Début juillet, le Parlement européen a adopté en seconde lecture deux directives1 relatives à la coordination des passations des marchés publics. Lapremière directive, dite « classique », organise la passation des marchés « normaux ». La seconde, dite « spéciale », concerne les secteurs spécifiques, tels que l’eau, letransport,…
Pour rappel, ces directives, au-delà d’un toilettage juridique des textes existants, sont à la croisée d’enjeux. Certains à la Commission défendent une approchenéo-libérale dans les politiques d’adjudication de marché public. Soit, l’attribution d’un marché dépend exclusivement du prix et de la qualité de l’offre.Mais d’autres, de plus en plus nombreux à faire entendre leur voix, souhaitent que l’attribution de marché public rejoigne un souci d’intérêt général enprenant en considération d’autres critères que le prix et la qualité, tels que la protection de l’environnement, une politique d’insertion socioprofessionnelle, le respect desdroits de l’homme ou le respect des conventions de l’OIT (Organisation internationale du travail) dans les filières de production. Cette « position » s’est vue confirmée deux fois par lajurisprudence de la Cour de Justice européenne dans les affaires Stagecoach Finlande (bus moins polluant) et Nord Pas de Calais (prise en compte de critères d’insertionsocioprofessionnelle pour la construction d’une école)2.
Un recul partiel
Aujourd’hui, presqu’à l’issue de ce long parcours législatif (co-décision Conseil Parlement européen, première lecture,…) comment interpréter ladeuxième lecture du Parlement ? Assiste-t-on à un recul ou une avancée pour la prise en considération de critères sociaux, environnementaux ou éthiques dansl’attribution des marchés publics ? Françoise Navez, juriste au Centre d’économie sociale de l’université de Liège3 commente les derniers textes du Parlement. « Ladeuxième lecture va moins loin que la première en ce qui concerne la prise en considération de critères sociaux et éthiques. Par exemple, le systèmed’exclusion en regard du non respect des normes de l’OIT, écarté par le Conseil en première lecture, n’a pas été réintroduit par le Parlement. L’issue estplus subtile pour les critères d’attribution. Il s’agit de savoir s’ils doivent être ‘liés’ à l’objet du marché ou ‘justifiés’ par l’objet du marché.Dans son article 53, le texte de la deuxième lecture choisit de ‘lier’ l’attribution d’un marché public à son objet. Ce qui est moins astreignant que la justification maisl’ouverture réside dans l’énumération qui suit : la qualité, le prix mais aussi des caractéristiques liées aux méthodes de production ou encorel’attribution du marché à ceux qui offrent une politique d’insertion de public handicapé. Le lobby des personnes handicapées a fonctionné4 mais cette ouverturepourrait être étendue aux ‘handicapés sociaux' », précise Françoise Navez. Pour résumer, on dira que la mouture actuelle reflète la déclinaisond’un consensus politique. Les tenants d’une position « développement durable » des marchés publics n’ont pas voulu prendre la Commission de front. Ce qui n’alimente pas la clartédu texte législatif. Le consensus est trop prégnant que pour être juridiquement éclairant. Il s’agit bien d’une marche arrière mais l’article 53 l’atténue. Ladirective sur les secteurs spéciaux est plus audacieuse car plus précise. L’exclusion y est toujours possible surtout pour des arguments environnementaux. « Dans ce sens, elle sert plusl’intérêt général », conclut Françoise Navez.
Vu qu’il s’agit d’une procédure de co-décision entre le Conseil et le Parlement européen, la prochaine étape verra soit, le Conseil avaliser la seconde lecture duParlement, soit, en cas de désaccord, entamer une procédure de conciliation entre le Parlement et le Conseil.
1. Le texte de deuxième lecture avec amendement :http://www3.europarl.eu.int/omk/omnsapir.so/pv2?PRG=CALDOC&FILE=20030702&LANGUE=EN&TPV=PROV&LASTCHAP=9&SDOCTA=2&TXTLST=1&Type_Doc=FIRST&POS=1
2. Il est possible de retrouver les différents arrêts de la Cour européenne sur : http://curia.eu.int/fr/index.htm – Arrêt Commission Compte France – dit NordPas de Calais – réf. C-225/98 et Arrêt de l’affaire « Stagecoach Finland Oy Ab » – réf. C-513/99
3. f.navez@ulg.ac.be – 04 366 31 39 – Centre d’économie sociale de l’université de Liège
4. Position du lobby européen des personnes handicapées sur « European Disability Forum » : http://www.edf-feph.org – tél. : 02 282 46 04.