Alter Échosr
Regard critique · Justice sociale

Des jurisprudences européennes encouragent le dumping social

Le bilan social européen publié en mai 2009 par l’Etui et l’OSE pointe des évolutions inquiétantes de la jurisprudence de la Cour de justice européenne.

14-07-2009 Alter Échos n° 277

Le bilan social européen1 publié en mai 2009 par l’Etui2 et l’OSE3 pointe des évolutions inquiétantes de la jurisprudence de la Cour dejustice européenne. La liberté économique primerait sur les droits des travailleurs.

Tous les ans, l’Institut syndical européen (Etui) et l’Observatoire social européen (OSE) publient un bilan social de l’Union européenne. Il s’agit à chaque foisd’analyser l’évolution des politiques et jurisprudences européennes concernant le social, ainsi que les dossiers ayant fait l’actualité en cette matière. L’édition2008 est sortie de presse en mai 2009.

Un des dossiers de ce numéro fait état de décisions de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) qui pourraient mettre à mal diverseslégislations sociales et de protection des travailleurs. Le premier cas auquel il est fait référence a opposé le Land de Basse-Saxe en Allemagne àl’administrateur judiciaire d’une société de travaux publics. Ce Land possède une législation sur les marchés publics qui prévoit que les contrats nepuissent être attribués qu’à des entreprises qui s’engagent à verser à leurs salariés au minimum la rémunération prévue par lesconventions collectives applicables. Ces entreprises doivent s’engager à ce que leurs éventuels sous-traitants respectent également cette obligation. Des pénalitésfinancières sont prévues. Il se fait qu’une entreprise ayant obtenu un marché de travaux publics a été contrôlée et qu’il a étéconstaté qu’un de ses sous-traitants utilisait de la main d’œuvre polonaise payée moins de la moitié du salaire minimal prévu par les conventions collectives. Lelitige porté à la CJCE oppose le Land et l’administrateur judiciaire de la société en question sur le fait que la société doive bien payer ou non lespénalités financières. La Cour a donné tort au Land, estimant qu’il n’est pas permis d’obliger les entreprises à respecter les conventions collectives detravail pour ces travailleurs européens non nationaux, mais seulement le salaire minimum national.

Luxembourg trop social

Un autre cas emblématique relevé : l’affaire qui a opposé la Commission européenne à l’État du Luxembourg. La Commission accuse le Grand-Duchéd’avoir mal transposé dans sa législation nationale la directive européenne sur le détachement des travailleurs (le fait qu’une société fasse travailler sonpersonnel dans un autre État que celui où elle est installée). La Commission reproche au Luxembourg, pour l’essentiel, d’obliger les entreprises européennes qui ydétachent du personnel :
• de respecter les conventions collectives de travail en vigueur dans ce pays,
• d’indexer automatiquement les salaires, dans le respect de la législation nationale luxembourgeoise,
• d’avoir un mandataire, résident au Luxembourg, qui conserve les documents sociaux nécessaires à l’inspection du travail.

La Cour a donné raison pratiquement sur toute la ligne à la Commission. Elle a ainsi précisé que « le législateur communautaire a entendu limiter lafaculté d’intervention des États membres, en ce qui concerne les salaires, aux taux de salaire minimal ». Il ne peut donc être question de demander aux entreprises plusque cela : les barèmes des conventions collectives de travail, ainsi que l’indexation automatique des salaires, ne s’appliquent pas aux travailleurs détachés. Concernantl’obligation de conserver des documents sociaux sur le territoire, la Cour estime qu’il s’agit d’une entrave à la libre circulation et la libre prestation : en cas de problème, ilfaut utiliser le service organisé de coopération et d’échanges entre États, prévu par la réglementation européenne.

Selon les commentaires de l’auteure du dossier, Dalila Ghailani, il s’agit de décisions qui interprètent de manière « restrictive et pour le moinslibérale » la directive européenne en question et qui permettent « de contourner la protection sociale garantie dans l’État hôte, autorisant ainsitous les employeurs à réduire les coûts de leur main d’œuvre en sous-traitant à l’étranger ». Elle souligne également que les syndicats ontfortement critiqué ces jurisprudences y voyant « la primauté des libertés économiques sur les droits fondamentaux et le respect du droit dutravail ». Le Parlement européen lui-même s’est inquiété en votant fin octobre 2008 un rapport sur la question rédigé par le socialiste JanAndersson ; une révision partielle de la directive incriminée pourrait être envisagée.

1. Bilan social de l’Union européenne 2008, sous la direction de Christophe Degryse, Éd. Etui, mai 2009.
2. Etui (Institut syndical européen) :
– adresse : bd Albert II, 5 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 224 04 70
– courriel : etui@etui.org
– site : www.etui.org
3. OSE (Observatoire social européen) :
– adresse : rue Paul-Emile Janson, 13 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 537 19 71
– courriel : info@ose.be
– site : www.ose.be

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