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Regard critique · Justice sociale

Addictions

Drogues en prison: un suivi inégal

L’accompagnement et l’orientation des détenus toxicomanes ne sont pas similaires d’une prison à l’autre. Pendant quelques années, le SPF Justice a tenté d’assurer plus de cohérence, avant d’arrêter le financement des projets en 2016, et de renforcer, au final, la désorganisation.

La prison de Saint-Gilles participe au projet pilote améliorant la prise en charge médicale et psychologique des prisonniers présentant des problèmes liés aux drogues. Photo : CC_Ritchie Argue

L’accompagnement et l’orientation des détenus toxicomanes ne sont pas similaires d’une prison à l’autre. Pendant quelques années, le SPF Justice a tenté d’assurer plus de cohérence, avant d’arrêter le financement des projets en 2016, et de renforcer, au final, la désorganisation. 

Il n’existe actuellement pas d’offre cohérente ni de qualité identique des prestations d’aide aux usagers incarcérés dans les prisons belges. Pourtant, environ deux tiers des détenus indiquent avoir consommé des substances illégales. Parmi ceux-ci, un tiers disent avoir consommé un produit illégal en détention. Face à ce phénomène, des points centraux de contact, d’orientation et d’accompagnement (PCOA) pour les usagers de drogues ont été en mis en place dès 2011 en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles. Ces points de contact sont nés du constat que les détenus éprouvent des difficultés, au moment de leur libération, à se mettre en lien avec les prestations d’aide pour usagers de drogues. Malgré une évaluation scientifique positive, le SPF Justice a mis un terme au financement de ces projets l’an dernier. Conséquence: la fin d’un soutien spécifique et spécialisé aux usagers de drogues au sein de la plupart des prisons belges, et ce, malgré le développement de diverses initiatives.

Malgré une évaluation scientifique positive, le SPF Justice a mis un terme au financement des projets PCOA l’an dernier.

En Flandre, l’initiative a toutefois perduré à travers le CAP (Centraal Aanmeldpunt voor Druggebruikers), un point d’accueil présent dans l’ensemble des prisons du nord du pays. Par contre, comme l’a indiqué le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), dans une question parlementaire en novembre dernier, aucune initiative de ce genre n’existerait désormais à Bruxelles et en Wallonie. Pour les acteurs de terrain francophones, il s’agit d’une réponse caricaturale de la part du ministre fédéral. À Bruxelles, le service Prisme de l’Ambulatoire Forest a décidé de maintenir l’activité de PCOA, et ce, sans financement, tandis que d’autres, comme CAP-ITI (Centre d’accueil postpénitentiaire et d’information aux toxicomanes incarcérés), se sont spécialisés depuis des dizaines d’années dans les actions de prévention et d’accompagnement en milieu carcéral. «Nous faisons ce travail depuis 30 ans. Mais comme nos subsides sont régionaux, le SPF Justice fait comme si on n’existait pas», dénonce, en colère, Josette Bogaert, coordinatrice de CAP-ITI. «Dès leur entrée en prison, les détenus avec des problématiques d’assuétudes sont rencontrés pour faire une anamnèse de leur situation, ce qu’ils ont déjà fait en matière de traitement, ce qu’ils voudraient faire, ce qu’ils ne veulent plus faire. Sur cette base, une orientation leur est proposée…», continue-t-elle.

Dans une seule prison en Wallonie

La Fedito wallonne poursuit, elle aussi, ce travail d’accompagnement et d’orientation qu’elle menait en tant que PCOA, mais dans une seule prison, à Lantin, alors qu’elle le faisait dans toutes les prisons du sud du pays grâce au financement du SPF Justice avec son projet «Step by step». La Fedito a milité pour que ce projet perdure dans toutes les prisons wallonnes. «Quand on a sollicité la Région, on l’a fait pour l’ensemble des prisons, mais cela représentait un budget de près de 250.000 euros par an. On avait aussi proposé la continuité du projet sur Lantin, en se disant que cela correspondait sans doute mieux au budget qu’allait pouvoir débloquer la Région», explique Pascale Hengens, coordinatrice de projets au sein de la Fedito wallonne.

«Step by step» soutient les usagers de drogues incarcérés dans la recherche d’une prise en charge adéquate pendant et après la détention. Au moyen d’entretiens individuels qui ont lieu en prison trois fois par semaine à la prison de Lantin et qui se font sur une base volontaire, le projet propose des informations concernant l’accompagnement ou les traitements disponibles. Le service facilite l’accès et la continuité des soins tant vers les services externes spécialisés que vers les services intervenant au sein de la prison. En 2017, 140 personnes ont pu être rencontrées, soit un total de 328 entretiens. «C’est une toute petite intervention que nous menons, mais qui permet une légère amélioration de cette prise en charge dans la continuité des soins des détenus toxicomanes entre la prison et l’extérieur. Step by step est un intermédiaire apprécié des services externes spécialisés qui n’ont plus le temps, ni le financement pour aller en prison pour faire ce travail. Il n’y en a plus que quelques-uns qui le font», ajoute la coordinatrice.

En termes de soutien aux détenus, certains d’entre eux ont pu entrer dans des parcours de soin à l’extérieur, mais cela reste très difficile: «Par exemple, en région liégeoise, il n’y a plus de centre de postcure qui accueille des détenus. Parce que c’est une population considérée comme trop complexe, trop aléatoire. On a beau être un lien entre l’interne et l’externe, la continuité des soins doit être améliorée», continue Pascale Hengens.

Un nouveau projet pilote

En attendant, la Fedito wallonne participe au projet pilote lancé par la ministre fédérale de la Santé, Maggie De Block (Open VLD), dont le but est d’améliorer la prise en charge médicale et psychologique des personnes en détention présentant des problèmes liés aux drogues, là où les PCOA n’offraient qu’un travail d’accompagnement. «L’idée est de repérer, dès l’entrée en prison, les problèmes addictologiques», commente Pascale Hengens.

Outre Lantin, deux autres prisons (Saint-Gilles et Hasselt) participeront à ce projet pendant deux ans. En Région bruxelloise, c’est l’asbl I-Care qui coordonnera le projet. Pour sa directrice, Vinciane Saliez, c’est une petite révolution, «étant donné que c’est le SPF Santé publique qui met un pied dans la porte des prisons. C’est un transfert de compétences qui est doucement en marche face à un ministère de la Justice submergé par la problématique des détenus toxicomanes». Chaque association engage une petite équipe composée d’un médecin, d’un psychologue, d’infirmiers et d’un coordinateur pour faire le lien entre l’intérieur et l’extérieur de la prison avec les autres services d’accompagnement et de soutien aux détenus toxicomanes. «Chaque équipe va s’intégrer dans le service médical de la prison, tout en étant indépendante sur ce projet. C’est tout l’enjeu: être en prison, mais autonome. De cette façon, on pourra augmenter la qualité des soins ainsi que leur continuité», ajoute Vinciane Saliez.

«Le projet pilote lancé par la ministre fédérale de la Santé Maggie De Block est une petite révolution: c’est le SPF Santé publique qui met un pied dans les prisons.», Vinciane Saliez, asbl I-Care

L’idée est de former l’équipe médicale de la prison sur l’accompagnement et la prise en charge des détenus usagers de drogues, et ce, afin d’identifier plus rapidement les détenus usagers, «même si on sait très bien que ce sera très compliqué à faire parce que la consommation de drogue reste un sujet tabou, surtout en prison. Cela peut engendrer des répercussions très importantes, en termes de fouilles, situation qui fait que les usagers de drogues préfèrent le cacher», continue la directrice de l’asbl I-Care. D’autant qu’il y a eu ces dernières années une diminution du suivi de ce public. «Au fur et à mesure, certains projets ou services ont été de moins en moins financés, et ont même vu leur entrée en prison se limiter. C’est toujours la problématique du financement, notamment quand il vient du SPF Justice. Cela peut s’arrêter du jour au lendemain. Cela reste extrêmement précaire», constate Vinciane Saliez.

À côté d’I-Care, la Fedito bruxelloise a pris un rôle actif dans l’édification des principes dans lesquels devait s’inscrire ce projet pilote. «Les lacunes sont tellement grandes en prison, et la problématique de la drogue est si aiguë qu’il faut sauter sur chaque occasion. L’essentiel est que ce nouveau projet est pensé en lien avec le terrain. Les acteurs bruxellois ont été impliqués, ce qui n’était pas le cas avec les PCOA imposés par le SPF Justice», se félicite, de son côté, Sébastien Alexandre, directeur de la Fedito Bruxelles.

En savoir plus

«Santé, prison: l’équation insoluble?», Alter Échos web, 19 novembre 2015, Marinette Mormont.

«Sortir de prison, pas si facile», Alter Échos n°413, 3 décembre 2015, Marinette Mormont.

«Quels moyens sont mis en œuvre en prison pour favoriser la réinsertion des détenus?», Alter Échos web, Manon Legrand, 22 avril, 2015.

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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