Comme les mémorandums, les promesses faites par les partis d’évaluer ou de modifier des lois contestées font partie de l’ADN d’une campagne électorale. Que va-t-il en rester lors de la rentrée du parlement fédéral? Sans doute pas grand-chose.
Mine de rien, le gouvernement Di Rupo aura produit un certain nombre de lois qui ont fait l’objet de vifs débats, et même d’une franche opposition dans le monde associatif et judiciaire. C’est logique dans un gouvernement de coalition qui aura été particulièrement écartelé entre son aile progressiste (incarnée presque exclusivement par le PS) et son aile conservatrice (MR et la majorité des partis flamands). Certaines réformes ont fini par être «acceptées» dans la résignation. On pense notamment à la réforme des arrondissements judiciaires et au combat (perdu) des avocats pour revoir le système de l’aide juridique de première ligne. Mais au cours de la campagne électorale, d’autres dossiers contestés ont refait surface et plusieurs partis se sont engagés à revoir ou à évaluer les lois qu’ils ont souvent eux-mêmes votées. Une manière de reconnaître des erreurs. De là à pouvoir vraiment les corriger…
La loi sur les sanctions administratives (SAC) en fait partie. Cette loi, portée par Joëlle Milquet et ardemment défendue par le MR, a suscité dès le début une vive opposition dans des dizaines d’associations francophones (dont le Conseil de la jeunesse) et néerlandophones. Le délégué général aux droits de l’enfant, Bernard De Vos, a dit tout le mal qu’il en pensait, tout comme bien sûr Écolo, qui siégeait dans l’opposition. La loi a été votée en mai 2013 et elle est d’application depuis janvier 2014. Elle élargit le champ d’action de la précédente, abaisse l’âge punissable au minimum à 14 ans et augmente le montant des amendes. La majorité gouvernementale a refusé de procéder à des auditions lors des débats à la Chambre mais a demandé des avis écrits. Un de ces avis est venu du ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles (et de la Région wallonne), Rudy Demotte. Un avis très critique puisque Rudy Demotte donnait raison à Bernard De Vos et demandait d’évaluer la conformité de la loi aux dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant. Le malaise du PS était ainsi clairement exprimé. Il l’a été plus clairement encore quand, en novembre 2013, le PS a demandé à ses bourgmestres… de ne pas appliquer la loi sur les SAC. Au cours de la campagne électorale, le PS s’est engagé à évaluer la loi lors de la prochaine législature. Pas le CDH, le MR ni le moindre parti flamand. Au contraire, la N-VA reconnaît au gouvernement précédent le mérite d’avoir introduit ce type de sanctions. Longue vie aux SAC donc?
Un plus large consensus s’est exprimé aussi pour évaluer et éventuellement modifier la loi sur le regroupement familial qui durcit considérablement les conditions d’accès à ce droit. Logique : les conditions de son adoption par la Chambre ont été particulières. Il s’agissait d’un texte qui avait fait l’objet d’un consensus au sein d’une majorité «alternative» avant la naissance du gouvernement Di Rupo. L’accord avait été conclu entre la N-VA, le MR et les partis flamands. À la Chambre, ce sont ces mêmes partis qui ont voté le texte. Le PS et le CDH se sont abstenus. Écolo-Groen avait voté contre, tout comme le FDF Olivier Maingain, qui faisait encore partie du MR lors du vote. On ne s’étonnera donc pas si, au cours de la campagne, le même clivage est revenu quant à la nécessité de revoir cette loi. Le MR est le seul parti francophone à la soutenir. Tous les autres veulent revoir le texte, en particulier les dispositions relatives aux conditions de revenus et celles qui sont jugées discriminatoires par rapport aux Belges, assimilés désormais aux non-Européens. Toujours à propos de l’immigration, le filtre médical instauré par Maggie De Block et qui empêche désormais un nombre croissant d’étrangers à bénéficier de la protection médicale prévue par l’article 9ter (régularisation) crée aussi de l’embarras au sein du PS et du CDH. Ces deux partis ont fermé les yeux pendant toute la durée de la législature. Ils ont promis de les rouvrir après le 25 mai.
Pas de bulletin pour la transaction pénale
Voilà pour les promesses électorales. Mais il arrive aussi que l’adoption de certains textes de lois soit liée à une obligation d’évaluation du nouveau dispositif. C’était le cas pour la loi sur la transaction pénale qui avait fait l’objet d’une vive controverse avant d’être adoptée en juin 2012. La mesure permet d’éviter un procès public contre le paiement d’une somme d’argent négociée avec le parquet. La loi a été élargie aux crimes et délits en matière fiscale. La ministre de la Justice, Annemie Turtelboom (Open VLD), a défendu son projet en le présentant comme une occasion de lutter contre l’arriéré judiciaire dans les matières financières tout en faisant rentrer plus rapidement de l’argent dans les caisses de l’État. Plusieurs députés (y compris au sein de la majorité) ont exprimé leur malaise et évoqué une justice de classe puisque seuls les plus riches peuvent s’offrir un blanchiment de leur linge sale. La ministre de la Justice avait promis une évaluation sévère de la nouvelle loi avant la fin de la législature. Au cours du printemps 2014, l’opposition Écolo a rappelé cette promesse et le 2 avril, en commission des Finances, le CD&V Carl Devlies a même demandé une séance spéciale pour que cette évaluation ait lieu. «Trop tard», a fulminé le président de cette commission, Georges Gilkinet (Écolo). De fait, aucun chiffre n’a été publié et les députés sont partis en campagne. La N-VA a aussi protesté contre l’attitude de la ministre. Mais aura-t-elle les mêmes exigences de clarté à l’égard du futur ministre de la Justice?
Les dispositifs d’évaluation des lois ne connaissent pas tous le même sort que celui de la transaction pénale. La loi Salduz (qui accorde l’aide d’un avocat dès le premier interrogatoire d’un suspect) a fait l’objet d’un bulletin régulier. Même chose pour les lois sur l’euthanasie qui sont particulièrement scrutées par le CDH et le CD&V. Tout dépend bien sûr des rapports de force au sein du gouvernement et donc du parlement fédéral. Dans les exemples cités (regroupement familial, sanctions administratives, transaction pénale), aucun parti flamand n’a pris de distances à l’égard de ces législations. Au contraire, le «filtre médical» est salué partout. On peut sans trop se tromper prédire que les intentions affichées par certains passeront à la trappe.
«La culture de l’évaluation des lois est peu présente en Belgique», reconnaissait Francis Delpérée (CDH) lors d’un débat électoral. Il existe bien un comité parlementaire pour le suivi législatif mais, dans les faits, ce dernier se garde bien d’intervenir sur le fond et s’attache le plus souvent à proposer des modifications très techniques des législations. Les gouvernements préfèrent faire modifier les lois en fonction des accords entre partis, ce qui conduit depuis des années à une pléthore de nouvelles dispositions qui rendent certaines législations totalement illisibles. On n’hésite pas non plus à changer des réglementations qui viennent à peine de se mettre en place et dont on ne peut donc mesurer les effets promis. Exemple? La généralisation des bracelets électroniques pour les courtes peines. La N-VA exige de supprimer cette mesure et de faire exécuter, en prison, toutes les peines. Mais il s’agissait aussi d’une promesse de campagne.
Aller plus loin
Alter Échos n°375 du 21.01.2014 : « Une autre justice est-elle possible ? »
Alter Échos n°365 du 13.09.2013 : « Le nouveau business model de la justice »
Alter Échos n°362 du 14.06.2013 : « Milquet vide son Sac »