Dépassé par la vente de drogues « légales » sur internet, le gouvernement a décidé d’agir. Une proposition de loi est en préparation. L’idée : élargir l’interdiction à tous les produits psychotropes, sauf exceptions. Une fuite en avant que dénoncent les associations.
Les drogues de synthèse ont le vent en poupe. Le MDMA n’en finit pas de faire des adeptes. Quant à la méphédrone, elle est un peu tombée dans l’oubli. Cette sorte de cocaïne de synthèse a connu son apogée lorsqu’elle était en vente libre, sur le net. Puis cette substance – que certains nommaient « miaou-miaou » – a été interdite. Cela n’a pas empêché de voir fleurir d’autres petites pilules, aux effets très proches de ceux de la méphédrone. Pour cela, une petite modification de la composition moléculaire du produit de base suffit. Les nouveaux produits ne sont donc pas interdits….jusqu’à nouvel ordre.
Tous ces dérivés chimiques de produits stupéfiants qui prospèrent via le web ont un nom : les legal highs. Ils inquiètent beaucoup les autorités qui jouent au chat et à la souris avec les consommateurs et les producteurs. Que ces derniers soient des chimistes en herbe, ou des organisations criminelles. En Europe, 49 nouvelles substances ont été détectées en 2011 et déjà 27 au premier semestre 2012.
Autorités comme associations croient voir dans ces chiffres la preuve que le modèle actuel de lutte contre la drogue est caduque. Les autorités souhaitant renforcer l’interdit alors que les associations réclament que l’on investisse dans la prévention. Rien de bien original, avouons-le. Ce qui l’est davantage, c’est la proposition gouvernementale de réforme du système pénal anti-stupéfiant.
Les autorités se sentant dépassées par le phénomène des legal highs, elles ont choisi « d’intensifier la lutte contre (…) ces substances psychoactives non réglementées ». Dans un communiqué en date du 15 mai 2012, on apprend que le gouvernement envisage d’adapter la loi en matière de drogues : « La fabrication, la vente et la fourniture pour la consommation humaine de substances psychoactives seront passibles de poursuites pénales. » Bien, sûr, le Service public fédéral Santé publique, à l’origine de ce communiqué, s’empresse d’ajouter que certaines substances seront exemptes de cette extension de l’interdit : alcool, tabac et médicaments. L’objectif affiché est de faire tomber sous le coup de la loi les éventuelles modifications moléculaires de ces legal highs pour que, justement, elles ne soient plus « légales ».
De nombreuses associations se sont inquiétées de cette annonce gouvernementale. Car, selon elles, on passerait d’un système classique du « tout est autorisé sauf ce qui est interdit » à « tout est interdit sauf ce qui est autorisé », plutôt d’usage dans les « régimes totalitaires » si l’on en croit l’association Infor-drogue. Une proposition de loi serait sur le point de sortir des tiroirs du SPF santé.
Etat de droit : la sortie de route
Chez Infor-drogues, on a tiré la sonnette d’alarme dès le mois de juillet. Antoine Boucher, responsable communication de l’association, dénonce la « logique d’exception » qui sous-tend l’approche officielle en matière de consommation de psychotropes : « Lorsqu’il s’agit de drogues, c’est comme si on pouvait tout se permettre. On passerait d’un système relativement logique, bien qu’inefficace – on détecte, on analyse une substance, on l’interdit, puis on informe de cette interdiction – à une loi qui engendrerait un arbitraire total, une insécurité juridique où personne ne saurait vraiment ce qui est interdit. C’est une sortie de clous des grands principes de l’Etat de droit. »
Ce qui inquiète les associations, c’est la portée potentiellement immense d’un tel texte. Car on trouve des psychotropes un peu partout. Dans la colle, dans l’essence, dans le vernis à ongle et autres produits de nettoyage. Antoine Boucher résume les enjeux du projet de loi à venir : « Soit ils utilisent une définition large type ‘tout produit qui influe sur le système nerveux central’. Dans ce cas, il y aura une série de produits pour lesquels il sera difficile de trancher, comme les solvants industriels par exemple… ou même les tisanes pour dormir. Soit le gouvernement choisit une définition plus serrée. Dans ce cas, il laisserait de côté toute une série de molécules. Lorsqu’une molécule ne sera pas listée, il suffira de la concentrer pour qu’elle devienne beaucoup plus puissante. Le gouvernement sera confronté aux mêmes problèmes qu’aujourd’hui mais dans un contexte plus flou où il sera impossible de savoir si ce que l’on consomme est un psychotrope. »
« Des produits très dangereux »
Côté gouvernement, on met plutôt en avant les dangers de ces nouvelles drogues. Pour Brice De Ruyver, coordinateur de la Cellule générale de politique drogues, qui planche sur le fameux texte de loi, « ces nouveaux produits, par exemple les cannabinoïdes synthétiques, sont très dangereux. Cinq à dix fois plus puissants que les produits naturels. Il y a eu certains cas mortels. La question est ‘comment réagir ?’ Il faut un outil légal pour lutter contre ces drogues qui se multiplient. » Arguant de l’obsolescence programmée de l’actuelle loi en matière de drogues, le coordinateur propose un « nouveau chemin » : « En changeant la loi on cherche à incriminer des familles entières de produits. Notre approche devrait être très efficace et nous permettre de toucher environ 95 % des nouvelles drogues. L’idée est bien d’interdire des substances psychotropes sans rendre impossible l’utilisation légale de certains produits comme les solvants. Mais attention, nous visons surtout les producteurs. En même temps on peut espérer que cela puisse inciter certains consommateurs à être prudents. »
Malgré ces éclaircissements, des phrases ambiguës de l’annonce gouvernementale perturbent certains experts. Christine Guillain, professeure de droit aux facultés universitaires Saint-Louis note que c’est la première fois que l’on viserait la consommation dans un texte de loi : « En général on incrimine la détention de stupéfiants, pas la consommation. » Au-delà du symbole, la juriste dénonce les zones d’ombre qu’on pourrait craindre du nouveau texte contre les drogues : « En droit pénal, les comportements doivent être nommés, ainsi que les produits. C’est le principe de légalité, qui vise à assurer la sécurité juridique. Interdire toutes les substances psychoactives ne serait pas assez précis. »
Prohibition ou légalisation, l’éternel débat
Si le contenu du futur texte de loi reste un mystère, une chose est sûre : on s’oriente vers davantage d’interdits en matière de drogues. Ce qui amène inévitablement des acteurs spécialisés à s’interroger sur l’efficacité de cette stratégie.
A Liège, à la Coordination des actions en toxicomanie, Laurent Maisse le concède : « Nous sommes parfois informés que des gens arrivent à l’hôpital dans un service d’urgence après avoir consommé quelque chose en ne pensant pas que ça aurait des effets aussi dévastateurs. Les legal highs sont difficile à appréhender, car leur consommation peut présenter des risques sanitaires importants. » Un constat globalement partagé : les legal highs ne sont pas bons pour la santé. Une évidence. Mais l’interdiction de ces produits est-elle le gage d’une amélioration de la santé publique ? Rien n’est moins sur. D’ailleurs Laurent Maisse l’admet : « D’un côté il y a des risques importants pour la santé, de l’autre, la criminalisation a peu d’impacts. »
Chez Modus Vivendi, asbl qui vise à la réduction des risques dans le domaine de la santé, on rappelle que l’interdiction de produits n’empêche pas leur consommation. Catherine Van Huyck : « Les produits comme le MDMA ont une très grande accessibilité, ils sont pourtant interdits. Le fait de prohiber amène à consommer des produits plus dangereux, mélangés avec d’autres dans des laboratoires clandestins. Ces produits sont synthétiques. Si le processus de synthèse n’est pas respecté, cela donne des crasses (dérivés de synthèse) à l’effet inconnu. »
Le coup de grâce est donné par Antoine Boucher pour qui l’interdiction, « au lieu de démanteler, produit des filières. La prohibition n’améliore pas la santé publique. La prohibition c’est l’absence de contrôle alors que l’amélioration de la santé publique vient d’une augmentation des contrôles, de la production, de la distribution, de la consommation ». Philippe De Ruyver, lui, ne l’entend pas de cette oreille. Il estime qu’avec un tel raisonnement, c’est la « liberté totale » que l’on prône. Pour « lutter contre les filières tout en agissant pour éviter les cas mortels, il faut agir ».
« On est dans le vide niveau prévention »
Pour les contempteurs de l’approche répressive, il est grand temps de mettre des billes dans la prévention. Selon Julien Nève, coordinateur de l’association Prospective Jeunesse, c’est une évidence : « Le gouvernement accentue sa logique prohibitionniste. Il serait peut-être plus productif de faire une politique créative de prévention et de consulter les associations. » La cellule générale de politique drogues jure ses grands dieux qu’elle aussi souhaite « améliorer la prévention, l’assistance et l’accompagnement ». Philippe De Ruyver, estime toutefois qu’avec ces nouveaux produits qui circulent sur le web, la prévention est difficile : « Les chemins de promotion, de distribution sont très différents. Il n’est pas évident d’atteindre des groupes cibles. Pour l’instant, il ne faut pas le nier, on est dans le vide niveau prévention. Mais il y a eu assez de cas mortels, il ne fallait pas laisser ça comme ça. » Un argument qui fait bondir Catherine Van Huyck : « Affirmer ‘on ne sait pas faire de prévention alors on fait de la répression’ est un argument qui laisse songeur. Peut-être que pour ce public il faut adapter les moyens, mais on peut les toucher. De plus, ceux qui vont sur le net vont souvent sur des forums où ils échangent sur la qualité, sur les effets, sur les risques des produits. » De la prévention par les pairs qui, selon Julien Nève « devrait davantage être mise en avant ».
Un débat crucial que Christine Guillain met en perspective : « On devrait réserver le pénal aux seuls producteurs, car les consommateurs sont souvent visés. Avec ce nouveau texte de loi, on contredirait toutes les déclarations politiques depuis dix ans. » Exemple de déclaration politique, la déclaration conjointe de la conférence interministérielle drogues du 25 janvier 2010 : « La plus haute priorité va à la prévention. Vient ensuite l’assistance aux personnes qui connaissent des problèmes de toxicomanie. La répression est en premier lieu axée sur la production et le trafic. » A méditer.
En savoir plus
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– adresse : rue du Marteau, 19 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 227 52 52
– courriel : [mail=courrier@infordrogues.be]courrier@infordrogues.be[/mail]
SPF Santé publique, cellule drogues :
– adresse : place Victor Horta, 40 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 524 86 18
– site : http://www.politiquedrogue.be
Coordination des actions en toxicomanie de la ville de Liège :
– adresse : rue Lonhienne, 14 à 4000 Liège
– tél. : 04 230 58 09
Modus Vivendi :
– adresse : rue Jourdan, 151 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 644 22 00
– courriel : modus@modusvivendi-be.org
Prospective jeunesse:
– adresse : chaussée d’Ixelles, 144 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 512 17 66
– courriel : info@prospective-jeunesse.be