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Regard critique · Justice sociale

Droits de l'enfant et pauvreté : après le super AS, le révolté sans tabou

A contrario des sujets habituels dont raffolent les médias, Bernard De Vos a choisi pour son premier rapport thématique de parler de l’incidence de la pauvreté sur lesenfants et leurs familles.

16-11-2009 Alter Échos n° 284

On le savait Bernard De Vos, le nouveau délégué général aux droits de l’enfant, n’est pas Claude Lelièvre. Et, s’il fallait encore s’enpersuader, il suffit de jeter un œil à son dernier rapport1 pour en trouver confirmation. Le style est direct, la méthode participative et le propos éminemmentpolitique et sans tabou. A contrario des sujets habituels dont raffolent les médias : mineurs délinquants, pédophilie, etc., le poil à gratter des droits de l’enfanta choisi pour son premier rapport thématique de parler de l’incidence de la pauvreté sur les enfants et leurs familles. Un pari osé et qui, espérons-le, ne devraitpas laisser de marbre institutions, parlementaires et autres décideurs politiques.

Parmi les missions du délégué général aux droits de l’enfant figure, en bonne place, celle d’interpeller l’opinion publique et les responsablespolitiques à propos des manquements ou des dysfonctionnements constatés en matière de respect des articles de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant.Depuis sa création, en 1991, l’Institution n’a pas failli à son devoir même si elle est restée très centrée sur les cas individuels : chaquerapport d’activité relate les multiples interventions, interpellations et recommandations formulées au cours des exercices écoulés concernant de nombreuses atteintesaux droits de l’enfant et à son meilleur intérêt. Mais cette année, le nouveau délégué général aux droits de l’enfant (DGDE),Bernard De Vos, a voulu innover en publiant le premier rapport thématique de l’institution : le Rapport relatif aux incidences et aux conséquences de la pauvreté sur lesenfants, les jeunes et leurs familles2.

Loin des baromètres dont regorgent les institutions qui se penchent régulièrement sur l’état de pauvreté dans notre pays, le déléguégénéral et ses services ont choisi d’aller sur le terrain, durant huit mois, à la rencontre des professionnels, mais aussi des familles en situation deprécarité. Cinq conseils d’arrondissement de l’aide à la jeunesse, bien dispersés territorialement, parmi les treize que compte la Communautéfrançaise ont ainsi été rencontrés (Verviers, Marche-en-Famenne, Charleroi, Tournai et Bruxelles). Des conseils qui rassemblent des acteurs de l’aidegénérale de première ligne (principalement issus des CPAS, mais aussi des secteurs de l’enseignement, de la jeunesse, de la culture, etc.) et de l’aidespécialisée de seconde ligne (secteur de l’aide à la jeunesse). Les familles précarisées (adultes et enfants) ont été rencontrées lors deconférences citoyennes, loin des clichés de la rhétorique participative que l’on a l’habitude d’entendre quand il s’agit d’écouter la paroledes « pauvres » ou des les instituer en « experts ». Outre les analyses et recommandations, le rapport fait la part belle aux récits et témoignages glanéslors de ces rencontres, concrétisant ainsi le propos et pointant avec plus d’acuité encore le fossé qui sépare parfois institutions etbénéficiaires.

Un constat alarmant

L’expérience a manifestement laissé des traces chez Bernard De Vos et un sentiment amer. « Auparavant, nous avions pris l’habitude de déclarer que laBelgique, et plus spécialement la Communauté française, n’était pas un “état barbare” en matière de respect des droits de l’enfant etn’avait pas à rougir de son bilan eu égard à d’autres pays nettement moins conformes aux attentes de la Convention internationale des droits de l’enfant. Noussommes moins affirmatifs aujourd’hui. Autant le dire tout de suite, si nous pressentions les dégâts considérables de la précarité sur le développementharmonieux des enfants et les conditions de vie des familles, les témoignages qui nous ont été confiés et le dévoilement de situations, simplement honteuses etindignes d’un pays civilisé, nous ont profondément choqués ; elles marqueront, sans aucun doute et considérablement, la suite de notre mandat de défense desdroits de l’enfant. À l’analyse, aucun article de la Convention internationale des droits de l’enfant ne résiste, même faiblement, àl’épreuve de la pauvreté. Que devient le droit à l’instruction lorsque, malgré des promesses répétées, la gratuité del’enseignement reste une chimère et qu’aucune égalité n’est assurée à l’accès des écoles, reléguant les plus faiblesdans les filières scolaires déglinguées et les écoles ghettos ? Qu’en est-il du droit à la santé quand des soins aussi essentiels que le port delunettes correctrices ou d’appareil dentaire se révèlent inabordables pour de nombreuses familles ? Et du droit à vivre en famille quand des placements institutionnelscoûteux viennent paradoxalement sanctionner l’incapacité des parents à assurer à leurs enfants un cadre de vie décent ? Et du droit à la culture, auxactivités de loisirs ou sportives lorsque l’essentiel des énergies et des moyens financiers est exclusivement tourné vers la survie ?” Le ton est donné.

Nous avons choisi, ici, arbitrairement, de reprendre quelques-uns des constats dressés par le DGDE et ses services.

Manque de lisibilité

Parmi les constats récurrents des professionnels, le manqué de clareté des dispositions. Ils relèvent ainsi l’absence de « lisibilité » dessystèmes d’aide et la confusion des dispositifs entre eux. À titre d’exemple, certains relèvent que des AMO (action en milieu ouvert) organisent des écoles dedevoirs alors que la remédiation devrait faire partie du cursus scolaire de base, que des travailleurs médicaux doivent se transformer en travailleurs sociaux dansl’intérêt de leurs patients… Plus préoccupante est la situation des travailleurs sociaux des CPAS : de nombreuses voix s’élèvent pour condamnerl’obligation qui leur est faite d’être à la fois « dans l’aide et dans le contrôle ». Très nombreux sont les professionnels rencontrésqui souhaitent que les travailleurs sociaux des CPAS puissent retourner à leurs missions prioritaires d’accueil, d’écoute et d’orientation. L’automaticitédes droits et la garantie d’un revenu minimum individualisé constituent pour beaucoup les gages d’une clarification du rôle des travailleurs sociaux et d’un recentragede l’intervention sociale vers l’aide et le soutien.

La question du placement des enfants est égaleme
nt souvent abordée. Selon une récente étude de l’OEJAJ (Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et del’aide à la jeunesse), le motif le plus souvent évoqué pour une demande de prise en charge au sein des services d’accueil spécialisés de la petiteenfance est la précarité. “Ce motif se trouve dans plus d’un tiers des demandes, peut-on lire dans le rapport. Lorsque la demande émane des instances de l’aideà la jeunesse ou du monde judiciaire, la pauvreté est également invoquée dans plus d’un tiers des cas. Les professionnels ne sont pas dupes de l’ineptie de cessituations et se demandent, naïvement peut-être, si avec bien moins que le prix du placement d’un enfant en institution on ne pourrait pas apporter une aide à la famille quipermette d’éviter un ou des placements. Si chacun semble bien conscient que d’autres problèmes peuvent également justifier en partie ces placements, l’aide aulogement apparaît clairement comme une phase indispensable de l’aide à l’ (la) (ré)insertion : le fait d’occuper un logement décent et correct permet auxparents de libérer de l’énergie pour s’occuper des enfants et assurer leurs responsabilités à leur égard.”

La temporalité

Différents témoignages issus des bénéficiaires concernant la temporalité illustrent selon le DGDE une sorte de « centrisme de classe ». « Eneffet, les demandes des professionnels sont irréalistes pour les familles précarisées et il semble que peu de gens s’en aperçoivent. Par exemple, la propension desclasses supérieures à raisonner en termes de stratégie (c’est-à-dire de maximisation des intérêts) s’exprime dans une conception du tempselle-même stratégique : capacité à se projeter, à prévoir, à programmer. Or, cet usage du temps n’est possible que si on possède descapitaux multiples. Imposer un tel usage à ceux qui sont dépourvus des dits capitaux relève de la violence sociale. »

L’école : l’ascenceur social en panne !

L’école retient l’attention de l’ensemble des intervenants et ce, dans tous les arrondissements. Plutôt que de jouer un rôle majeur dans la préventiondes exclusions et dans la réduction des inégalités sociales, les professionnels dénoncent le fait que l’école conforte et cultive lesinégalités. Ils estiment que le lien entre pauvreté et difficultés scolaires est manifeste et regrettent le maintien d’un système scolaire à deuxvitesses.

“De nombreuses voix s’élèvent pour regretter la sélection des élèves tant à l’entrée des écoles qu’àl’intérieur de celles-ci via, notamment, le redoublement et les réorientations vers les filières techniques ou professionnelles. Paradoxalement, ces dernières serévèlent particulièrement coûteuses, notamment par l’investissement en matériel technique (coiffure, cuisine…). De nombreux cas d’orientationsinadéquates vers l’enseignement spécialisé nous ont également été rapportés. Plusieurs témoignages corroborent l’idée que lesystème scolaire organiserait un système de ‘retard scolaire’, lequel engendre lui-même l’exclusion progressive des enfants (exemple : on exclut d’uneécole moyenne vers une école moins bonne et ensuite d’une section valorisée vers une section dévalorisée). Les enfants font ainsi l’apprentissage de ladisqualification qu’ils intègrent pour la suite de leur parcours scolaire. Pour beaucoup d’intervenants, le système scolaire subit l’effet de marché et declientélisme et l’enseignement devient un luxe à la portée de quelques-uns seulement… La question des conséquences des différences culturelles sur laqualité des relations parents-école est également souvent relevée. Faute de sensibilisation et de formation suffisante des enseignants, ceux-ci portent souvent un regardcritique et accusateur sur les parents pauvres et leurs enfants. La question spécifique des poux, évoquée dans tous les arrondissements, cristallise ces incompréhensionset révèle l’ampleur des malentendus entre les familles défavorisées et l’école. Enfin, l’absence de gratuité à l’école,pourtant prévue et organisée dans divers textes légaux, continue à causer d’innombrables problèmes dans la relation des familles précariséesà l’école. Cette question reste particulièrement sensible lors d’organisation d’événements spécifiques (activités culturelles ousportives) pour lesquels la participation financière des parents est requise, de même que lors d’organisation de classes vertes ou de neige. Les intervenants regrettent la miseà l’écart des enfants et des familles à ces occasions et dénoncent la ‘pollution’ des relations par l’argent entre élèves etenseignants (particulièrement dans les petites classes).”

Du temps pour s’épanouir

Si certaines recommandations exigent des moyens financiers supplémentaires, d’autres demandent juste un regard différent sur les réalités et un peu plusrespectueux des personnes qui vivent la précarité. « Aujourd’hui, constate Bernard De Vos, beaucoup de personnes que nous avons rencontrées se plaignent du faitqu’elles sont hyper-responsabilisées pour une situation qu’elles ne maîtrisent pas. Elles sont en fait noyées dans une série de problèmes sur lesquelselles ont peu de prise. »

Le travail du délégué dans les prochaines années sera de poursuivre le travail de sensibilisation et de recommandation tant à l’égard desresponsables politiques que des institutions, des administrations ou des associations qui sont en lien avec la thématique. « Mais, insiste Bernard De Vos, il sera aussi de veillerà faire valoir, à côté des exigences en matière de logement ou d’emploi, le devoir de la collectivité d’apporter non seulement ce qui estnécessaire pour vivre décemment, mais également d’apporter du temps pour s’épanouir, pour s’enrichir les uns les autres. »

C’est en tous les cas le message qu’il comptait bien faire passer ce 17 novembre lors de la présentation du rapport au gouvernement et au Parlement de la Communautéfrançaise.

1. DGDE :
– adresse : rue des Poissonniers, 11-13 bte 5 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 223 36 99
– courriel : dgde@cfwb.be
– site : www.cfwb.be/dgde

2. Le rapport sera sous peu tél&eac
ute;chargeable sur le site remis à neuf du DGDE : www.cfwb.be/dgde. Ànoter une autre innovation cette année, le rapport est accompagné d’un DVD de 52 minutes d’images témoignages et document sur le travail réalisé.

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