À la suite d’une série d’articles sur les filières frauduleuses de travail des Polonais en Belgique, cinq inspecteurs ont écrit à la rédaction duStandaard pour dénoncer les carences des services de l’Inspection sociale. Selon eux, lors de la plupart des contrôles, les Polonais en situation irrégulière sont« laissés tranquilles », les contrôleurs ne sachant plus que faire. Ils affirment que la plupart des procès-verbaux sont classés sans suite par les auditeurs dutravail. Les seules sanctions possibles sont alors des amendes administratives aux montants ridiculement bas, et réclamées des années plus tard.
L’inspection des lois sociales, qui dépend du SPF Emploi, emploie 440 personnes et dispose d’un budget total de 20 millions d’euros pour contrôler les employeurs en matière desalaires et de respect de la réglementation sur le temps de travail. C’est l’un des quatre services d’inspection fédéraux chargés de lutter contre la fraude sociale (lecontrôle du paiement des cotisations sociales dépend de l’ONSS, par exemple). Depuis 2006, les contrôles des quatre services d’inspection sont coordonnés par le Service derenseignement et de recherche en matière sociale ou Siod, pour plus d’efficacité. Mais les cinq inspecteurs qui ont écrit au Standaard estiment que leur hiérarchieest totalement inconsciente des réalités du terrain.
Alors que le discours ambiant suggère une situation pratiquement sous contrôle, les cinq dressent un tableau accablant. Ils affirment que les contrôles concernant les Polonais(le dossier du quotidien flamand portait exclusivement sur eux) sont pratiquement inexistants. Employer un Polonais inscrit régulièrement revient à environ 30 euros de l’heure.Un travailleur au noir ne coûte, lui, que 6 à 7 euros. Mais beaucoup de Polonais sont également mis au travail via des constructions juridiques, pour un coût horaired’environ 15 euros de l’heure, et il est pratiquement impossible de démanteler ce système dans le cadre de la réglementation actuelle.
Le service d’études du SPF Emploi peut en principe imposer une amende administrative. Mais, même dans les cas les plus simples, les dossiers n’aboutissent qu’après quelquesmois, voire des années, un laps de temps largement suffisant pour permettre aux entreprises douteuses de disparaître. Les amendes sont trop basses, souvent de l’ordre de 2 000 euros,dont 80 % avec sursis. L’entrepreneur frauduleux s’en tire alors avec 400 euros d’amende, après avoir engrangé des milliers d’euros de profit. Quant à la régularisation dupaiement des cotisations sociales, elle n’aboutirait pratiquement jamais.
Le commanditaire solidaire
Une étude de l’Université d’Anvers fait grosso modo le même constat. Pour le chercheur Jan Buelens, dans son approche de la problématique de la fraude sociale, legouvernement s’est avant tout montré obnubilé par la recherche de recettes élevées. Les services d’inspection font du chiffre, alors que la lutte contre les constructionsfrauduleuses nécessite beaucoup de temps et de personnel sans pouvoir générer d’importantes recettes immédiates. Chaque fois que des travailleurs étrangers sontinterrogés, cela génère d’importants frais d’interprétariat par exemple. Et les inspecteurs ne savent jamais à l’avance s’ils vont tomber sur des Brésiliens,des Polonais ou des Bulgares… L’étude anversoise pointe le manque d’effectifs, de coordination et de ligne politique définie. Pour l’étude comme pour les cinq inspecteurs, leprincipal remède à cette situation serait la responsabilisation solidaire des maîtres d’ouvrage, déjà promise à plusieurs reprises par le législateur.Celui qui commande un travail est en effet supposé en connaître le prix normal. S’il se voit proposer un prix très en dessous du marché, il en est dès lorscertainement conscient et s’il accepte de traiter à ces conditions, c’est qu’il choisit délibérément de fermer les yeux. La responsabilité solidaire implique que lemaître d’ouvrage doive payer lui-même les cotisations qui ont été éludées. Autre sanction sévère possible : le retrait du numérod’enregistrement de l’entrepreneur frauduleux. Cette possibilité est déjà utilisée par les commissions ad hoc dans certaines provinces flamandes, mais dansd’autres, pratiquement jamais.
D’après De Morgen et De Standaard