On ne compte plus les colloques, les évènements, les projets qui font référence à la participation des jeunes et de leur famille. Un droit consacré dansla Convention internationale des droits de l’enfant. Ce droit est-il pour autant respecté ?
« Quand on est placé, on n’a plus rien et on s’attache à l’éducateur du home », déclare une femme le 17 novembre devant unamphithéâtre comble, celui du Parlement bruxellois. A l’invitation de l’association Le Pivot, des parlementaires, des travailleurs associatifs et plusieurs journalistes sont venusécouter attentivement des familles pauvres. Quelques jours plus tard, il était possible de rencontrer le petit monde de l’Aide à la jeunesse lors d’un colloque intitulé« La participation des jeunes, un enjeu éducatif ». On ne compte plus les associations qui reçoivent de menus subsides pour des projets de participation des jeunesde milieux défavorisés. Peut-on pour autant affirmer que le droit à la participation des enfants, inscrit dans la Convention internationale des droits de l’enfant (Cide), estrespecté ?
A l’Unicef Belgique1, on a fait de la participation un cheval de bataille. « C’est l’un des trois piliers de la Cide », nous rappelle-t-on. Le projet« What do you think ? », qui transcrit des paroles de jeunes en revendications politiques n’est plus à présenter. Maud Dominicy, responsable des droits del’enfant à l’Unicef, déplore que « bien souvent, les projets de participation se cantonnent à une simple consultation voire, pire, à de l’instrumentalisationdes enfants ». Pour qu’un projet puisse répondre aux exigences de l’Unicef, il doit aller beaucoup plus loin que la simple écoute : « Le projet doitêtre réfléchi avec les enfants. Il faut s’adapter à eux, à leur langage et prendre le temps. Le but est de tenir compte de leur opinion au même titre que celledes autres. » C’est dans cette idée que l’Unicef organise ses projets participatifs en se focalisant sur les enfants qu’on entend le moins. Des enfants qui vivent souvent dessituations d’exclusion et dont Maud Dominicy dresse l’inventaire : « Les handicapés, les étrangers, les pauvres ou les jeunes placés. Ces enfants sont raremententendus dans les structures participatives. »
Le théâtre participatif
La compagnie « Les nouveaux disparus »2 présente le 11e festival Mimouna qui a eu lieu du 25 au 27 novembre 2011 à Schaerbeek. Pour le préparer, des jeunesâgés de 6 à 20 ans issus de vingt-neuf maisons de quartier, maisons de jeunes ou services d’aide en milieu ouvert (AMO), ont planché pendant trois mois sur le thème« Sois-jeune et tais-toi ».
Ce festival, soutenu par la Fondation Roi Baudouin dans le cadre de l’appel à projets « La parole aux enfants vivant dans la pauvreté », est une initiative quidonne carte blanche à la créativité de jeunes issus de quartiers en difficulté.
Une créativité encadrée, comme l’explique Anne Anthony de la compagnie Les nouveaux disparus : « Dans plusieurs associations participantes, un animateurthéâtre est venu aider. » En poursuivant toujours l’objectif de valorisation de la parole des jeunes : « L’idée, c’est que ça vienne d’eux,dit-elle. Parfois à partir de leurs mots, parfois à partir de textes existants. Ils utilisent aussi l’image, le son, ils sont assez libres. »
La Ligue des droits de l’enfant3 est sur la même ligne que l’Unicef. « La Cide passe mal, de manière générale, et encore plus lorsqu’elle donne undroit à la participation », regrette Jean-Pierre Coenen, le président de la Ligue. Pour montrer l’exemple, la Ligue des droits de l’enfant propose régulièrementdes projets de récolte de paroles d’enfants. Cette année, l’association travaille avec des jeunes de quartiers paupérisés. « Pour que ces jeunes puissent enfindonner leur avis », explique-t-il. Les avis seront ensuite compilés et transmis aux politiques, aux adultes, dans les écoles. Car l’école est une des ciblesrécurrentes de l’association. Jean-Pierre Coenen étaye son point de vue : « Lorsqu’on parle aux enseignants des droits de l’enfant, ils répondent « parlons d’aborddes devoirs ». Mais les droits de l’enfant sont des droits fondamentaux. Le droit à donner son avis est souvent nié aux élèves. » Un constat auquel adhèreBernard De Vos, le délégué général aux droits de l’enfant4, pour qui « la participation est le centre du défi en matière dejeunesse ». Selon lui, l’effort à faire est considérable : « Derrière la participation, il y a l’idée de coopération. Il y a des gens quitravaillent ensemble, qui comprennent l’autre et ses spécificités. Mais il y a des manques partout. Bien souvent, la participation est de façade. La participation des jeunes nedoit pas s’arrêter aux questions de jeunesse. Il faut associer les jeunes aux questions de mobilité, de vieillesse, etc. »
La participation dans l’Aide à la jeunesse : peut mieux faire
Dans l’Aide à la jeunesse, on se réfère souvent à la participation. « Le législateur a prévu de donner la parole aux jeunes »,rappelait Liliane Baudart, la directrice générale de l’aide à la jeunesse5, lors d’un colloque le 22 novembre. Le décret de 1991 relatif à l’Aideà la jeunesse fait la part belle à la participation à tel point que, en théorie, toutes les mesures proposées par le conseiller de l’Aide à la jeunesseà un mineur en danger de plus de 14 ans nécessitent l’accord du jeune. Quant aux services agréés de l’Aide à la jeunesse ou aux institutions publiques de protectionde la jeunesse (IPPJ), ils doivent donner une place structurelle à la parole des jeunes. Ces services sont censés inviter au moins une fois par an des représentants des jeunesdans leurs conseils ou comités pédagogiques.
Liliane Baudart est convaincue des bienfaits de la participation. Mais pas à tout prix. « Il faut permettre une participation respectueuse, affirme-t-elle. Les jeunes peuventêtre mis en situation de représentation. Mais sans encadrement, c’est purement formel. Il appartient aux adultes de former les jeunes afin qu’ils ne servent pas defaire-valoir. » Force est de constater que de nombreux projets de récolte de la parole des jeunes sont développés dans différents services qui dépendentde l’Aide à la jeunesse. Néanmoins, la réalité de terrain est parfois plus trouble. On découvre par exemple que les IPPJ ont décidé de faire fi de laparticipation des jeunes dans les comités p&ea
cute;dagogiques. Une position tranchée qu’assume pleinement Nicole Clarembeaux, la directrice de la coordination des IPPJ :« Cette présence donne l’illusion de la représentation. Il y a de très nombreuses difficultés en IPPJ pour élire un représentant des jeunes. Aulieu de ça, il faut un recueil institutionnalisé de la parole, qui fait partie du projet pédagogique et qui remonte structurellement vers les comitéspédagogiques. »
EVA/GOA, outil participatif de l’Aide à la jeunesse
Depuis 2006, l’Aide à la jeunesse a développé un outil participatif importé du Québec. Il s’agit d’un triple outil visant à l’évaluation et audéveloppement de la capacité du jeune à l’autonomie fonctionnelle. Cette dernière notion faisant référence aux habiletés sociales, à lacapacité de vivre en société. Si cet outil est participatif, c’est que le jeune est régulièrement amené à s’auto-évaluer. L’EVA/GOA aété testé dans une cinquantaine de services privés et publics (dont les IPPJ) de l’Aide à la jeunesse. Mais qu’est-ce exactement ?
1) L’outil EVA (pour évaluation) est une grille d’évaluation remplie par le jeune et l’intervenant social de référence. L’idée étant d’instaurer undialogue autour de la perception des aptitudes du jeune dans la vie quotidienne. Un dialogue qui aboutit à des pistes de travail.
2) Le guide d’outils (le GOA) élaboré par différents acteurs sociaux est une farde d’outils pédagogiques visant à l’autonomie fonctionnelle. Les outils peuventviser des aptitudes très pratiques. Une fiche peut par exemple décrire les questions à poser à un propriétaire pour louer un appartement.
3) Le carnet d’autonomie. Toute l’évolution du jeune est consignée dans un carnet qu’il tient lui-même. Ce carnet permet aussi d’assurer la continuité du travail entreservices.
Ce programme, qui connaît un franc succès, sera prolongé pour les 15-18 ans. Il sera aussi étendu aux 12-15 ans, ce qui augmentera mécaniquement le nombre deservices impliqués. Enfin, un projet pour les mineurs étrangers non accompagnés est en cours de réalisation.
A en croire l’administration elle-même, les efforts fournis sur le chemin de la participation sont déjà considérables. Certains observateurs ne partagent pas pleinementcet enthousiasme. Maud Dominicy est de ceux-là. « La réalité de la participation dans l’Aide à la jeunesse, c’est souvent des groupes de parole pourévacuer les tensions, regrette-t-elle. Il faudrait déjà discuter du concept même de participation avec les jeunes, car celle-ci est bien souventimposée. » Quant à Bernard De Vos, il pointe des insuffisances : « Souvent, dans les faits, la participation ne se passe que de façon trèsformelle. Par exemple, lors des conseils pédagogiques. On donne la voix une fois par an à tout le monde. Et après ? Prenons aussi l’exemple des familles. Lorsque leurs enfantssont placés, alors là, on ne les écoute pas du tout », dénonce-t-il. Ce souci des familles est logiquement partagé par Marc Otjacques, qui participe augroupe Agora au nom de Luttes solidarité travail6. Pour rappel, le groupe Agora est un groupe d’échange entre associations, représentants de l’Aide à lajeunesse et usagers. Selon lui, « l’important, c’est qu’on entende le jeune et ses parents. En ce sens, l’enjeu de l’écrit est essentiel. Les familles ont besoin de savoir ce queles assistants sociaux disent dans des rapports qui servent de base aux décisions. A ce niveau, des choses se font. Désormais, les services agréés peuvent transmettreleurs rapports aux familles. » Marc Otjacques constate les progrès faits par l’administration de l’Aide à la jeunesse, tout en y mettant un bémol. « On nepeut pas juste dire « on écoute ». Il faut mettre en place des outils pour organiser l’écoute et prendre le temps. Les gens doivent être associés aux décisions qui lesconcernent, même dans l’aide contrainte. »
Un bulletin encourageant pour l’Aide à la jeunesse. Un domaine où la législation aide à tendre vers une réelle participation. « Notre chance, conclutMarc Otjacques, c’est qu’il y a un décret qui impose d’associer les jeunes et leur famille aux décisions qui les concernent. »
Quand la RTBF s’emmêle
Dans le secteur jeunesse, « Quand les jeunes s’en mêlent » est une émission qui confine au mythe. C’est « La » grande émission faiteavec la participation active des jeunes. Ils y mettent en avant des idées originales et des initiatives intéressantes. Le lieu idoine pour promouvoir une « image positive desjeunes ». Le programme, diffusé sur La Première, s’adresse aux jeunes d’abord, et à tous les autres. Quand les jeunes s’en mêlent, c’était le samedi etchaque soir de la semaine après 19 heures, via de petites capsules audio de cinq minutes.
Quand la RTBF a annoncé la suppression des capsules quotidiennes et un changement de grille de l’émission, le Conseil de la jeunesse n’a fait qu’un bond. Il faut dire que l’autreémission estampillée « jeunes » – « Coup de pouce » – diffusée à la télé sur la Trois disparaissaittout simplement des écrans.
Face à cette purge médiatique, le Conseil de la jeunesse a pris sa plume et a adressé une lettre ouverte à Jean-Paul Philippot, administrateur général de laRTBF. Une lettre co-signée par une vingtaine d’organisations et pas des moindres : l’Unicef Belgique et la Ligue des droits de l’Homme en font partie.
Dans cette lettre qui ne fait pas dans la demi-mesure, on parle « d’incrédulité et de consternation ». On regrette que les jeunes « redeviennentà la RTBF, comme presque partout ailleurs, ceux dont on parle mais que l’on n’écoute pas, que l’on n’entend pas ». Les signataires dénoncent un« déni du droit des jeunes à l’expression ».
Géraldine Motte, la secrétaire générale du Conseil de la jeunesse, estime que « la participation des jeunes à la RTBF est devenue une coquillevide ». « C’est très important qu’il y ait des émissions faites par et pour les jeunes », ajoute-t-elle. Elle ne désespère pas d’atteindrece but : « Jean-Paul Philippot nous a proposé une rencontre. Il recevra six représentants du secteur. Nous allons mettre des propositions sur la table. »
Jean-Paul Philippot confirme que cette rencontre aura bien lieu. Il en précise les objectifs : « Nous allons nous réunir avec le Conseil de la jeunesse et discuter deleur perception et de ce qu’il est possible de faire dans le futur. La présence des jeunes sur nos antennes est une préoccupation
éditoriale permanente. »L’état de la réflexion tourne notamment autour du public visé par ces émissions. C’est ce que précise Jean-Paul Philippot : « Concernant « Quand lesjeunes s’en mêlent », il y a un débat à avoir. La Première est une radio dont la moyenne d’âge des auditeurs est de 55 ans. Il ne faut donc pas s’attendre àtoucher les jeunes. Il y a peut-être des canaux de diffusion plus appropriés. » Pour « Coup de pouce », la situation est différente :« Nous avons supprimé l’émission pour des problèmes éditoriaux. Ce n’est pas un rejet, vu que c’est notre initiative. Si on redémarre quelque chose de cetype, il faudra trouver d’autres balises, d’autres manières de faire. »
1. Unicef Belgique :
– adresse : bd de l’impératrice, 66 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 230 59 70
– courriel : info@unicef.be
2. Les nouveaux disparus :
– adresse : rue de Liedekerke, 9 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 219 11 98
– courriel : info@lesnouveauxdisparus.com
3. Ligue des droits de l’enfant :
– adresse : av.Hunderenveld, 705 à 1082 Bruxelles
– tél. : 02 465 98 92
– courriel : liguedroitsenfants@gmail.com
4. DGDE :
– adresse : rue des Poissonniers 11-13 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 223 36 99
– courriel : dgde@cfwb.be
5. DGAJ:
– Espace 27 septembre
– adresse : bd Léopold II , 44 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 413 32 06
– courriel : dgaj@cfwb.be
6. LST Andenne :
– adresse : rue d’Horseilles, 26 à 5300 Andenne
– tél. : 085 8448 22
– courriel : andenne@moucement-lst.org