On vous en parlait il y a quelques mois (voir Alter Echos n°258), une instruction administrative de l’Onem a modifié le nombre d’heures de formation hebdomadaire requispour obtenir la dispense de recherche d’emploi. Jusqu’en juin 2008, ce minimum était de dix heures, il est aujourd’hui passé à vingt heures. Un changement lourdde conséquences pour nombre d’associations et de centres d’enseignement de promotion sociale.
Le temps à peine de prendre connaissance de la mesure – beaucoup d’organisations ainsi que des centres d’enseignement de promotion sociale n’ont en effet pasété prévenus du changement intervenu – et les premiers effets négatifs se sont déjà faits sentir.
Ainsi, à Bruxelles au CFEP, Centre féminin d’éducation permanente1, qui dispense, entre autres, une formation en bureautique et Internet et une formation enconnaissances de gestion pour des femmes peu qualifiées, le changement du nombre d’heures requis pour la dispense, pose sérieusement problème. « Actiris n’a pasprévenu de ce changement, l’Onem non plus, explique Francine Ramackers, coordinatrice du CEFP. Nous avons dû improviser à la rentrée pour répondre auxinquiétudes de nos stagiaires. Pour notre formation en gestion, nous dispensons deux fois six heures de cours par semaine. Certaines femmes ont renoncé, n’osant pas prendre lerisque de suivre une formation de moins de vingt heures et de se voir, de ce fait, exclure du chômage. On conseille aux femmes qui sont convoquées de ne pas dire qu’elles suiventune formation chez nous, car elles pourraient être considérées comme non disponibles sur le marché du travail. Nous n’aurons pas d’autre choix à larentrée prochaine que d’offrir les fatidiques vingt heures, avec le risque, cette fois, inverse : que certaines femmes renoncent également à s’inscrire. Aujourd’hui,deux journées par semaine, ça permet de concilier avec la vie familiale. Si on augmente le temps de formation, certaines vont devoir renoncer. C’est absurde, on produitl’effet inverse de celui escompté. Veut-on ou non des gens formés, avec un projet, prêts à intégrer le marché du travail ? Parfois, on se ledemande… »
Témoignages
Y., stagiaire au CFEP dont nous conserverons l’anonymat, témoigne : « J’ai été convoquée par l’Onem le mois dernier. Je n’ai pas dit aufacilitateur que je suivais la formation en connaissances de gestion. J’ai dû en vitesse rédiger des lettres pour justifier ma recherche d’emploi alors que je suis enformation. C’est idiot. Je sais maintenant que je dois encore chercher du boulot et que je suis censée devoir accepter une proposition de travail au risque de devoir interrompre maformation. »
F. a, elle aussi, été convoquée : « j’ai dû brosser les cours pour me rendre à ma convocation. Là, c’est à chaque fois unfacilitateur différent. J’avais respecté le contrat passé, à savoir ramener deux attestations d’entreprise d’intérim certifiant mon inscription.Le facilitateur a voulu me suspendre durant quatre mois de mes allocations de chômage parce qu’une des agences d’intérim n’avait pas mis le cachet avec la date.J’ai dû me fâcher et, finalement, il a considéré mon contrat comme respecté mais on a vraiment l’impression quand on sort de là, que c’estune chasse aux sorcières, la course aux quotas ! »
B. a également tu sa formation en cours au facilitateur, « mais je lui ai amené les preuves de ma recherche d’emploi, or quand on a des enfants, plus les cours, cen’est pas facile. Ils m’ont donné un négatif alors que seize mois plus tôt, à ma précédente convocation, j’avais moins de preuves derecherche d’emploi qu’aujourd’hui, et mon contrat avait alors été considéré comme rempli. C’est la roulette russe. Il n’y a pas decritères établis, personne ne dit s’il faut quatre, cinq, six lettres de sollicitation pour être accepté, ça change selon le facilitateur. C’est àla tête du client, si tu t’habilles bien ou pas, si tu emballes bien ton discours… »
« Comment, dans ces conditions, systématiser la formation pour les personnes sous-qualifiées alors que l’Onem, de son côté, durcit les conditionsd’octroi des dispenses ?, interpellait, en septembre dernier, un centre d’enseignement de promotion sociale. De plus, ces personnes sous-qualifiées sont doublement victimes del’activation des chômeurs alors qu’elles font tout pour sortir du système des allocations sociales. Il faut également souligner que ces adultes, souvent en rupturesociale depuis de nombreux mois, voire de nombreuses années, s’engagent dans une formation pour, certes, décrocher un diplôme qualifiant et un emploi par la suite mais,également, dans le but de se resocialiser. Le cas du parent seul avec enfant(s), souvent la mère, est le plus parlant. Pour ces femmes « rentrantes », le fait de suivresimultanément une formation conséquente et de s’occuper seules d’un ou plusieurs enfants après une longue période de chômage les oblige à choisirentre sortir du chômage ou s’occuper de leur(s) enfant(s). »
Négociation et interpellation
Autre exemple problématique de l’application de cette nouvelle disposition de l’Onem : la formation de formateurs alpha de l’Institut Roger Guilbert (IRG)2,enseignement de promotion sociale, destinée à des travailleurs mais aussi à des demandeurs d’emploi. « Il a fallu aller négocier au cas par cas avec lesfacilitateurs de l’Onem car ceux-ci ne dispensaient pas l’étudiant de recherche d’emploi, rapporte Catherine Stercq, co-présidente de Lire & ÉcrireCommunauté française3. La formation comptabilise pourtant les vingt heures requises mais en partie le samedi, or les vingt heures demandées doivent êtreorganisées en semaine. L’IRG a finalement obtenu gain de cause. »
Chez Lire & Écrire, dont la plupart des formations sont inférieures à vingt heures, on a décidé de réagir en adressant un courrier4 aucomité de gestion de l’Onem et à la ministre de l’Emploi, Joëlle Milquet (CDH). « Le passage aux vingt heures a été fait sans aucune concertationavec les associations d’alphabétisation, ce qui pose de nombreuses difficultés au secteur alpha bruxellois et rend la situation ingérable. Les difficultés que nousrencontrons pour augmenter le temps de nos formations de dix à vingt heures tiennent bien évidemment à des moyens financiers trop faibles mais également à desdynamiques pédagogiques qui nous forcent à constater, dans un certain nombre de cas, qu&rsquo
;il est plus efficient de travailler avec des formations qui n’atteignent pas vingtheures par semaine. »
Incohérence
« En effet, précise Catherine Stercq, la grande majorité des formations en alphabétisation offre environ dix heures par semaine. Ainsi, à Bruxelles, seules lesneuf associations d’alpha-ISP bruxelloises et la Promotion sociale seraient en mesure de satisfaire l’exigence des vingt heures fixée par l’Onem. Bruxelles Formation ad’ailleurs exigé que ces formations passent pour 2009 de dix-huit à vingt heures. Mais ensemble, elles ne représentent que 12 % de l’offre à Bruxelles et sontrapidement saturées. De très nombreux demandeurs d’emploi indemnisés n’y trouvent donc pas de place et, pressés par les services de l’Onem, se retournentvers des associations de cohésion sociale ou d’éducation permanente, où travaillent des bénévoles qui les accueillent bien volontiers mais ne peuventrépondre à l’exigence des vingt heures par semaine. Ce sont donc aussi les personnes les plus vulnérables qui se trouvent pénalisées. En Wallonie, lasituation est quelque peu différente car il existe une offre alpha-ISP beaucoup plus importante qu’à Bruxelles. »
Et notre interlocutrice de pointer la contradiction entre les exigences et les moyens : « Il est inadmissible que des bénévoles doivent prendre en charge la formation depersonnes contraintes à celle-ci par les pouvoirs publics. Il faut assumer le financement de sa politique. Dans le cas où un DE ne trouve pas de place dans les dispositifsfinancés pour l’ISP, il ne peut en être tenu responsable et doit pouvoir s’investir sans réserve dans une formation d’alphabétisation de moins de 20heures. »
Jusqu’à présent, pas de réponse officielle de l’Onem. Toutefois, en interne, en off, on avoue que plus personne ne s’y retrouve dans la lasagne desdifférentes réglementations et que donc, chacun applique comme il peut ou comme il veut. La ministre de l’Emploi a, quant à elle, remercié le secteur alpha pour sonrôle actif dans le processus d’accompagnement des demandeurs d’emploi. Elle se dit bien consciente de la surcharge administrative provoquée par la très grandeaugmentation des demandes d’attestation d’inscription aux formations dans le cadre des exigences du plan d’accompagnement des chômeurs, mais selon elle, « le jeu envaudrait la chandelle… » Quant à l’augmentation du nombre requis d’heures de formation, la ministre rétorque que les demandeurs d’emploi peuvent continuerà suivre les formations de moins de vingt heures, mais ils restent alors appelables pour le marché du travail.
« Quant aux difficultés soulevées par notre secteur et l’incohérence des exigences du plan d’accompagnement en regard de l’offre et du financement desformations, elle n’en souffle mot », déplore Catherine Stercq.
1. CFEP :
– adresse : rue du Méridien, 10 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 229 38 42
– courriel : cfep@amazone.be
2. IRG :
– adresse : Campus Ceria Bâtiment 4c, av. Émile Gryson , 1 à 1070 Anderlecht
– tél. : 02 526 75 40
– courriel : secretariat.irg@ceria.be
– site : www.ceria.be/irg
3. Lire & Écrire Communauté française :
– adresse :rue Charles VI, 12 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 502 72 01
– courriel : lire-et-ecrire@lire-et-ecrire.be
– site : http://communaute-francaise.lire-et-ecrire.be
4. Le courrier est téléchargeable sur le site de Lire & Écrire.