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Petite enfance / Jeunesse

Des jeunes 100 % garantis ?

La Belgique vient de remettre à la Commission européenne son plan concernant la Youth guarantee. Une mesure qui renverse le paradigme de l’activation. Le plat pays a-t-il fait preuve d’imagination ?

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La Belgique vient de remettre à la Commission européenne son plan concernant la Youth guarantee. Une mesure qui renverse le paradigme de l’activation. Le plat pays a-t-il fait preuve d’imagination?

Que va-t-on faire de la Youth guarantee ? Cette question a probablement dû tarauder nos décideurs politiques nationaux, régionaux et communautaires lors du lancement de ce projet par l’Union européenne (voir encadré « Youth guarantee »). Car mine de rien, la Garantie jeune comme on l’appelle en français leur met une sacrée pression. Jugez plutôt : il s’agit notamment de faire en sorte que les États membres proposent à tout jeune de moins de 25 ans un emploi de qualité, une formation continue, un apprentissage ou un stage dans les quatre mois suivant la perte de son emploi ou sa sortie de l’enseignement formel. Un changement de paradigme qui renverse une certaine logique de l’activation des chômeurs telle qu’elle est mise en place dans certains pays, dont le nôtre.

En gros, ce n’est plus aux sans-emploi d’être « actifs », mais bien aux États membres. « La Youth guarantee remet la pression sur les pouvoirs publics », se félicite Philippe Van Muylder, secrétaire général de la FGTB Bruxelles. Le syndicat bruxellois a d’ailleurs fait le choix – qualifié de « risqué » – d’accueillir positivement le projet. « L’aspect ‘garantie’ est intéressant car les pouvoirs publics se mettent dans l’obligation d’offrir aux jeunes un emploi ou une formation convenables. Ce qui veut dire dans notre esprit qu’un jeune qui ne se sera pas vu proposer ce type d’offre ne pourra pas être sanctionné », continue le syndicaliste. Avant de prévenir : si d’aventure la mise en place de la Garantie jeune par la Région bruxelloise devait se transformer en activation « à l’ancienne », « nous reviendrions à nos positions vis-à-vis de l’activation que d’aucuns qualifient parfois d’idéologiques ».

« La Youth guarantee remet la pression sur les pouvoirs publics » Philippe Van Muylder, secrétaire général de la FGTB Bruxelles.

L’imagination au pouvoir ?

Parfois prompts à se servir de l’Union européenne comme d’une tête de turc bien pratique lorsqu’il s’agit de lui faire porter le chapeau de décisions impopulaires, voilà que les gouvernements nationaux et régionaux doivent faire preuve d’imagination. Est-ce le cas en Belgique ? Pour rappel, chaque État membre désireux de bénéficier du financement européen lié à la Youth guarantee est censé remettre un plan à la Commission européenne expliquant ce qu’il compte mettre en place. Ce que la Belgique a fait le 23 décembre 2013. Le document reprenait l’ensemble des plans régionaux, mais n’a pas encore été rendu public. Il est pour l’heure en phase d’évaluation. La Commission européenne affirme qu’elle fera « part des résultats aux autorités de chaque pays dans les semaines qui viennent ».

Malgré cela, le contenu des plans régionaux est connu dans les grandes lignes (voir encadrés). Et à vue de nez, ce sont les opérateurs « traditionnels » (Actiris, Bruxelles Formation, Forem…) qui seront impliqués. Exit l’imagination ? Pour les jeunes FGTB, le constat est clair : « Les Régions ont vu la Youth guarantee comme une manne. Les opérateurs n’ont pas été chercher plus loin que ce qu’ils font déjà », déplore Angela Sciacchitano, coordinatrice wallonne des jeunes FGTB. À la CSC jeunes, on regrette que l’attention ne se soit portée que « sur l’outil existant ». Enfin, du côté du Conseil de la jeunesse, on constate « qu’il n’y a pas de choses très nouvelles. À Bruxelles, le service youth guarantee (NDLR d’Actiris) s’appuie sur les stages de transition du Fédéral, déjà existants, en essayant d’en proposer plus ». Un point qui fait réagir Angela Sciacchitano. « Il y a les stages mais pour ce qui est d’offrir de l’emploi, je me demande comment les gouvernements vont faire. »

Notons toutefois que le laps de temps donné par la Commission européenne aux États membres pour remettre leur plan national était assez court. Ce qui peut expliquer les options prises.

Un manque de concertation ?

Autre grief à l’égard des cabinets : un manque relatif de concertation. Dans sa « Recommandation sur l’établissement d’une garantie pour la jeunesse » (voir encadré « Youth guarantee »), le Conseil de l’Union européenne recommandait notamment que les partenaires sociaux participent activement à la conception et la mise en œuvre de la Garantie jeune. Quant aux organisations de jeunesse, il fallait également veiller à leur consultation ou leur participation.

Pour le cabinet de Céline Fremault, ministre de l’Emploi de la Région de Bruxelles-Capitale (cdH) les partenaires sociaux ont été concertés via les comités de gestion d’Actiris et de Bruxelles Formation, dont ils font partie. En Wallonie, le cabinet du ministre de l’Emploi et de la Formation André Antoine (cdH) effectue la même remarque pour le Forem. Mais du côté des syndicats « jeunes », on fait remarquer que les cabinets auraient pu en faire plus. « Tout cela a été fait rapidement et sans beaucoup de transparence vis-à-vis des comités de gestion », déplore Angela Sciacchitano. À la FGTB Bruxelles, Philip Van Muylder se veut plus positif. « Nous avons été correctement consultés par le biais des comités de gestion, mais aussi du Conseil économique et social de la Région de Bruxelles-Capitale. »

En ce qui concerne les organisations de jeunesse, on fait remarquer au Conseil de la jeunesse catholique (CJC) et chez Projeunes (Fédération des jeunes socialistes et progressistes) que les deux structures n’ont pas été consultées. Ce que justifie notamment Philippe Mattart, chef de cabinet d’André Antoine : « Nous sommes ici sur des mesures concernant l’emploi, s’il faut passer par les organisations de jeunesse… » Du côté de Rachid Madrane (PS), ministre Cocof de la Formation, on précise toutefois que « les organisations de jeunesse sont elles aussi consultées, notamment au travers du comité d’accompagnement organisé par le ministre depuis deux ans et qui rassemble les services d’information jeunesse, la coordination du dispositif d’accrochage scolaire régional, l’administration de la Cocof, le Service Formation PME, les travailleurs de terrain d’Actiris et de Bruxelles Formation… » Un comité d’accompagnement qui est toutefois informel et dont ne font pas partie le CJC et Projeunes.

Youth Guarantee

Le 22 avril 2013, le Conseil (NDLR des ministres) de l’Union européenne adoptait une « recommandation sur l’établissement d’une garantie pour la jeunesse » – entérinée par le Conseil européen fin juin 2013. Elle se basait sur une proposition faite par la Commission européenne en décembre 2012.

La Youth guarantee s’appuie sur un financement « à trois têtes » :

  • des fonds provenant de l’initiative pour l’emploi des jeunes (Youth employment initiative). Cette initiative concentre son aide sur les régions enregistrant un taux de chômage des jeunes supérieur à 25 % et sur les jeunes NEET (not in employment, education or training). La dotation de l’initiative s’élève à trois milliards d’euros. D’après le cabinet de Laszlo Andor, commissaire européen pour l’Emploi, cette somme pourrait en théorie servir à d’autres choses que la Youth guarantee, mais elle devrait néanmoins être utilisée quasi intégralement pour cette dernière. La Belgique a obtenu 39,64 millions à répartir sur 2014 et 2015.
  • une contribution au moins égale proviendra des allocations nationales du Fonds social européen (FSE). Il s’agira donc également de 39,64 millions d’euros.
  • d’après les règles du FSE, le financement nécessite un cofinancement des financeurs publics nationaux (États, conseils régionaux…). Dans le cadre de la Youth guarantee, le financement en provenance des Régions et Communautés en Belgique s’élèvera donc aussi à 39,64 millions d’euros.

Ce qui donne au total un peu moins de 120 millions d’euros pour notre pays. Environ 39 millions d’euros iront à Bruxelles. Le reste sera destiné aux Provinces de Liège et du Hainaut.

À Bruxelles

Le plan d’action pour la Garantie jeune a été avalisé par le gouvernement bruxellois le 19 décembre 2013. Il devrait comprendre 3 000 formations, 2 000 stages et 1 000 emplois :

– du côté d’Actiris, un service youth guarantee est en place depuis octobre 2013. Il s’adresse dans un premier temps aux jeunes qui ne disposent pas du certificat d’études secondaires supérieures. Composé de 13 job coachs, son objectif est d’offrir aux jeunes un « véritable coaching pour les aider à intégrer plus rapidement et plus durablement le marché de l’emploi ». Jusqu’ici, le service s’est surtout appuyé sur les stages de transition lancés par Monica De Coninck (sp.a), ministre fédérale de l’Emploi. D’après le cabinet de Céline Fremault (cdH), ministre bruxelloise de l’Emploi, « il y avait, à la fin 2013, près de 150 jeunes concernés par la mesure qui ont signé un contrat de stage de transition et près de 100 autres stages de transition qui étaient en cours de gestion ». Pour ce qui est d’offrir des emplois, il note que le service a déjà travaillé sur ce point « via le dispositif de la CPP (NDLR contrat de projet professionnel) et au travers des dispositifs existants en la matière et va évidemment augmenter ses démarches cette année ». Ayant eu vent du projet européen de Youth guarantee – déjà dans l’air à l’époque –, Actiris avait inscrit le principe dans son contrat de gestion dès le 20 décembre 2012. Permettant ainsi de faire naître le service youth guarantee avant l’entrée en vigueur du projet au niveau européen. Et de donner la chance à Céline Fremault et Actiris de réaliser un beau coup de comm’ en clamant qu’ils avaient « anticipé la recommandation européenne » ;

– pour la Cocof, 3 000 stages devraient être créés par Bruxelles Formation et ses partenaires.

Un comité de pilotage réunit l’ensemble des ministres en charge de l’Emploi, de la Formation et de l’Enseignement. Il est présidé par Rudy Vervoort (PS), ministre-président du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale.

En Wallonie

Les orientations de travail pour la Youth guarantee ont fait l’objet d’une approbation par le gouvernement wallon du 14 novembre 2013. Les voici :

  • développer l’identification et le développement des compétences, notamment en augmentant le nombre de formations sur le public jeune ;
  •  renforcer une « dynamique jeunes » dans le cadre de l’accompagnement personnalisé ;
  • lutter contre le décrochage scolaire des jeunes en formation ;
  • –développer l’esprit d’entreprendre et promouvoir l’activité indépendante. Le concept des « juniors indépendants » à l’IFAPME ou le dispositif « airbag » pourraient à ce titre être valorisés dans le cadre de la Garantie jeunesse.

Dans une réponse à une question parlementaire lors de la séance du 20 janvier 2014 de la commission emploi du Parlement wallon, André Antoine (cdH), ministre wallon de l’Emploi et de la Formation a également affirmé que l’ensemble des actions « se fera en partenariat avec d’autres acteurs de la formation et de l’insertion, ainsi qu’avec des associations spécialisées dans la prise en charge des jeunes »

Aller plus loin

Alter Échos n° 366 du 27.09.2013 : Chômage, le péril jeune?

En savoir plus

Conseil de la jeunesse : bd Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles – tél. : 02 413 29 30 – courriel : conseil.jeunesse@cfwb.be – site : http://www.conseildelajeunesse.be

CJC : rue de la charité, 43 à 1210 Bruxelles – tél. : 02 230 32 83 – courriel : cjc@cjc.be – site : http://www.cjc.be

Projeunes : bd de l’Empereur, 15 bte 3 à 1000 Bruxelles – tél. : 02 513 99 62 – site : http://www.projeunes.be

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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