Un reportage diffusé récemment sur la VRT a remis le sujet de l’intérim et de la discrimination sous le feu des projecteurs. Avec une question sous-jacente : le secteur est-ilcapable de s’autoréguler ?
Le 15 septembre dernier, un reportage diffusé lors de l’émission « Volt » a jeté un nouveau pavé dans la mare de l’intérim. Lors decelui-ci, la VRT a en effet filmé en caméra cachée la réaction de huit agences d’intérim à la requête explicitement discriminatoire d’un (faux) clientdemandant de ne pas recruter des personnes d’origine étrangère. Avec pour résultat six réponses favorables. Un nouvel épisode dans une saga longue de plusieursannées (rappelez-vous le « scandale Adecco » 2000) qui pousse des intervenants de plus en plus nombreux à s’interroger quant à la volonté (ou lacapacité) réelle du secteur de l’intérim à s’autoréguler. Et ceci, même si les « textes » mentionnant la lutte contre la discriminationne manquent pas dans le domaine : charte de qualité signée par tous les membres de Federgon (la fédération de l’intérim), code de bonne pratique repris en annexed’une convention collective de travail datée du 7 mai 1996 ou encore recommandation dans un protocole d’accord de 2007. Sans oublier bien sûr l’arsenal juridique composé, entreautres, de la loi fédérale du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination ou encore des décrets et ordonnances régionales.
Principale structure à se positionner à la suite de l’émission, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme1 fait partie deceux qui s’inquiètent le plus. « Sur les quatre cents dossiers du secteur emploi que nous traitons, quarante-huit sont relatifs au secteur de l’intérim, note ainsiÉdouard Delruelle, directeur adjoint du centre. C’est un chiffre significatif et ce n’est, selon nous, que la face cachée de l’iceberg. Nous commençons dès lors ànous poser la question de savoir si le secteur de l’intérim est à même de s’autoréguler. Pour nous, il existe deux hypothèses. Soit le secteur est de bonnevolonté mais ne fait pas assez, soit il existe une sorte de double langage qui voudrait que le secteur affirme lutter contre le phénomène alors qu’il existe une stratégiecommerciale consistant à accepter les injonctions discriminatoires des clients. Dans ce contexte, nous voudrions que le secteur nous rassure sur le fait qu’il ne pratique pas ce doublelangage », conclut-il, tout en ajoutant que les cas de discrimination observés concernent également des faits basés sur l’âge ou le handicap.
Mystery shopping
Du côté du secteur justement, on fait profil bas. « Ce reportage nous a choqué, déclare Sébastien Delfosse, directeur des relations publiques deFedergon2. Suite aux problèmes que nous avons déjà connus, nous avions mis en place des mesures pour que les consultants soient épaulés lors d’un casd’injonction discriminatoire. Mais certains patrons se disent maintenant qu’ils ont peut-être trop mis ces consultants sous pression [NDLR c’est eux qui devaient tenter de convaincre les »clients discriminatoires » de renoncer à leur projet], la tâche de ceux-ci n’était pas évidente. »
Et Sébastien Delfosse d’annoncer qu’une série de mesures vont être prises. « Nous reconnaissons les fautes. Il y a actuellement un sérieux débat auniveau du secteur. Six agences sur huit, c’est un chiffre parlant. Il faut faire quelque chose pour que les mesures soient respectées. Dans ce cadre, Federgon a décidé de mettreen place, via un organisme tiers, des procédures « undercover » sous forme de « mystery shopping ». Les contacts sont pris et le but est d’avoir unpremier rapport à très court terme. » Un rapport qui devrait aussi permettre à la fédération d’enfin disposer de chiffres concernant les cas dediscrimination, ce qui ne semble pas être le cas à l’heure actuelle. En effet, malgré l’existence d’un médiateur en son sein, Federgon reconnaît que peu de casrelatifs à des faits de discrimination lui parviennent. « Ce nombre est très faible, admet Sébastien Delfosse. Les gens s’adressent en général plus auCentre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. »
Mystery shopping : qu’est-ce que c’est ?
Le « mystery shopping », ou « achat mystère » en français, est une méthodologie d’enquête dans laquelle les enquêteurs se font passerpour des pseudo-acheteurs afin d’avoir une mesure détaillée de la qualité de service offert ainsi que des informations précises qu’il est difficiled’obtenir dans le cadre des enquêtes de satisfaction classiques auprès de la clientèle.
Source : http://www.dedicated.be
Enfin, notons que Federgon annonce également qu’un plan devrait être bientôt mis en place afin d’améliorer la formation des consultants, l’accompagnement, la promotiondes directives internes et la sensibilisation. Des mesures d’autorégulation donc. Et que pense Federgon, justement, des interrogations concernant le bon fonctionnement de cetteautorégulation ? « Nous n’avons jamais dit que l’autorégulation doit remplacer la régulation, continue Sébastien Delfosse. Il y a des textes légaux, il existeune inspection sociale qui doit faire son boulot. À nous de faire le nôtre. »
Peu de plaintes
À parler d’inspection sociale, il existe en effet différentes voies censées répondre à des cas de discrimination. La voie judiciaire en est une. Dans ce cas-ci,l’inspection sociale (régionale ou fédérale) est chargée du contrôle du respect des décrets/ordonnances/lois anti-discrimination. En cas de non-respect de cestextes, une procédure judiciaire peut être entamée à l’initiative notamment de la victime ou de son organisation syndicale devant le tribunal du travail. Néanmoins,ce genre de démarche ne semble pas courante. Notons ainsi que pour la Région wallonne, l’inspection sociale3 déclare ne pas se souvenir d’avoir dressé deprocès-verbal dans le cadre de discrimination en milieu intérimaire. « C’est extrêmement marginal, nous dira-t-on. Nous avons reçu tout au plus une plainte, il ya de cela deux ou trois ans et elle a été transmise au Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme. » Du côté de laRégion de Bruxelles-Capitale, la situation est un peu plus compliquée. « Nous attendons en effet toujours la désignation des fonctionnaires censés êtreaffectés à la surveillance de l’ordonnance du 4 septembre 20
08 relative à la lutte contre la discrimination et à l’égalité de traitement enmatière d’emploi, déclare Georges Van Den Hende, directeur de l’inspection sociale de la Région de Bruxelles-Capitale4. Néanmoins, nous pouvons travaillerà l’heure actuelle sur la base de l’ordonnance du 26 juin 2003 relative à la gestion mixte du marché de l’emploi en Région de Bruxelles-Capitale. Mais même sur labase de cela, nous avons eu en tout et pour tout un cas. »
C’est peu, on le voit. Et chez certains syndicalistes également, on pointe le faible nombre de plaintes. Comme Michel Pluvinage, responsable intérim à la CSC5.« Il est vrai que le syndicat reçoit peu de plaintes à ce sujet, peut-être parce qu’il n’est pas évident pour quelqu’un de discriminé de se rendre comptequ’il l’est. Maintenant, nous estimons qu’il ne peut y avoir de discrimination, dit-il. Nous sommes prêts à aller jusqu’au judiciaire. On a beau faire, la seule manière efficacede procéder, c’est de sanctionner par voie judiciaire ou par retrait d’agrément. » Un retrait d’agrément qui constitue en effet une autre possibilité, par voieadministrative donc, pour sanctionner des cas de discrimination. Or, ici aussi, les chiffres semblent un peu faméliques. En effet, du côté de la Commission consultative et deconcertation en matière de placement6 (Région wallonne), qui peut remettre un avis concernant la suspension ou le retrait de l’agrément au gouvernement wallon, on nousconfirme qu’aucun cas ne serait remonté depuis bien longtemps. Même son de cloche au Conseil économique et social de la Région de Bruxelles-Capitale7 (qui peutégalement remettre un avis au ministre à ce sujet) où l’on nous dit qu’il y aurait eu un avis négatif en 2007 à la suite des présomptions d’infraction. LeConseil aurait également été saisi à une reprise par Benoit Cerexhe (CDH), ministre de l’Emploi de la Région de Bruxelles-Capitale, pour une enquête dans unpossible cas de discrimination.
Fautifs, les employeurs ?
Du côté de la FGTB8, le retrait d’agrément ne semble pas susciter non plus énormément de réactions. Le syndicat semble même faire preuved’une certaine modération à l’égard du secteur de l’intérim. En effet, s’il dit ne pas s’étonner des « révélations » faites parla VRT, Jacques Michiels, responsable de la coordination intérim de la FGTB, ne charge pas non plus complètement les agences. « Le retrait d’agrément ? Pourquoipas ? Mais cela ne fait porter la responsabilité que sur les seules sociétés d’intérim, nous dit-il. Or il faut être objectif : les sociétésd’intérim ne sont pas les seules à fauter. Il faut aussi faire attention au comportement des employeurs, qu’il convient également de responsabiliser. » Et lesyndicaliste d’évoquer la possibilité de « remonter à la source » et de prévoir éventuellement des sanctions financières pour lesentreprises émettant des injonctions discriminatoires, voire une interdiction pour ces entreprises de recourir encore à l’intérim. L’idée de « listesnoires » est également évoquée.
On retrouve cette même modération auprès de la CGSLB9. « Nous sommes évidemment contre toute forme de discrimination. Mais l’engagement d’untravailleur est quelque chose d’irrationnel, déclare à ce propos Didier Seghin, du service presse du syndicat libéral. On peut faire toutes les lois que l’on veut, si unemployeur a décidé d’avoir une jeune femme blonde, il aura une jeune femme blonde. Ce qu’il faut plutôt essayer de faire, c’est changer les mentalités par des actions desensibilisation. C’est à notre sens plus subtil. Nous avons pour ce faire une cellule diversité dont le but est d’expliquer aux employeurs que refuser la diversité est unéchec. Une entreprise ne peut se permettre d’avoir un seul type de pensée, ne fut-ce que pour avoir assez de clients capables de se retrouver dans l’image del’entreprise… »
Un secteur ultra concurrentiel
Ce type de propos est également tenu chez Manpower10, une société d’intérim. « Si nous devions vraiment être discriminatoires, nous aurionsune activité moindre. Il risque d’y avoir bientôt une pénurie de main-d’œuvre dans certains domaines. Si nous voulons ne fut-ce qu’encourager notre activité, nous nepouvons pas être discriminatoires », nous dit Philippe Lacroix, administrateur délégué de Manpower Belgique/Luxembourg, qui insiste également sur ledialogue avec le client « discriminatoire » et regrette également le manque d’accent mis sur le versant éducatif. « Le problème de ladiscrimination n’est pas uniquement celui de l’intérim, c’est un problème de société. Si l’on investit dans l’éducation, il n’y aura plus besoin de contrôle.Je ne suis pas partisan du « mystery shopping ». J’aurais préféré que l’on mette sur pied une plate-forme de travail composée des syndicats, des sociétésd’intérim et du monde politique et que celle-ci travaille sur les méthodes réelles afin de lutter contre la discrimination. »
Dans une situation délicate, le secteur de l’intérim, on le voit, se défend. Il est clair que ce secteur, à vocation commerciale ne l’oublions pas, se trouve souventpris entre le marteau et l’enclume. Peur de perdre son client et respect des lois sont souvent mis en balance. « C’est pour cela qu’on n’a pas 100 % de résultats au niveau de la luttecontre la discrimination, affirme Mark De Smedt, directeur général d’Adecco11. Le secteur de l’intérim est ultra concurrentiel. Un client, en mettant le paquet surl’un ou l’autre consultant, aspire à le faire céder sous la pression. À nous, en tant que secteur, de résister et de dire « non », même au « meilleurclient ». »
En l’absence de solution miracle la question initiale revient : est-ce finalement au secteur à sanctionner ses propres écarts ou une solution externe doit-elle êtreapportée au problème ? Pour ce qui est du secteur, Jacques Michiels a une opinion sur le sujet : « Federgon est une fédération qui a des affiliés.Et je ne crois pas beaucoup dans le fait qu’une fédération puisse avoir vocation à sanctionner ses propres affiliés… » Et du côté de Federgon,justement, Sébastien Delfosse déclare : « Nous ne nous inscrivons pas dans le répressif. Cela dit, même si je m’avance peut-être, si unesociété devait continuer à appliquer des principes discriminatoires, elle pourrait peut-être être exclue de Federgon. »
Dès lors, c’est peu
t-être du côté du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme que pourrait venir la solution. ÉdouardDelruelle détaille pour ce faire les propositions du Centre : « Il s’agit premièrement d’agir au niveau des instances d’autorégulation des opérateurs. Lesagences d’intérim sont de grosses structures qui ont les moyens de mettre des contrôles sur pied. Deuxièmement, le milieu judiciaire est très inégalement conscientdes problèmes de discrimination. Il existe certains milieux judiciaires où il n’y a pas de prise de conscience du phénomène, spécifiquement pour l’emploi. Il fautaussi travailler là-dessus. Enfin, troisièmement, il faut que le milieu politique mette la pression, dit-il, avant de conclure. Il faudrait que le fait de non-discriminer ne soit pas unsimple engagement de la part des agences. C’est vraiment important, parce qu’il s’agit d’un secteur décisif. S’il existe une discrimination structurelle persistante à ce niveau, on neva jamais y arriver… »
1. Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme :
– adresse : rue Royale, 138 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 212 30 00
– courriel : epost@cntr.be
– site : www.diversite.be
2. Federgon,
– adresse : Tour & Taxis, av. du Port 86 C bte 302 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 203 38 03
– courriel : info@federgon.be
– site : www.federgon.be
3. Inspection sociale de la Région wallonne :
– adresse : place de Wallonie, 1 à 5100 Jambes
– tél. : 08133 44 21
– courriel : p.peykens@mrw.wallonie.be
– site : www.botaniquellonie.be
4. Inspection sociale de la Région de Bruxelles-Capitale
– bd du Jardin Botanique, 20 à 1035 Bruxelles
– tél. : 02 800 35 00
– courriel : ire@mrbc.be
– site : www.bruxelles.irisnet.be
5. CSC :
– adresse : chée de Haecht, 579 à 1030 Bruxelles
– tél. : 02 246 31 11
– site : www.csc-en-ligne.be
6. Conseil économique et social de la Région wallonne :
– adresse : rue du Vertbois, 13c à 4000 Liège
– tél. : 04 232 98 11
– courriel : info@cesrw.be
– site : www.cesrw.be
7. Conseil économique et social de la Région de Bruxelles-Capital :
– adresse : bd Bischoffsheim, 26 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 205 68 68
– courriel : cesr@ces.irisnet.be
– site : www.ces.irisnet.be
8. FGTB :
– adresse : rue Haute, 26-28 à 1000 Bruxelles
– courriel : webmaster@accg.be
– site : www.accg.be
9. CGSLB :
-adresse : bd Poincaré, 72-74 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 558 51 50
– courriel : cgslb@cgslb.be
– site : www.cgslb.be
10. Manpower Belgique :
– adresse : av. Louise, à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 639 10 70
– courriel : jobs@manpower.be
– site : https://candidate.manpower.com
11. Adecco Group Belgium
– Noordkustlaan 16b à 1702 Groot-Bijgaarden
– tél. : 02 583 91 11
– courriel : info@adecco.be
– site : www.adecco.be