Parmi les compétences des justices de paix, qui relèvent exclusivement du droit civil, on trouve tous les litiges de moins de 5.000 euros (hormis les compétences confiées à certaines juridictions comme le tribunal de la famille, de l’entreprise ou encore du travail). D’autres contentieux, comme ceux relatifs aux baux à loyer et commerciaux, sont de sa compétence exclusive, quel que soit leur montant. C’est aussi le cas des litiges relatifs au recouvrement d’une somme d’argent introduits par un fournisseur de gaz, d’électricité, de chauffage, d’eau ou de télécommunications ou encore ceux relatifs aux copropriétés.
Petits litiges un peu rasants
À la justice de paix de Schaerbeek, ce mercredi 19 mai, ce sont essentiellement ces deux derniers types de litiges qui sont traités ce matin-là.
Rien de très excitant en ce qui concerne les plaidoiries: un avocat qui représente Proximus et ensuite Electrabel, égrène les dossiers, les montants dus (724,38 euros, 622,33 euros, 489,6 euros…) par les clients devant le juge de paix et son greffier, passablement éteints. Quelques quidams attendent leur tour pour demander un étalement de leur dette. L’un d’eux propose 30 euros par mois pendant 18 mois, payables à partir du 15 juin, lorsque le jugement sera rendu. Un autre monte jusqu’à 100 euros par mois, pour aller plus vite dans les remboursements. Ils seront quatre à se présenter ainsi pour demander de tels aménagements du paiement de la dette. Les autres sont absents et seront donc condamnés par défaut, mais, ce matin-là, sans qu’il soit demandé d’assortir les jugements de coupures d’énergie. La magnanimité Covid, sans doute.
Reléguée dans la salle d’attente pour des raisons liées aux conditions sanitaires, mais en contradiction avec la publicité des audiences, garante du bon déroulement des procès, j’entends néanmoins le ton qui monte dans la salle d’audience entre une avocate, qui représente la copropriété d’un immeuble, et la défenderesse, là pour essayer d’éviter une condamnation pour non-paiement des frais de copropriété. «1.000 euros par trimestre, je n’y arrive pas. Vous me harcelez», s’exclame la propriétaire d’un appartement deux chambres. Le juge essaie de calmer le jeu, interroge la propriétaire sur l’opportunité de garder un appartement dont on ne peut pas payer les charges. La propriétaire en défaut de paiement propose de s’acquitter de 300 euros. Finalement, l’avocate de la copropriété demande au juge de remettre l’affaire en novembre pour laisser une dernière chance à la défenderesse de montrer sa bonne volonté.
Quelques quidams attendent leur tour pour demander un étalement de leur dette. L’un d’eux propose 30 euros par mois pendant 18 mois, payables à partir du 15 juin, lorsque le jugement sera rendu.
Baux commerciaux en pagaille
Toujours à Schaerbeek, un propriétaire d’un local commercial qui a fait le déplacement depuis Malmedy et qui espérait voir son litige plaidé ce jour, en est pour ses frais: la requête, envoyée à l’avocat de son locataire, ne contenait pas de dispositif, soit les prétentions du propriétaire à l’encontre de son locataire. Le document n’est donc pas valable et le juge propose de remettre l’affaire à très brève échéance. Le propriétaire est assez énervé: «On en est à 8.000 euros d’arriérés, le mois de mai n’a pas été payé. J’ai proposé qu’il ne paye que la moitié du loyer pendant les mois de fermeture dus au confinement, proposé la résolution du bail. J’ai un candidat repreneur, mais s’il doit attendre encore, je vais le perdre. Votre client me tourne en bourrique depuis des mois, il sait très bien ce qu’il doit.» Le juge remet pourtant l’affaire au 9 juin.
À la justice de paix du premier canton de Bruxelles, place Poelaert, qui couvre l’hyper-centre de Bruxelles (Grand-Place, Louise, Sablon, rues Haute et Blaes) et où nous avons terminé la matinée, le climat est assez lourd également, même si l’avocat plaidant dans le cadre d’un contrat de bail non respecté, n’a pas de contradicteur. Le défendeur, un entrepreneur qui n’a pas payé les loyers de plusieurs appartements loués pour ses ouvriers, en raison de l’arrêt des travaux dans la construction avec le confinement débuté en mars 2020, ne s’est pas présenté. La juge de paix remet les pendules à l’heure: «En février dernier, vous me demandiez de condamner l’entrepreneur à tous les loyers jusqu’à la fin du bail à durée déterminée qui se terminait en mai, alors même que les mois n’étaient pas encore échus. Je ne pouvais pas accéder à votre demande, cela aurait été un abus de droit.» En l’absence de l’entrepreneur qui aurait pu se défendre et faire valoir des arguments, notamment liés au Covid, elle condamne ce dernier à plus de 20.000 euros.
«Très rapidement, ce type de litiges s’est multiplié, avec des locataires incapables de payer des loyers importants pour des surfaces commerciales situées au centre- ville et des propriétaires désireux de récupérer les sommes dues.» Une juge de paix
Entre deux affaires, la juge de paix nous explique que, dans son canton, le contentieux des baux commerciaux est très volumineux, et ce, depuis le mois de juin 2020: «Très rapidement, ce type de litiges s’est multiplié, avec des locataires incapables de payer des loyers importants pour des surfaces commerciales situées au centre-ville et des propriétaires désireux de récupérer les sommes dues. Difficile, en tant que juge: ni le propriétaire ni le locataire n’est responsable de cette situation et je ne voulais pas faire porter la charge de la pandémie sur l’une ou l’autre partie. Donc ma décision a été de limiter le loyer à la moitié des montants dus, sur la base d’un article du Code civil qui énonce l’exécution de bonne foi des contrats et l’équilibre des intérêts en présence. Mais parfois même une moitié reste impossible à honorer. 549.000 euros d’arriérés de loyer, même réduits de moitié, cela reste impayable quand les activités sont à l’arrêt.»
Un peu de tout
L’audience à laquelle nous assistions ce jour-là est une audience de rattrapage. Avec le premier confinement, les juridictions dans leur ensemble ont accumulé du retard, puisqu’elles n’ont pu fixer des audiences pendant près de trois mois. Il a donc fallu ajouter une audience à celles déjà organisées par la justice de paix du premier canton de Bruxelles.
Parmi les affaires qui n’ont pas pu être traitées, on trouve 800 factures impayées de l’hôpital Saint-Pierre, un hôpital du réseau des hôpitaux publics bruxellois Iris, pour lesquelles une demande de condamnation est introduite par l’avocate de l’hôpital: «Ces factures datent d’avant la crise sanitaire. Elles n’attestent donc pas d’un nombre accru de factures impayées en raison des effets économiques liés au Covid. Mais elles se sont accumulées et arrivent devant le tribunal à cette période, car elles doivent être traitées avant le délai de prescription de deux ans qui est de rigueur pour ce type de factures. Cela étant, on ne peut pas vraiment craindre une augmentation des impayés pour ces factures, due aux difficultés économiques de la population, car bien des soins ont été reportés et donc non prodigués.»
Là encore, certains particuliers se sont présentés pour demander un étalement de la dette, mais la plupart seront condamnés par défaut.