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Diminution drastique pour l’aide wallonne aux immigrés

Séisme dans le monde des associations de terrain travaillant à une meilleure intégration des étrangers en Wallonie. Sur 147 associations, seules 82 associationsdevraient encore être subsidiées. Poussée dans le dos par un budget réduit, la ministre wallonne de l’Action sociale, Christiane Vienne (PS)1, aeffectué quelques coupes sombres dans le secteur. Explications.

14-12-2005 Alter Échos n° 199

Séisme dans le monde des associations de terrain travaillant à une meilleure intégration des étrangers en Wallonie. Sur 147 associations, seules 82 associationsdevraient encore être subsidiées. Poussée dans le dos par un budget réduit, la ministre wallonne de l’Action sociale, Christiane Vienne (PS)1, aeffectué quelques coupes sombres dans le secteur. Explications.

C’est en novembre dernier, que les associations œuvrant dans l’intégration des étrangers en Wallonie ont appris que le budget 2005 qui leur étaitalloué passait de 989.000 euros à 400.000 euros et que seules 82 d’entre elles (sur 147) recevraient les subsides ainsi diminués. Une catastrophe pour ce secteur depremière ligne qui s’attendait à voir ses subsides renouvelés comme chaque année. Certaines associations étant ainsi subsidiées depuis bientôt 15ans.  » C’est nier tout notre travail de terrain, constate cette assistante sociale du Centre des immigrés Namur-Luxembourg2 qui a vu ses subsides diminuer de 50 %. C’estcomme si on ne reconnaissait pas l’apport de notre service, comme s’il n’existait pas de problèmes à Namur. S’ils ne sont plus aussi visibles, c’estpeut-être aussi grâce à notre travail… Lorsque nous consultons la liste des associations qui sont subsidiées, nous ne pouvons crier qu’àl’injustice. Nous connaissons bien le terrain dans notre région, nous ne comprenons pas les critères qui ont présidé au choix de la ministre. Même si ladiminution de nos subsides ne va pas entraîner notre fermeture comme pour certaines autres associations, ce sont nos subsides de fonctionnement qui sont atteints, nous allons faire faceà des problèmes de trésorerie. « 

Le cabinet s’explique

Au cabinet de la ministre, Alain Jacobeus, conseiller en charge du dossier, s’explique :  » Nous avons lancé un appel à projets en mai 2005 pour lequel 147 projets ontété rentrés. Sur ces 147 candidatures, il y avait des renouvellements mais aussi de nouveaux projets. Nous avons demandé à l’administration de lesévaluer et de faire des propositions : acceptation, arrêt, reformatage, … Ensuite, nous avons demandé aux Centres régionaux d’intégration (ndlr : lesCRI) de remettre un avis sur la pertinence des projets les uns par rapport aux autres dans la même sous-région, cette évaluation fait partie de leurs missions. Lesévaluations entre les CRI et l’administration convergeaient à quelques exceptions près. Entre-temps, l’ajustement budgétaire est passé par là.Lors de la confection du budget 2005, nous avons dû diminuer une partie des subsides jusqu’ici alloués pour assurer nos obligations réglementaires. Il faut savoirqu’un certain nombre de décisions prises par le gouvernement précédent ont un impact budgétaire aujourd’hui, or l’enveloppe, elle, ne grossit pas. Nousavons donc procédé à des coupes sombres dans les subventions facultatives. Et il faut le préciser, le secteur de l’intégration des étrangers est loind’être le seul à en faire les frais. « 

Mais, au-delà des impératifs budgétaires, le cabinet ne cache pas avoir aussi voulu procéder à une mise en ordre du secteur :  » Il y a des projets qui sontrentrés qui ne ressortissent clairement pas au département de l’Action sociale, poursuit Alain Jacobeus, mais plutôt, par exemple, de l’enseignement ou del’emploi. Il faut aussi se poser la question de la viabilité de certaines associations qui, si on ne leur verse pas leurs subsides, qui, je le rappelle, sont ici facultatifs, se voientmenacées de fermeture… Certaines associations font clairement aussi le même boulot dans la même localité, il y a doublon. »

Reste que le cabinet dit regretter cet épisode et insiste sur le fait que le problème est conjoncturel et non structurel. « Le secteur devrait retrouver ses 900.000 euros en 2006.Nous multiplions actuellement les consultations pour pouvoir mieux définir l’appel à projets 2006. Celui-ci sera en outre lancé dans le courant du 1er trimestreet plus du 2e. Nous sommes pour le moment en train de plancher sur une actualisation du décret du 4 juillet 1996 relatif à l’intégration des personnesétrangères ou d’origine étrangère. Depuis dix ans, le paysage a changé et il faut un certain toilettage des textes. Nous réfléchissonségalement à pouvoir octroyer des subventions pluriannuelles à certains projets sur base de conventions cadres de trois ans. « 

Les CRI précisent

Les Centres régionaux d’intégration s’étonnent de leur côté de se voir associés aux décisions prises par la ministre Vienne concernantle subventionnement des associations locales wallonnes. Ils rappellent que, depuis leur création, ils demandent aux différents ministres qui ont eu la charge de ce département,de revoir le mode de financement des associations locales afin de permettre leur pérennisation et leur stabilisation.  » Des propositions seront d’ailleurs à nouveaurelayées auprès de la ministre Vienne afin de définir des critères objectifs et un calendrier réaliste pour l’appel à projets 2006 pour lequel laministre a promis de réaffecter un budget équivalent aux années précédentes et ce, afin d’éviter le scénario catastrophique de cetteannée « , lit-on dans leur communiqué.

Les CRI sont par ailleurs soumis aux mêmes incertitudes que les associations locales puisque seule une petite part de leur financement est assurée par le décret. Leur budgetreste identique pour 2006 et les augmentations prévues par le PST III n’interviendront pas avant 2007. Ils sont actuellement en train de travailler à une proposition de modification dudécret relatif à l’intégration des personnes étrangères et d’origine étrangère afin de répondre aux réalités deterrain et notamment aux attentes des opérateurs locaux. Ils devraient associer à leur réflexion les acteurs locaux  » afin d’aboutir à une position communeportée par l’ensemble du secteur ». Comme nous le confirme Luan Abedinaj, coordinateur de la Fecri3, la fédération des CRI, les associations s’interrogent :« Pourquoi avoir lancé l’appel à projets en mai avec un discours rassurant provenant du cabinet sachant déjà à l’époque que les subsidesseraient diminués de 60% et pourquoi un tel retard de communication vis-à-vis d’elles ? Quant aux avis remis sur les projets rentrés, Jean-Michel Heusquin, directeur du Centrerégional d’intégration de Liège, précise qu’il ne s’agit que d’avis de notoriété mais pas d’avis sur le fond des projets : « on ne peut décider dediminuer les subsides de telle ou telle association sur la base des avis que nous avons rendus ».

Les verts fustigent

Les verts, aujourd’hui dans l’opposition, ne décolèrent pas. Ainsi Bernard Wesphaël, chef de groupe wallon et Muriel Gerkens, députéefédérale, accusent-ils la ministre de déstabiliser complètement le secteur wallon de l’intégration des personnes étrangères en concentrant lesmoyens financiers dans les CRI  » qui ont une mission de coordination et de fédération mais en aucun cas n’ont l’expérience, ni les moyens, d’un travail de terrain. Si la ministrepersiste dans ses choix, elle pourrait bien sonner le glas du travail de première ligne dans les quartiers. (…) Cette situation est gravissime autant qu’incompréhensible,à l’heure où les récents événements français mettent cruellement en évidence l’urgence du travail de terrain, et où de nombreuxspécialistes soulignent la richesse du travail du milieu associatif belge dans ce domaine. Faut-il qu’il y ait des problèmes spectaculaires pour que l’on donne des moyens à lapolitique de l’intégration ? « 4

Le Carrefour interculturel wallon passe à la trappe

Le Carrefour interculturel wallon5, cette cellule de réflexion sur l’intégration des étrangers en Wallonie, est en sursis. En janvier, l’asbl de Saint-Servaisfera les frais de la restructuration du secteur de l’intégration orchestrée par la ministre Vienne. Motif invoqué : la structure est  » lourde et non fonctionnelle « .

Le Carrefour interculturel wallon a été créé en 2002 à l’initiative du ministre Ecolo Thierry Detienne. L’idée était d’instituer un organe deréférence amené à prendre de la hauteur et à réfléchir sur la question de l’intégration des étrangers en Région wallonne. LeCarrefour devait être un lieu de débat transversal entre tous les acteurs du secteur, depuis les opérateurs de terrain et jusqu’aux chercheurs universitaires. L’objectif finalétant d’aider le gouvernement wallon à mieux cibler la problématique et à orienter sa politique. Au sein du conseil d’administration figurent des représentants dugouvernement, des syndicats, des associations de terrain, des centres d’intégration régionaux, de l’Union des villes et communes, d’universités et de centres de rechercheprivés.

La ministre de tutelle du Carrefour interculturel wallon, Christiane Vienne, a donc décidé de couper les vivres à l’asbl et a dénoncé la convention qui laliait à la Région wallonne depuis 2002 et qui garantissait normalement la subsidiation jusqu’à la fin 2006 . Conséquence immédiate : la banque a fermé lerobinet du crédit-pont. Les salaires de novembre n’ont pas été versés. Les factures ne sont plus honorées. L’asbl est en cessation de paiement et les premiershuissiers ont débarqué.
Pourquoi Christiane Vienne a-t-elle choisi d’arrêter les frais ? Il faut d’abord savoir que la décision n’est pas isolée, elle participe d’une volonté globale derestructurer le secteur de l’intégration en Région wallonne comme nous l’avons évoqué ci-dessus. L’option ministérielle consiste donc à « rationaliserses efforts de subsidiation ». Si certains opérateurs sortent gagnants, d’autres restent sur le carreau. C’est le cas du Carrefour interculturel wallon, qui se voit soudain privé de ses248.000 euros de subsides wallons annuels. La ministre fonde son avis sur un rapport d’audit6 réalisé par un organisme indépendant, en l’occurrence le CDGAI (Centre dedynamique des groupes et d’analyse institutionnelle), de l’Université de Liège.

Un  » vert  » indésirable ?

Le Carrefour,  » bébé vert  » soutenu par l’ensemble du gouvernement wallon lors de la précédente législature, ne semble plus en odeur de sainteté au seindu gouvernement actuel. Cette hypothèse est évoquée dans les conclusions du rapport d’audit :  » si le ‘vert’ est dans la pomme, il ne rend pas forcément le fruitimmangeable « , y lit-on. Soyons clair, le rapport d’audit ne décrit pas non plus une situation idyllique. Le souci avec le Carrefour interculturel wallon, selon l’auteur du rapport, c’estqu’on a voulu rassembler au sein du conseil d’administration tellement d’intervenants, aux intérêts parfois antinomiques, que forcément, certains se tirent dans les pattes oujouent le jeu de l’immobilisme.

Selon Alain Jacobeus, conseiller au cabinet Vienne, les administrateurs se sont désintéressés du CA car on y parlait trop budget, politique du personnel et pas assezd’interculturalité.  » Le quorum n’était jamais atteint et empêchait l’association de prendre des décisions importantes. Le Carrefour dysfonctionnait, ilvalait mieux dénoncer la convention dès à présent. « 

Du côté des travailleurs du Carrefour, on ne cache pas son amertume. On coule le bateau alors que les rameurs sont efficaces, assurent-ils.  » La qualité de notre travail estreconnue au niveau international. Notre boulot fait référence, même le Fonds social européen fait appel à notre expertise. En plus, on ne perd pas d’argent. »7 Les travailleurs du Carrefour se sentent lâchés. Le directeur du Carrefour, Eric Sangara, dénonce aussi le manque d’interlocuteurs valables en matièred’interculturalité au sein du cabinet Vienne jusqu’en juillet de cette année et le manque de vision prospective de la ministre. Il rappelle que malgré plusieurscourriers envoyés au cabinet le comité d’accompagnement n’a jamais été convoqué depuis 2004 par la ministre si ce n’est en novembre dernier.

Alain Jacobeus assure cependant que le projet sur papier reste pertinent et qu’une instance de troisième ligne est indispensable et devrait être recréée. Mais leproblème est que le Carrefour a été créé sur décision du ministre Detienne mais n’était pas une émanation du terrain et n’a donc pasrencontré de la part de celui-ci toute l’adhésion souhaitée.

Reste maintenant à gérer la fermeture. Réuni le 12 décembre en séance ordinaire, le conseil d’administration a créé un comité decrise. Quatre administrateurs ont été désignés comme gestionnaires de crise. Les travailleurs sortent du flou et savent désormais avec qui dialoguer valablement.Une première réunion entre ce comité et les travailleurs est programmée ce vendredi 16 décembre. Le 21 décembre, le conseil d’administration se positionnerafermement. Les travailleurs sauront enfin s’ils récolteront des indemnités de rupture, s’ils presteront un préavis… Dans ce dernier cas, ils apprendront aussi si les projets encours, notamment des projets européens dont l’échéance était fixée à fin 2007, méritent d’être poursuivis en vue de leur continuation sousune autre structure.

1. Cabinet Vienne, rue des Brigades d’Irlande, 4 à 5100 Jambes – tél.: 081 32 34 11 – courriel: presse-vienne@gov.wallonie.be

2. CINL, rue des Tanneries, 1 à 5000 Namur – tél. : 081 22 42 86 – fax : 081 41 48 98 – courriel : namur@cinl.be
3. Fecri, contact : Luan Abedinaj – tél. : 081 73 22 40 – courriel : fecri@swing.be
4. Communiqué disponible sur le site d’Ecolo
5. Carrefour interculturel wallon, rue de Gembloux, 500 à 5002 Saint-Servais – tél. : 081 81 03 51 – secrétariat -tél. : 081 87 99 95 – fax : 081 87 99 85 – direction M. Sangara – courriel : info@ciweb.be
6. Rapport d’audit du Carrefour interculturel wallon
7. In Vers l’Avenir du 03/12/05.

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