Les médias imposent une image de la femme de plus en plus éloignée de la réalité. Les logiciels de retouche d’image ont exacerbéjusqu’à l’absurde cette idéalisation de la féminité. Cette normalisation constitue une véritable violence pour de nombreuses femmes, quis’organisent pour dire leur refus de cette dictature de l’image et présentent des alternatives séduisantes.
Mannequins filiformes, voire anorexiques. Visages enfantins sans rides ni expression. Corps et faciès retouchés par Photoshop au point d’en être méconnaissables.Enfants sexualisés par des tenues sexy et un maquillage outrancier. Imposition insidieuse par les médias d’une image de la femme complètementdéréalisée. Circulation mondiale d’une esthétique globalisée ne correspondant plus qu’aux standards de compagnies multinationales… Ce ne sontlà que quelques-un des effets pervers du formatage industriel de l’image corporelle féminine.
Cette standardisation des corps et de leur représentation n’a pas pour conséquence que la perte de la diversité. Elle engendre également une violence àl’encontre des femmes qui a des effets catastrophiques non seulement sur l’industrie textile, dont le savoir-faire se perd irrémédiablement, mais aussi, et surtout, sur lasanté physique et mentale des femmes et des filles de plus en plus jeunes.
Des réactions se font jour un peu partout dans le monde : suite au décès d’un modèle anorexique, l’Espagne interdit le défilé demannequins trop maigres. En Grande-Bretagne, l’Advertising Standards Authority interdit une affiche de Julia Roberts tellement retouchée qu’elle est considérée commede la publicité mensongère. En France, une députée UMP propose une loi obligeant de mentionner si une photo a été retouchée. En Belgique aussi, ungroupe de femmes a décidé d’agir. Rassemblées au sein de l’asbl Divers’Gentes1, elles ne se contentent pas de dénoncer et de critiquer :elles proposent des alternatives aussi crédibles qu’intéressantes. Divers’Gentes est l’initiative d’une styliste bruxelloise, Rocio Palasiodos, qui mènedepuis plusieurs années une réflexion sur cette violence faite aux femmes à travers les stéréotypes.
Frankenstein à la portée de tous
Le facteur qui a accéléré le plus fortement l’imposition d’une image de la femme totalement déconnectée de la réalité est laprolifération des logiciels de retouche d’image, du type Photoshop.
Il y a quelques années, ces programmes étaient inabordables et réservés à une élite professionnelle qui en faisait un usage modéré,retouchant une ride par ci, un grain de beauté par là. Aujourd’hui, la diffusion massive de ce type de programmes a bouleversé la donne. Chacun peut devenir un petitdocteur Frankenstein et créer son modèle idéal. Mais au lieu de stimuler la créativité et d’encourager la diversité de l’image de la femme, lesmédias et l’industrie textile ont convergé vers un modèle unique. Les logiciels de retouche d’image ne sont plus utilisés pour gommer quelques imperfectionsmais bien pour lisser les corps et les visages afin de les rendre conformes aux normes d’une industrie mondialisée.
De l’image à la réalité : une violence qui ne dit pas son nom
Ces images « déréalisées » exercent une influence morbide sur les femmes et sur les filles. Ces corps rabotés et ces visages dont les expressionsnaturelles ont été effacées deviennent inconsciemment un Graal. Pour satisfaire à ce qu’elles croient être la normalité, elles se contraignent àdes régimes qui mettent en danger leur santé physique. L’anorexie croît dans des proportions effrayantes parmi les jeunes femmes.
Les psychologues affirment que la difficulté ou l’impossibilité de s’identifier à son propre corps produit de la souffrance, des comportements alimentairesinadéquats, des troubles psychiques importants et contribue à développer de graves problèmes de santé qui conduisent certaines de leurs victimes à lamort : anorexie, boulimie, dépression…
Pour mieux correspondre aux standards de la beauté selon les magazines féminins, les femmes se « photoshopent » et publient leurs photos embellies sur Facebook.Les médias sociaux – qui devraient constituer un espace de relations sociales et amicales – deviennent donc l’ultime relais de la standardisation économique. Cesimages idéales véhiculées par les médias et relayées par les femmes elles-mêmes amplifient les difficultés d’intégration. Une femme quin’arbore pas une taille mannequin ou qui présente une particularité physique connaîtra un accès plus difficile au marché de l’emploi.
Des tailles qui rétrécissent à vue d’œil
C’est toute la chaîne textile qui est touchée par la standardisation. L’industrie n’est plus capable de fournir un vêtement de qualité au-delà dela taille 42. L’évolution des marchés vers l’Asie – et principalement vers la Chine – exerce une pression sur la définition des tailles : une robeprésentée comme une taille 38 correspond en fait à une taille 36 d’il y a une dizaine d’années. Autre phénomène accentuant la pression vers lespetites tailles : les modèles sont souvent conçus à partir de corps d’adolescentes, voire de filles prépubères, autrement dit d’enfants dont lecorps n’a pas encore acquis les formes féminines. Si ces vêtements mettent en valeur l’androgynie des préadolescentes, ils ne s’ajustent pas vraiment au corpsd’une femme mature.
Les seules véritables tailles proposées par l’industrie du textile aujourd’hui sont les tailles S, M et L. Et elles ont rétréci de manière drastique cesdernières années : la taille S qui correspondait à un 38 il y a dix ans, correspond aujourd’hui à un 34 ou à un 32. La taille M correspond souventà un 36, la taille L à un 38 et la taille XL à un 40. « A partir de la taille 42, ce qui n’est pas hors standardisation, en tout cas par rapport à cequ’il en était par le passé, les femmes ne trouvent plus dans les rayons la robe qu’elles voient en vitrine », affirme Rocio Pasalodos. Ou alors elles doivent setourner vers les boutiques pour « rondes », avec en corollaire des prix plus élevés et une stigmatisation supplémentaire.
Une perte de savoir-faire qui tue l’emploi local
Rocio Pasalodos voulait créer ses modèles en dix tailles diffé
;rentes, ce qui correspond grosso modo à la variété de tailles de femmes. Elle a vitedéchanté ! En pratique, un styliste crée un prototype qu’il remet à une « patronneuse », qui réalise le patron du modèle. Unespécialiste traduit ensuite ce patron en tailles, l’atelier le coupe et le coud. Mais, insiste Rocio, « neuf fois sur dix, le travail réalisé par la patronneuse necorrespond pas à la réalité : de la taille 34 à la taille 42, ou 44 selon la technicité de la coupe, il n’y a aucun problème. La robe est biencoupée et peut être vendue. Au-delà, ni les ateliers belges de couture, ni les patronneuses indépendantes (qui ont pourtant l’habitude de travailler pour des marquesbelges) ne peuvent rendre un produit fini correspondant à ma demande. »
Pourquoi ? Parce qu’à partir du 44, la technicité requise pour adapter un prototype aux caractéristiques de ces tailles est tout simplement perdue…L’enseignement professionnel n’est plus à même de former du personnel compétent dans ces tailles !
Se réapproprier un savoir-faire et recréer de l’emploi local
Cette perte de savoir-faire n’est pas une fatalité. L’Allemagne, par exemple, a procédé à des mesures de sa population. Cette analyse morphologique a permisde redéfinir des tailles de patron adaptées. L’industrie allemande utilise désormais des patrons qui correspondent à la réalité, ce qui explique aussipourquoi les tailles allemandes sont systématiquement au-dessus des autres tailles européennes… La Belgique pourrait elle aussi décider de redéfinir les besoins de sonmarché. Il faudrait pour cela procéder à une analyse de la population, repenser la formation professionnelle, choisir de recréer des compétences locales capables derépondre aux demandes du marché.
Car, et c’est bien là le paradoxe, la plupart des femmes se situent au-delà de cette fameuse taille 42, quel que soit leur âge. C’est parmi ces femmes égalementque se situe le pouvoir d’achat le plus élevé et non parmi les préadolescentes auxquelles s’adresse principalement l’industrie du vêtement.
Unies’Vers’Elles : un projet qui réconcilie les femmes avec leur image
Les femmes de l’asbl Divers’Gentes développent un projet « Pour elles… par elles ». Il s’adresse aux femmes de 16 à 99 ans. Elles suivent descours de danse, apprennent à marcher, à se maquiller avec l’aide de professionnels – maquilleuses, photographes, chorégraphes, danseurs, musiciens, psychologues,diététiciens, sexologues, juristes, médecins, etc. – qui leur apportent des conseils techniques et contribuent à la prise de conscience de soi et àl’indispensable confiance en soi.
Le projet « Pour elles… par elles » a été lancé en juillet 2010. En novembre de la même année, les femmes ont défilé pour lapremière fois dans le cadre de la Journée nationale de la Femme. Et puis, la mécanique s’est enclenchée avec la participation régulière de 40 personnesdès janvier 2011, un défilé-spectacle en avril à Bruxelles et la récitation d’un manifeste intitulé « Je refuse », ainsi que ladiffusion en août de ce spectacle en Sardaigne lors du Festival des arts de la rue de Marmilla.
Entre-temps, le Bureau d’information publique des Nations Unies (UNRIC) annonçait officiellement son soutien au projet.
Mon corps change, et vos vêtements ?
Pour les mois à venir, l’association met à disposition de ceux qui le souhaitent des outils d’information et de sensibilisation. Elle lance aussi une campagne pour unautre regard et un nouveau défilé-spectacle aux Halles Saint-Géry, à Bruxelles le 29 novembre prochain. Ce spectacle s’intitule : « Mon corps change, etvos vêtements ? » Ce sera l’occasion d’y faire la démonstration qu’on peut retrouver la beauté de la femme sans recourir à la retouchevirtuelle. Des femmes de 16 à 99 ans défileront lors de cet évènement. Qui sont-elles ? Des mannequins professionnels, des étudiantes, des femmes travaillant dansle milieu médical ou autre, des mères, des grands-mères, des familles entières.
« Car ce projet n’est pas seulement un défilé de mode, déclare Rocio Pasalodos. C’est un projet fédérateur. Un projet qui tente de répondreà la douleur des femmes qui ne correspondent pas à un 36 en vitrine et qui viennent me demander si je peux faire quelque chose pour elles, comme si elles allaient voir un docteur austade terminal du cancer… Je trouve cela extrêmement grave. J’ai eu des « patientes » qui n’étaient pas les miennes, mais qui m’étaient envoyées par des psychologues,des psychiatres. Des femmes qui correspondaient à un standard mais qui se voyaient comme des handicapées, qui venaient me voir en détresse profonde, en rupture sociale, enrupture économique, en rupture de travail, en rupture de repère, et avec un vide total de leur propre perception. Ces clientes répétitives sont la preuve d’unprofond malaise dans la société. Je recevais aussi des femmes qui n’avaient pas la taille standard, des femmes qui étaient en obésité, des femmes quin’étaient plus jeunes, qui n’arrivaient pas à savoir qui elles étaient. Comment devaient-elles s’habiller ? Et où ? Des femmes enceintes qui avaient accouché, quine reconnaissaient plus leur corps, qui n’avaient plus de code pour s’habiller, qui étaient en rupture de leur couple alors qu’elles venaient d’avoir un enfant. La majorité des femmes.Il y a aussi des femmes qui ont des handicaps physiques, qui ont une épaule plus haute que l’autre, en chaise roulante, opérées d’un cancer, qui ont perdu leurs cheveux, leursseins, toutes ces femmes, pendant toutes ces années, m’ont amené à ce que je fais aujourd’hui. A dire stop ! »
Ce sont ces femmes-là qui défileront le 29 novembre aux Halles Saint-Géry et qui offriront à ceux qui veulent ouvrir les yeux, une beauté qui ne doit rienà Photoshop ni graphistes des magazines glamour.
Avant le défilé lui-même, une campagne d’affichage urbain autour des Halles Saint-Géry montrera 24 femmes représentant cette diversité.
1. Asbl Divers’Gentes :
– adresse : rue de Savoie, 134 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 345 68 11
– GSM : 0497 79 33 11
– courriel : rociopasalodos@gmail.com
– site : http://diversgentes.wordpress.com/