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Environnement/territoire

Des enfants dans le vent

Aujourd’hui, plus de neuf éoliennes wallonnes sur dix sont la propriété de multinationales. Mais un nouveau type d’investisseurs se réapproprient ces moyens de production: des enfants.

Actionnaires des coopératives éoliennes, les enfants sont dans le vent. (c) Allons-en vent

Aujourd’hui, plus de neuf éoliennes wallonnes sur dix sont la propriété de multinationales. Mais un nouveau type d’investisseurs se réapproprient ces moyens de production: des enfants.

Article publié dans Alter Echos, n°429-430, 3 octobre 2016.

Depuis 11 ans maintenant, une éolienne citoyenne trône aux abords du petit village de Finnevaux, dans la commune de Houyet (sud de la province de Namur). Dans ce petit coin de nature battu par les vents, les turbines à hélice ne sont pas seulement les bras d’un dieu, Éole, qui soupire selon les saisons. Ce sont des armes de résistance: en produisant 1605 MWh/an, elles fournissent 320 ménages en électricité verte. Au nez et à la barbe de la centrale nucléaire de Chooz (France) toute proche.

Portée dès le début par 500 membres de la coopérative «Allons en Vent», l’éolienne appartient exclusivement à des enfants, les «citoyens de demain». Son principe est simple: des parents ou des grands-parents peuvent acheter des parts d’un montant de 100 € pour leurs enfants. Ces parts sont ensuite rémunérées grâce aux bénéfices de la coopérative, selon la décision de l’assemblée générale.  Le projet a séduit le ministre de l’époque et franchi rapidement les étapes administratives.

Depuis, l’éolienne ronronne au vent.  Elle compte aujourd’hui  950 coopérateurs, dont 75% sont encore des enfants. Trois d’entre eux ont rejoint le conseil d’administration afin d’assurer la gestion de cette coopérative citoyenne hors normes. Et aucun des coopérateurs de départ ne regrette son premier investissement. Car en plus de profiter à l’environnement, l’éolienne des enfants a fait ses preuves de viabilité financière: chacun des coopérateurs touchant un dividende de 6% par an.

L’éolien citoyen, une alternative au carnet d’épargne à taux zéro? «Non, parce qu’au-delà du chiffre, il s’agit d’un vrai projet de sensibilisation, insiste Lionel Van Rillaer, président du Conseil d’Administration d’Allons en Vent. Un projet, d’ailleurs, qui n’a rien d’individualiste, car il permet notamment de soutenir avec une partie des bénéfices des projets d’éducation à l’environnement ou des ONG.» En Wallonie, dans les écoles, et même au-delà des frontières du pays: la coopérative a ainsi financé un toit photovoltaïque pour un atelier polyvalent au Congo, des séchoirs solaires au Sénégal, un festival culturel, l’achat de matériel pour la construction de ruches urbaines ou encore pour des bacs de maraîchage sur les toits d’Anderlecht.

Péril sur les éoliennes citoyennes?

Seulement, si l’idée a fonctionné durant des années, elle pourrait bientôt connaître un coup d’arrêt. En cause: une taxe communale votée par le conseil houyetois en 2015. «La commune de Houyet (coalition PS-CDH) persiste en effet à vouloir appliquer à la petite éolienne citoyenne la même taxe qu’aux éoliennes de grande taille. Ce qui s’élève à 12.500 euros», explique Lionel Van Rillaer. En réalité, le bourgmestre se retranche derrière les dispositions d’une circulaire ministérielle. Une simple proposition qui, légalement, n’a pas valeur d’obligation. Et Lionel Van Rillaer d’insister: «Continuer d’appliquer cette taxation est totalement contre-productif et, à y regarder de plus près, anti-citoyen!» Cette polémique est montée jusque sur les bancs du parlement wallon. Le ministre Furlan (PS) s’était contenté d’envoyer une recommandation au collège de Houyet, lui demandant de réduire les taxes appliquées aux éoliennes citoyennes de faible puissance. Une mesure insuffisante, selon la coopérative, d’autant que le collège n’y a pas donné suite. Résultat: «Allons en Vent» a décidé de plaider sa cause devant les tribunaux.

À l’autre bout du pays, dans la commune de Butgenbach (province de Liège), une autre coopérative – Courant d’Air –, également ouverte aux enfants a, quant à elle, trouvé un compromis.

«Nous avons un accord avec la commune pour compenser cette taxe: on remplace l’éclairage vétuste des écoles par des LED, on réalise des audits énergétiques et on les coache au management énergétique», confie Mario Heukemes, une des chevilles ouvrières du projet. L’objectif: générer une économie d’énergie au sein de la commune qui se traduit autant dans les frais qu’en termes de réduction de CO2.

«La commune de Houyet (coalition PS-CDH) persiste en effet à vouloir appliquer à la petite éolienne citoyenne la même taxe qu’aux éoliennes de grande taille. Ce qui s’élève à 12.500 euros.» Lionel Van Rillaer, «Allons en Vent»

Une démarche pro bono qui traduit un véritable instinct de survie. Car si l’éolien participatif connaît un succès de plus en plus marqué, il subit aussi de plein fouet des vents contraires autrement plus intéressés. Vu le succès de l’épargne citoyenne, les industriels aussi – Electrabel, EDF-Luminus et Lampiris entre autres – se sont mis à développer des coopératives éoliennes financières. «De nos jours, plus aucun projet éolien ne se fait sans que la notion de retour financier à la communauté locale ne soit ouvertement discutée, explique Mario Heukemes. La participation citoyenne est d’ailleurs inscrite dans le cadre de référence de l’éolien wallon.» Seulement, via ces coopératives dites «de façade», les habitants ne deviennent pas propriétaires d’un morceau d’éolienne mais restent de simples investisseurs. «La concurrence, pour nous, vient du fait que les grands groupes multinationaux font du citizen washing en prétendant assurer la participation citoyenne via leurs propres coopératives. Or elles ne sont pas du tout indépendantes et ne permettent aux riverains de participer que dans un rayon de 2 à 3 km, explique Mario Heukemes. La participation ne représente, du coup, qu’un cinquantième d’éolienne. Et de frapper du poing: il s’agit d’un produit purement financier dénué de véritable implication citoyenne.»

David contre Goliath

En Wallonie, le secteur privé possède 91,3% de l’électricité produite par la force du vent. Par contraste, les citoyens qui participent aussi à la production d’électricité, majoritairement sous forme de coopératives, ne possèdent qu’un total de 47,6 MW, soit 3% du total. «Ce qui nous motive, c’est de reprendre la main sur la production électrique et d’être indépendants», insiste Lionel Van Rillaer d’«Allons en Vent». C’est ainsi qu’en Wallonie, 12 coopératives citoyennes agréées CNC (Conseil national de la coopération) par le ministère de l’Économie se sont fédérées au sein de l’association REScoop. Ensemble, elles comptent plus de 5.000 citoyens souscripteurs répartis dans le sud du pays, réunissant un capital de plus de 7 millions d’euros et détenant 8 éoliennes citoyennes en activité. Soit 12,2 mégawatts (MW) installés. En 2014, elles ont produit plus de 23.000 MWh d’électricité. De quoi alimenter environ 7.000 ménages. Produire de l’énergie est une chose, avoir le droit de fournir de l’électricité en est une autre. C’est donc par l’intermédiaire de la coopérative Cociter, qui détient la licence adéquate, que de l’électricité garantie 100% verte et citoyenne est fournie aux membres de REScoop, via le premier «comptoir belge d’énergie citoyenne».

 

Rafal Naczyk

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