La section bruxelloise des Équipes populaires a lancé en décembre une grève des loyers abusifs. Cette action vise à renégocier des loyers adaptés aux qualités des logements en vue de garantir à tous le droit au logement décent.
Les loyers bruxellois ne cessent d’augmenter. Selon le rapport de l’Observatoire des loyers 2013, «entre 2004 et 2013, le loyer actualisé (c’est-à- dire en tenant déjà compte de l’inflation) a, en moyenne, augmenté de 2% par an» (1). On y apprend aussi que «la part du loyer dans le budget avoisine les 60% pour tous les ménages de locataires dont les revenus sont inférieurs à 1.500 €. Or ces ménages-locataires représentent 47% de l’ensemble des ménages-locataires d’un logement dans la région bruxelloise. Il faut disposer de revenus disponibles de 2.000 € par mois pour que la part du loyer dans le budget soit inférieure à 30%» (2). Dans le cas des logements de qualité modestes, les loyers peuvent varier du simple au double.
Partant de ce constat, la régionale de Bruxelles des Équipes populaires invite les locataires à partir en grève des loyers abusifs, autrement dit, à refuser de payer la partie abusive du loyer.
La concertation à l’amiable privilégiée
Le processus se fait en plusieurs étapes. D’abord, un questionnaire est envoyé au locataire afin d’évaluer le caractère raisonnable sur la base des qualités du logement, et des grilles de référence existantes. «Actuellement, explique Thibaud de Menten, secrétaire des Équipes populaires de Bruxelles, un loyer est abusif quand ces deux conditions sont remplies: premièrement, le logement concerné présente des défauts de qualité (vétusté, absence d’isolation, de sanitaires privatifs ou encore de compteurs d’énergie, système de chauffage énergivore, humidité, taille réduite). Deuxièmement, le loyer est largement supérieur aux valeurs locatives habituelles.»
Pour déterminer des valeurs locatives «raisonnables», plusieurs indicateurs sont utilisés: la grille des loyers établie par le précédent gouvernement bruxellois, la grille de référence pour l’octroi d’une allocation loyer, le revenu cadastral, mais également les pratiques locatives d’autres acteurs comme le fonds du logement ou la régie foncière. «L’idée est de multiplier les références. Si le loyer s’avérait systématiquement plus élevé, cela permet d’accréditer la thèse d’un abus», souligne Thibaud de Menten.
Le locataire victime de loyers abusifs ne va pas directement en justice. «Nous proposons d’abord une rencontre avec le bailleur, en vue de trouver une solution à l’amiable. C’est comparable aux négociations entre syndicat et patronat dans le monde du travail. Cette première rencontre permet de discuter du prix du loyer et des divers aménagements à effectuer dans le logement, notamment en matière d’économie d’énergie», explique Thibaud de Menten. Ces rencontres sont des formes de commissions paritaires locatives exigées de longue date par les acteurs du droit au logement à Bruxelles pour permettre d’arbitrer paritairement les litiges. Les Équipes populaires invitent les bailleurs à s’entourer d’associations de propriétaires et privilégient des lieux de discussion comme les locaux de la commune. «Nous voulons par là montrer qu’il ne s’agit pas d’un conflit privé et insister sur l’enjeu public du caractère raisonnable d’un loyer», poursuit-il. L’objectif est de parvenir à un accord entre les deux parties qui soit consigné dans un avenant au bail.
«À défaut d’un tel accord, nous faisons parvenir, par voie recommandée, un préavis de grève au bailleur. Cette mise en demeure lui rappelle que le loyer contractuel ne respecte pas l’obligation de proposer un loyer raisonnable. Elle précise les propositions du locataire tant en matière d’aménagements du logement qu’à propos du montant raisonnable du loyer. La mise en demeure rappelle la volonté de trouver une solution à l’amiable, lors d’une seconde rencontre. Elle annonce enfin qu’à défaut d’une réaction du bailleur dans un délai de 15 jours, le locataire exercera son droit d’inexécution», poursuit Thibaud de Menten.
À la prochaine échéance du paiement du loyer, seule la partie raisonnable sera alors versée au propriétaire. La partie abusive est quant à elle versée sur le compte tiers de l’avocat du locataire. À ce jour, un locataire est dans ce cas. Le bailleur est invité par l’avocat du gréviste à une conciliation devant le juge de paix. La procédure est en cours. «On ne peut pas présumer de ce qui va se passer, comment Thibaud de Menten, le juge de paix n’a pas l’habitude d’entendre un plaidoyer sur cette base-là. Rares sont les locataires qui font valoir leur droit au logement devant la justice.» Les Équipes populaires ont mis en place une caisse de grève pour apporter un soutien financier aux grévistes, en particulier pour les frais de justice.
Créer une jurisprudence
L’action des grèves n’est pas lancée par hasard, et s’inscrit dans la continuité des recherches et des plaidoyers politiques en faveur d’un encadrement des loyers. «Ça nous semblait important de lancer cette grève des loyers dans un contexte où les parlementaires vont discuter de l’ordonnance sur les baux à loyer, matière régionalisée depuis le 1er janvier 2014», explique Thibaud de Menten. «Cette grève est mise en place pour montrer qu’on ne veut pas rester les bras croisés. On tente de créer une jurisprudence», poursuit-il.
Les Équipes populaires dénoncent en effet plusieurs manquements dans l’accord du gouvernement bruxellois. Celui-ci prévoit une grille de loyers de référence à seule visée informative. «Insuffisant», estime Thibaud Dementen. Le point «allocation-loyer» coince également. Cette mesure, étudiée par le cabinet de la ministre bruxelloise du Logement Céline Fremault, consiste en un montant qui couvrirait la différence entre le loyer et 1/3 des revenus du ménage. Cette allocation ne serait versée qu’à condition que le bailleur se conforme aux valeurs de la grille de référence indicative. «Il s’agit d’une mesure de bon sens économique, cela nous semble raisonnable que le gouvernement ne jette pas de l’huile sur la flambée des loyers. Mais cette condition pose quelques difficultés aux locataires, analyse Thibaud de Menten, qu’en sera-t-il des locataires qui n’ont pas le réseau ou les informations suffisantes pour être en mesure de négocier un loyer raisonnable?» Avec ce système, la personne qui a un loyer trop élevé est doublement pénalisée puisqu’elle ne pourra pas bénéficier de l’allocation-loyer, au contraire du locataire qui aura pu négocier un loyer en deçà de celui préconisé dans la grille des loyers.
«Que faire d’autre que de soutenir les locataires à renégocier le montant du loyer à des valeurs plus adaptées aux qualités du logement, en ce compris en cours de bail?», conclut Thibaud de Menten. Les acteurs du droit au logement plaident en ce sens depuis longtemps, en s’inspirant des dispositifs qui existent à Amsterdam, Genève, Paris, Berlin ou New York. La situation pourrait peut-être évoluer prochainement. En juin dernier, le Conseil économique et social a remis un avis préconisant la mise en place d’outils pour contester les loyers abusifs. Des députés bruxellois d’Écolo-Groen, du PTB et du PS ont récemment déposé une proposition d’ordonnance appelant également à la régulation des loyers. En commission du logement
du parlement bruxellois le 3 décembre dernier, Céline Fremault déclarait: «La grille indicative des loyers devrait permettre de contester les loyers abusifs et ce, sans porter atteinte à la liberté de contracter.»
Plus d’informations: http://www.equipespopulaires.be. Courriel: bruxelles@equipespopulaires.be
En savoir plus
(1) Observatoire des loyers 2013, par Marie-Laurence De Keersmaecker, en collaboration avec Ipsos, publié en avril 2014, p. 10.
(2) Ibidem, p. 111.