Le débat sur la proposition de directive à propos de la libéralisation des services dans l’Union européenne (UE) – « directive Bolkestein »– touche à sa fin après presque trois ans de discussions acharnées entre partisans du libéralisme et défenseurs des services publics. Une ultime étapea été franchie au Parlement européen, le 23 octobre 2006. La Commission du Marché intérieur et Protection des consommateurs, chargée du dossier sur le fond,se prononçait sur le texte en seconde lecture. Et, sans surprise, les eurodéputés ont rallié la position commune, dégagée au Conseil des ministres del’UE le 29 mai, et entérinée le 24 juillet. Cet accord avait été largement inspiré, à quelques nuances près, par le compromis entre lessocialistes et les conservateurs, ficelé in extremis la veille du vote en première lecture, le 16 février dernier.
Ce 23 octobre, le parti populaire européen et démocrate européen (PPE-DE, droite), les libéraux (ADLE) et les souverainistes (Union pour l’Europe des nations) ontrejeté les 42 amendements déposés par 20 voix contre 16. Les onze « amendements techniques » déposés par la rapporteuse sociale-démocrateallemande de la directive, Evelyne Gebhardt, destinés à « clarifier » la proposition législative n’auront pas eu plus de chance. Néanmoins, EvelyneGebhardt, suivie par quelques membres de son groupe, a donné son aval à l’ensemble du texte « ainsi amendé ». Le texte a donc pu être approuvé par 26voix pour, 4 voix contre et 6 abstentions.
Fragile compromis
Rappelons qu’après le vote des eurodéputés en première lecture le 16 février – qui a remis largement en cause le texte originel -, la Commission amis sur la table une proposition modifiée. Celle-ci tenait compte des amendements du Parlement à quelques exceptions près. Les 29 et 30 mai, après plus de huit heures denégociations, les États membres ont à leur tour trouvé un compromis, sur la base de celui du Parlement. La Commission a repris le dossier et rédigé unnouveau texte sur la base de la position commune des États membres avant de le transmettre aux eurodéputés. Evelyne Gebhardt a réagi en rédigeant une séried’amendements. Elle était confiante de leur avenir, parce qu’ils ne remettaient pas en cause le fond du compromis du Conseil.
Ceux-ci portaient sur l’exclusion claire du droit du travail des services d’intérêt général et services sociaux du champ de la directive, le renforcement dela protection des consommateurs, la coopération entre État membres dans le cadre de l’établissement d’un prestataire de services dans un autre État membre quele sien, le rôle de la Commission dans l’application de la directive et, enfin, la clause de révision de la directive, prévue au bout de trois ans.
Des « amendements techniques », scandait l’eurodéputée. Il n’empêche, ces « améliorations » ont fait beaucoup de bruit, même sile débat s’est, cette fois, largement limité aux arcanes communautaires.
À la suite du rejet de ses amendements, tenace, l’eurodéputée allemande n’en a pas pour autant fini avec la Commission européenne. L’exécutifeuropéen s’est engagé, en effet, auprès des socialistes et des conservateurs à présenter une « déclaration écrite » qui doitrépondre aux questions jugées essentielles par la rapporteuse.
Ainsi, la déclaration devrait-elle détailler la portée légale et la nature des orientations présentées par la Commission aux États membres. Letexte devrait également se prononcer sur l’éventualité d’une harmonisation future de la législation sur les services ainsi que sur la neutralité del’actuelle directive sur le droit de travail. Dernière précision : l’influence de la directive sur les services sociaux.
« Il n’y a pas eu de surprise, la Commission a donné sa parole », a résumé E. Gebhardt à l’issue du vote. « Charlie McCreevy (commissaireau Marché intérieur, ndlr) a dit qu’il fera sa déclaration », a poursuivi la rapporteuse, confiante sur l’issue du débat. « J’avais fait desamendements parce que j’avais besoin de clarification, si les clarifications viennent par le biais d’une déclaration, je pense que c’est tout aussi valable », a conclul’eurodéputée.
Évelyne Gebhardt a pris connaissance du projet de déclaration de la Commission. Satisfaite, elle se réserve toutefois le droit de présenter de nouveaux amendements.
Mais tenace
La Finlande, qui assure la présidence tournante de l’UE jusque fin 2006, a également soutenu le projet de la Commission, mais doit maintenant s’accorder avec lesreprésentants du Conseil des ministres avant de pouvoir se prononcer sur ce texte au nom des Vingt-cinq à l’occasion du vote en plénière.
Les eurodéputés du PPE et les libéraux y décelaient une remise en question du compromis ficelé entre socialistes et conservateurs la veille du vote enpremière lecture en février dernier (voir AÉchos n°203). Tandis que la présidence finlandaise y voyait une menace contre la « position commune »accouchée dans la douleur par les Vingt-cinq. La seconde lecture en session plénière, dernière étape au Parlement, est fixée à la mi-novembre.
Coté syndicats, on déplore le vote de la commission du marché intérieur. « Si nous voulons être assurés du soutien des travailleurs européens,nous devons veiller à ce que les droits fondamentaux et le droit du travail ne soient pas menacés par les règles du marché intérieur », a indiqué JohnMonks, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES). La CES demande donc aux décideurs européens de trouver le moyend’améliorer la directive sur les points soulevés par la rapporteuse.
Quelques amendements rejetés
Droit du travail : le consensus a toujours été clair entre les trois institutions, le droit du travail est exclu du champ d’application de la directive. Cependant, danssa position commune, le Conseil refuse de faire allusion à la Charte des droits fondamentaux – estimant que celle-ci est un texte symbolique, qui n’a pas sa place dans un documentlégislatif. L’eurodéputée E. Gebhardt avait conditionné cette position à une formulation « qui reflète littéralement »l’esprit de la Charte.
Services publics et sociaux : le Conseil exclut du champ d’application de la directive les « services d’intérêt général non économiques». E. Gebhardt voulait, elle, retirer les « services d’intérêt général » (SIG), qui sont, explique-t-elle « par nature non économiques». Le texte du Conseil exclut par ailleurs les services sociaux relatifs au logement social, à l’aide à l’enfance. Satisfaite de cette plus grandesécurité juridique, la députée souhaitait reprendre la définition des services sociaux qui figure dans la communication de la Commission d’avril sur lesservices sociaux d’intérêt général et l’étendre aux « régimes légaux et complémentaires de protection sociale couvrant lesrisques fondamentaux de la vie (…) ».
Protection des consommateurs : E. Gebhardt souhaitait préciser que cette directive ne prive pas le consommateur de la protection que lui assure la législation relativeà la protection des consommateurs en vigueur dans son État membre, conformément au droit communautaire, autrement dit elle n’empêchera aucun Etat membre de maintenirou d’établir des mesures plus strictes de protection des consommateurs.
Coopération administrative : La rapporteur voulait revenir sur la question du contrôle dans les Etats membres pour rétablir la position initiale du Parlementeuropéen. Son amendement disait que « l’Etat membre d’établissement est responsable du contrôle du prestataire de services sur son territoire et ne peut refuserde prendre des mesures au motif que le service a été fourni dans un autre Etat membre ». E. Gebhardt souhaitait également supprimer les références à lacoopération administrative entre Etats membres ainsi qu’à la loi applicable au prestataire de services, puisque la question a été réglée avec lasuppression du principe du pays d’origine.
Analyse et orientation : la rapporteuse avait supprimé dans son amendement la référence aux « analyses et orientations » qui, selon elle, ne permettent pas uneévaluation ou consultation préalable. Elles pourraient donc remettre en cause le pouvoir co-législatif du Conseil et du Parlement. En outre, précise ladéputée, l’interprétation de la législation communautaire demeure du ressort de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE). Elle accordaità la Commission la possibilité de fournir une aide aux Etats membres en vue d’élaborer une méthode commune d’évaluation, puis de présenter un rapport.
Clause de réexamen : Evelyne Gebhardt souhaitait que le rapport présenté tous les trois ans par la Commission sur l’application de la directive dans les Etatsmembres, porte également sur « l’opportunité de mesures d’harmonisation » concernant les questions qui sont exclues du champ d’application, sans toutefoisinsister sur de seules mesures d’harmonisation.