, pour créer du lien, poursuit Carmen. Mais si on sent que la maman n’est pas bien, on propose de prendre l’enfant à part. Ça permet à la maman de se détendre. Si les mamans vont bien, elles profitent mieux de leur enfant. Les mamans savent aussi qu’elles peuvent tout nous dire. Ici, elles ne seront jamais jugées.»
Évoquant ce que ses passages à La Maison Source ont apporté à ses filles, Lisa se souvient: «Passer du temps ici, une fois par semaine, a permis à Nina, ma grande fille, d’être moins craintive vis-à-vis des autres enfants. Quant à Viviana, elle est contente de sortir de chez nous, de jouer avec d’autres jouets, de sentir d’autres odeurs, de voir d’autres gens… J’ai trouvé ici une oreille attentive, un soutien moral et physique, pour moi et mes enfants.» La maman esquisse un sourire et poursuit: «Rien que pour ça, je referais bien un troisième enfant!»
Aujourd’hui, Lisa est aussi venue à La Maison Source de Barvaux pour faire un tour dans la boutique de seconde main de l’association. Accompagnée par Carmen, elle monte à l’étage et s’engouffre dans un local aux murs couverts de caisses. Là, les deux femmes entament des fouilles, dans l’espoir d’y trouver de quoi remplir la hotte de Saint-Nicolas et le traîneau du Père Noël. «Je suis fan de la seconde main, lance Lisa. J’ai récupéré beaucoup de vêtements de très bonne qualité ici pour mes filles. Financièrement, ça aide, c’est ça que je ne dois pas acheter.»
Le développement de l’enfant, son alimentation, sa santé, mais aussi le jeu, le suivi scolaire, les achats, les déplacements, les loisirs… Toute une série de thématiques peuvent ainsi être abordées à La Maison Source, l’air de rien, en faisant, tout simplement.
Depuis ses débuts, le projet de La Maison Source inclut un service de seconde main «pour répondre à un important besoin de première nécessité», souligne Marie Spoden. Alimentée de dons, la boutique vend à petits prix des vêtements pour enfants, des jeux et jouets, des vêtements de grossesse, du matériel de puériculture… Ces derniers mois, la boutique s’est petit à petit muée en centre de distribution de colis gratuits. Parce que la pandémie de Covid et les règles sanitaires sont passées par là. Mais aussi, parce que «ça faisait plus sens», comme l’explique Marie Spoden: «L’argent restait un frein. Beaucoup de gens doivent compter leurs sous arrivés en milieu de mois. Même si un body n’est vendu qu’à 0,20 €, ça reste beaucoup d’argent pour ces familles. En plus, les familles doivent constamment se justifier par rapport à leurs dépenses. Arrêtons de penser que les gens gèrent mal leur argent! Ils vivent avec trop peu, c’est tout. Alors, si recevoir des colis peut les soulager, c’est tant mieux!»
À 50 kilomètres au sud de la maison barvautoise, dans l’appartement du centre de Bastogne, Céline sort la petite Galina de sa grenouillère hivernale. La jeune maman et sa fille viennent passer l’après-midi ici, auprès d’Isabelle, l’animatrice du lieu. Ces rendez-vous hebdomadaires ont commencé il y a plus de six mois. «C’est l’infirmière de l’ONE qui m’a parlé de La Maison Source, raconte Céline frénétiquement. Généralement, je suis très stressée quand je ne connais pas les gens, mais ici, le contact est directement bien passé. Je venais au départ pour des questions d’alimentation. Mais on me donne aussi d’autres conseils, pour bien tenir la petite, parce qu’il m’arrive d’être un peu brusque, sans m’en rendre compte. J’apprends à aller doucement, à prendre le temps…»
Aux côtés d’Isabelle, Céline joue avec Galina, assise sur le tapis de jeux du salon. Dans la cuisine, elle l’installe sur la chaise haute, puis épluche les légumes pour la potée. À l’approche de l’heure de la sieste, les deux femmes se dirigent vers la chambre. Céline change la petite, l’installe dans le lit et ferme précautionneusement la porte après l’avoir rassurée. «Je suis présente, explique Isabelle. Je donne des conseils si Céline en a besoin. Tout ce qui se passe ici reste ici. Tout ce qu’elle me dit lui appartient. Je ne juge pas. C’est aussi grâce à cette confidentialité qu’une relation de confiance s’installe.»
Les mamans ont toutes une histoire
Autour de la table du salon, entre deux gorgées de café, Céline partage des bribes de son histoire: «Je suis assez stressée depuis que la petite est là. J’avais peur qu’on ne me la prenne. Moi, je n’ai pas eu l’amour de mes parents. J’ai eu celui de mes grands-parents chez qui j’ai été placée.» Céline apprend à avoir confiance en elle, en tant que maman. «À l’ONE et à La Maison Source, on me dit que je suis une bonne maman…, répète-t-elle, comme pour se rassurer. C’est important pour moi d’offrir des cadeaux à Galina, pour son anniversaire…» On la sent contrariée. «Ma mère ne m’offrait pas de cadeaux… J’ai peur de ressembler à ma mère…» Isabelle intervient, rassurante: «Céline, rappelle-toi, tu as fêté l’anniversaire de Galina avec elle vendredi passé!» Céline sourit et acquiesce, puis part vérifier si la petite dort toujours. Isabelle enchaîne: «Les mamans ont toutes une histoire, il y a des fissures, elles ont peur que ça se reproduise. Elles ne veulent pas que leur enfant revive ce qu’elles ont vécu. Alors on essaie de casser ça. On en discute, j’aide à mettre des mots dessus.»
Les parcours de vie cabossés défilent à La Maison Source. «On en entend des choses ici… Elles sont courageuses ces mamans», confie Marie Spoden. La coordinatrice dessine quelques traits communs des vies croisées dans son association: «Les parents sont souvent très jeunes, leur réseau social et familial est très restreint, parfois inexistant. Ils ont peur de se tourner vers l’aide, parce qu’ils ont des antécédents compliqués. Ils ont parfois des parents qui eux-mêmes ont vécu une enfance difficile, ont été placés, ont rencontré des cas d’addictions, de violences… Ce n’est pas le cas de tous les parents. Certains ont simplement vécu des moments d’isolement. Mais dans toutes ces situations, le panel des besoins fondamentaux n’est bien souvent pas rempli. C’est dur. Les langes, l’alimentation saine, les vêtements… ça coûte. Il faut pouvoir anticiper. Cuisiner, se déplacer… Tout est rendu compliqué. Et souvent, ça se reproduit de génération en génération…»
Ces situations difficiles, la coordinatrice les avait déjà rencontrées dans sa précédente vie professionnelle, elle qui a enseigné pendant dix ans dans une école spécialisée. C’est d’ailleurs là qu’a germé son projet: «En tant que prof dans ce type d’enseignement, on se rend vite compte que les enfants ne sont pas tous égaux dès la petite enfance… Ces enfants sont bien souvent orientés dans le spécialisé parce qu’ils ont manqué de réponses à leurs besoins fondamentaux. Quand j’enseignais, je me disais que la vie devait être bien compliquée pour ces enfants et pour leurs parents… Alors, je me suis demandé: plutôt que d’attendre que des services spécifiques soient appelés parce qu’il y a des problèmes, pourquoi ne pas monter un projet adapté à un public isolé et précarisé, avant qu’il ne rencontre des situations compliquées?» Prévenir plutôt que guérir. Travailler sur les causes, pour éviter à la source les négligences et les manques impactant tant le développement de l’enfant que le bien-être des parents. C’est sur ce terreau que le projet de La Maison Source a pris forme et continue à se développer aujourd’hui.
(1) article paru en avril 2018
(2) article paru en novembre 2015
(3) article paru en janvier 2021