La médecine, elle ne l’a jamais conçue que dans un quartier défavorisé, en généraliste de première ligne, et en refusant catégoriquement lemisérabilisme. Son combat, depuis plus de trente ans, c’est celui pour l’avortement et la défense des femmes.
Un jeune homme d’origine africaine entre, s’assied, attend quelques minutes puis ressort. Un quart d’heure est passé, il rentre à nouveau, se rassied dans la salle d’attente, puisfinit par ressortir encore.
Pour la troisième fois, il pénètre à nouveau dans la salle. La médecin a compris son manège en venant chercher les patientsprécédents. Cette fois, elle lui enjoint, avec charme et humour, mais fermement, de patienter. La demande ne souffre aucune discussion. Le jeune homme s’assied et attend lesrésultats de ses analyses sans broncher.
Cette femme médecin, c’est Dominique Roynet. Une praticienne aux convictions d’acier dans une blouse blanche de velours!
Un peu plus tard, durant l’interview, elle expliquera que, effectivement, nous sommes ici dans un quartier à forte densité de population musulmane. « Vous avez vutout-à-l’heure, le jeune homme, qui n’arrêtait pas de faire des allers et retours entre mon cabinet et la mosquée? »
Ce quartier, dit défavorisé, elle l’a choisi. C’est dès la fin de ses études, en 1979, qu’elle s’est établie rue Verte, en plein centre de Schaerbeek, non loinde la Gare du Nord. Pour elle, à l’époque, pas question d’aller s’enfermer dans les hôpitaux, ni d’exercer dans les communes favorisées.
Ce que Dominique Roynet veut, sa vocation depuis ses études de médecine, c’est exercer en première ligne. Là où la médecine généralisteprend tout son sens.
Elle ouvre donc son cabinet et crée, avec une collègue, une maison médicale – non parce qu’il s’agit d’une « maison médicale » au senspropre du terme, mais par sympathie et proximité de pensée avec l’esprit du renouveau médical de l’époque. Il y a une trentaine d’années en effet, le Germ, legroupe d’étude pour une réforme de la médecine, jetait les bases d’une prise en charge médicale globale, impliquant des soins de santé intégrés et desintervenants de disciplines multiples (médecins, infirmières, psychologues, assistantes sociaux…).
« Le généraliste, c’est le médecin qu’on vient voir quand on a un problème de santé, explique Dominique Roynet. Dans des quartiers qui sont plusfavorisés, les gens ont leur dermatologue, leur cardiologue, leur gynécologue… et ils vont voir leur généraliste quand ils ont un bobo ou un rhume, ou pourrenouveler leur prescription… » Le message est clair!
Pas de misérabilisme!
Mais attention, ici pas de misérabilisme. Bien sûr il y a de la pauvreté, des situations de grande précarité, mais il y a aussi des personnes très riches.Dans son cabinet, Dominique Roynet reçoit une population extrêmement variée, à un détail près cependant, il n’y a quasi pas de« Belges ».
Elle soigne des familles depuis quatre générations. Des pathologies tout ce qu’il y a de plus classique pour ces personnes issues de l’immigration maghrébine,installées ici depuis une quarantaine d’années, et qui constitue une petite bourgeoisie schaerbeekoise.
Il y a aussi les commerçants de la rue de Brabant. « Très très riches, ces commerçants! », constate Dominique Roynet. Et puis il y a lesprostituées de la rue d’Aerschot, amenées par leur dame de compagnie dès les premiers signes d’un souci de santé. « Il ne s’agit pas qu’elles tombent malade,elles ‘doivent’ rentrer de l’argent! »
Et il y a les clandestins, nombreux dans le quartier. Leurs problèmes de santé sont souvent plus lourds. « Ils ont peur de sortir de la clandestinité, donc ilsarrivent tard, avec des pathologies souvent plus lourdes parce qu’elles ont trainé », déplore Dominique Roynet.
« Mais je ne veux pas donner de ces gens l’image de la misère intégrale, et nous autres dévoués à la misère. Non, c’est pas ça! C’estpas mon truc à moi! » assène la médecin.
« Une des façons de sortir de la pauvreté, poursuit-elle, c’est de donner aux gens une certaine dignité. Dans la salle d’attente on écoute de la musiqueclassique. Les gens lisent Le Vif et Le Nouvel Obs. D’ailleurs il n’y en a presque plus parce qu’ils les piquent systématiquement, ce qui est très bien! »
Lutter pour l’avortement
Médecin de première ligne, Dominique Roynet l’est aussi dans un autre combat, celui pour l’avortement. Un combat qu’elle mène depuis ses études, sous l’égide duprofesseur Peers.
Médecin et gynécologue, Willy Peers fut le chef de file de la lutte pour la légalisation de l’avortement dès la fin des années ’50. Une figureemblématique auprès de laquelle Dominique Roynet apprend, entre autres, à pratiquer l’avortement. C’est donc tout naturellement qu’en 1979, à côté du tempsqu’elle passe à la maison médicale de la rue Verte1, elle rejoint la petite équipe du planning familial des Marolles.
Elle y passera treize ans. Treize années à, notamment, suivre les grossesses non désirées et pratiquer des avortements, qui lui vaudront quatre inculpations. Puis, en1992, elle se lance et décide de mettre sur pied un planning familial à Rochefort2, plus exactement à Jemelle. « Rochefort, c’est une régionoù il fallait faire quelque chose. Des centaines de femmes couraient chaque année à Bruxelles ou à Liège. Des femmes qui bien souvent n’étaient pas encondition d’avorter ouvertement. Des mineures, des femmes mariées dans des situations de grossesse cachée… », explique Dominique Roynet.
Par ailleurs, Jemelle est sur la ligne de chemin de fer qui relie Bruxelles à Luxembourg. Une toute petite gare, donc, mais sur un axe stratégique puisqu’il permet d’accueillir desfemmes qui viennent du Sud de la Belgique, du Grand-Duché du Luxembourg ou du Nord de la France.
Depuis 1992, Dominique Roynet partage donc son temps entre Schaerbeek et Jemelle. 40 000 kilomètres par an! Mais combien de milliers de kilomètres économisés pourtoutes ces femmes qui ne doivent plus se déplacer dans les grandes villes.
Et la médecin de continuer à pratiquer les interruptions volontaires de grossesse et de se battre pour que l’IVG reste un droit fondamental des femmes. Jusque dans les médias,qui l’invitent régulièrement à intervenir sur le sujet.
Enseigner la santé reproductive et sexuelle
La planification familiale, la contraception, l’interruption de grossesse, mais aussi les violences intra-familiales, les violences faites aux enfants ou aux femmes, la malnutrition des pluspetits, etc. Autant de sujets complexes que la m&eac
ute;decin enseigne à l’ULB.
« Je suis persuadée que la santé reproductive et sexuelle des femmes n’est pas assez enseignée », explique Dominique Roynet. Cela doit pourtantêtre connu des médecins généralistes. Ils doivent pouvoir maîtriser la contraception, orienter les femmes. Cela n’est possible que dans le cadre d’une relation deconfiance, avec un médecin qui connaît les problématiques, souligne la médecin.
Il faut non seulement pouvoir être à l’écoute des problématiques intra-familiales, mais aussi pouvoir les repérer. Il faut apprendre les théories sur larelation et les systèmes maltraitants au sens large – que ce soit au sein de la famille, au travail ou ailleurs – il faut connaître les caractéristiques de lamaltraitance (et de la bien traitance) pour pouvoir les reconnaître même quand les personnes elles-mêmes ne sont pas conscientes du fait qu’elles en sont victimes.
La santé sexuelle, et l’absence de santé sexuelle, ne sont pas des sujets simples. Il s’agit de l’absence de désir ou de l’impuissance, par exemple, et bien sûr desviolences faites aux femmes, car les causes fondamentales de la maltraitance des femmes sont à trouver dans une relation dominant-dominée, selon Dominique Roynet. Autant dematières complexes sur lesquelles les médecins généralistes risqueraient bien de faire l’impasse si la médecin ne leur communiquait pas les notions fondamentales dela planification familiale.
Pas « politicienne » pour un sou – Dominique Roynet ne s’est jamais affiliée à un parti – la médecin au franc-parler et au sourire charmeurpoursuit ses combats, éminemment politiques, pour une médecine générale qui fait sens. Et pour les femmes et leur droit à l’avortement. « Les lobbiesanti avortement sont puissants. Le combat est loin d’être terminé. Il faut rester vigilant. Toujours », conclut-elle.
1. Maison médicale Verte :
– Adresse : Rue Verte, 233 à 1030 Schaerbeek
– Tél.: 02 217 78 89
2. Centre de planning familial de Rochefort :
– Adresse : avenue de Ninove, 77 à 5580 Jemelle
– Tél. : 084 22 18 22
– Site : http://www.planningrochefort.be