Près de 300 enfants de 0 à 6 ans sont placés en hôpital chaque année pour des durées potentiellement longues, faute de places dans les structures adaptées. Une situation de plus en plus décriée ces dernières années. La ministre de l’Enfance, Alda Greoli, et le ministre de l’Aide à la jeunesse, Rachid Madrane, ont pris des mesures pour endiguer le phénomène.
Lorsque les circonstances le justifient, un enfant peut être éloigné de son milieu familial. Il est alors placé par l’Aide à la jeunesse dans une structure d’hébergement. Seulement, les places sont trop peu nombreuses. Face à ce problème, de jeunes enfants peuvent être envoyés, «faute de mieux», à l’hôpital sans pour autant qu’ils aient de besoins médicaux. Ces mesures sont considérées comme de l’hospitalisation sociale. En moyenne, on estime que la durée des hospitalisations peut atteindre entre 35 et 42 jours.
Des élus cdH soulignaient début 2016 l’inconsistance des chiffres sur le phénomène. Ils demandaient «d’objectiver» la situation. Une proposition de résolution parlementaire fut alors déposée par la députée Véronique Salvi (cdH) le 3 février 2016 à propos des «bébés parqués». Fanny Heinrich, juriste à la CODE (Coordination des ONG pour les droits de l’enfant), explique: «En réaction à cette proposition de résolution, les cabinets des ministres de l’Enfance (à l’époque, Joëlle Milquet, maintenant, Alda Greoli) et de l’Aide à la jeunesse (Rachid Madrane) nous ont commandité cette étude.»
«Le placement à l’hôpital est le résultat de la saturation du secteur de l’aide à la jeunesse.» Fanny Heinrich, CODE
Ce travail («Enfants placés à l’hôpital – Et les droits de l’enfant dans tout ça?») de la CODE a permis de dénombrer pas moins de 300 enfants (de 0 à 6 ans) placés en hôpital en moyenne par an. Plus ils sont jeunes, plus ils sont touchés par le phénomène: 45% d’entre eux ont moins d’un an. La durée n’excède pas un mois dans la moitié des cas. Toutefois, 10% de ces enfants (une trentaine) dépassent les six mois de placement. C’est justement dans ces durées excessives qu’une sorte de maltraitance peut se produire. Régine Masquelier, directrice pédagogique de l’asbl CRES (Centre régional d’éducation et de services), explique: «Des durées trop importantes sans stimulation peuvent être à l’origine de développement de carences chez ces jeunes enfants. Ce n’est pas sans risque!»
Fanny Heinrich poursuit: «C’est le résultat de la saturation du secteur de l’aide à la jeunesse. Le manque de places d’urgence disponibles est le nœud du problème. Or, l’hôpital n’est pas le milieu adapté pour s’occuper de ces jeunes enfants. Le risque d’attraper des maladies n’est pas complètement exclu. De plus, les hôpitaux n’ont pas le personnel nécessaire pour s’occuper et stimuler les bébés et enfants concernés (0 à 12 ans). On sait bien qu’ils ont énormément de besoins (physique, moteur, intellectuel, protection), qu’il est difficile de respecter au quotidien. Ça demande beaucoup de bonne volonté et le personnel hospitalier a d’autres missions. Pour les enfants en âge de marcher, il faut par exemple s’assurer qu’ils ne débranchent pas les baxters des autres malades. Il faut les gérer au quotidien, ce qui très difficile.»
Les raisons d’un placement
«Les hôpitaux ne doivent pas devenir des centres d’accueil déguisés, explique Fanny Heinrich. L’effet de domino de la saturation du secteur est le cœur du problème. On a remarqué au fil des interviews avec différents professionnels qu’il y a beaucoup de motifs et de voies d’entrée qui mènent ces enfants à l’hôpital.»
Les cas de maltraitance sont l’une des grandes raisons de l’hospitalisation (31% des motifs d’intervention). Un enfant peut par exemple être placé à l’hôpital par le service des urgences suite à une dispute de couples.
Plus ils sont jeunes, plus ils sont touchés par le phénomène: 45% d’entre eux ont moins d’un an.
Mais il y a bien d’autres raisons pour un enfant d’arriver à l’hôpital. Les difficultés des parents, comme des troubles psychologiques, psychiatriques, des assuétudes ou l’«immaturité» sont aussi des causes de placement (37% des cas d’intervention), de même que les difficultés financières des familles. «Il faut aussi agir contre la pauvreté, rappelle Fanny Heinrich. Près de 14% des prises en charge par l’Aide à la jeunesse sont justifiés entre autres par des difficultés matérielles. Ce n’est pas négligeable. Ça a un vrai rôle dans le placement de l’enfant.»
Enfin, cela peut venir d’une fragilité particulière de l’enfant, comme l’explique Fanny Heinrich: «Certains enfants arrivent à l’hôpital parce qu’ils sont malades. C’est alors qu’une procédure de placement intervient. Et comme il n’y a pas de disponibilité ailleurs ni d’urgence de sortie, on les garde sur place. Il y a une impression de sécurité avec l’hôpital qui n’est pas avérée. Le personnel infirmier a d’autres choses à faire.»
Un remède?
La CODE a listé plusieurs recommandations pour combattre l’hospitalisation prolongée des enfants. Elle propose plusieurs orientations.
D’abord, la prévention. «Le placement doit être décidé en dernier recours et le plus court possible. L’hôpital ne devrait jamais être un lieu d’hébergement pour les enfants, reprend Fanny Heinrich. C’est une problématique relativement invisible pour le grand public. Et les professionnels sont très inquiets par rapport à ça.» L’étude appelle aussi à augmenter les places dans les structures adaptées. Mais pas seulement. Elle propose la collecte de données et la création d’un indice propre à ces placements, ce qui permettrait une prise en charge plus adaptée. D’autres aspects venaient s’y ajouter: une meilleure communication entre les différents professionnels, de nouveaux lieux de rencontres parents-enfants (et non plus mères-enfants uniquement), des équipes SOS enfants ou encore un accompagnement prénatal pour les situations à risque.
L’étude de la CODE a permis d’éclairer la situation sur les placements de ces enfants. La balle est désormais dans les mains du pouvoir public.
«Le gouvernement de la Communauté française a décidé d’octroyer 13 millions d’euros de plus en aide à la jeunesse, globalement, et en particulier dans mes compétences, 3 millions pour résoudre cette question», a confié la ministre de l’Enfance Alda Greoli dans un reportage de TéléSambre (17 février 2017). En s’appuyant sur les conclusions du rapport de la CODE, la ministre a annoncé plusieurs mesures pour répondre à la problématique. Parmi elles, le financement des services d’accueil spécialisés de la petite enfance (SASPE), revu à 100% de leurs besoins. Cette mesure s’accompagne de l’ouverture de près de 28 nouvelles places dans les SASPE de Bruxelles, du Hainaut et de Namur. La ministre a aussi mentionné le financement de 30 lieux de rencontre parents-enfants, la création de 20 places supplémentaires en crèches à proximité des hôpitaux, celle du projet pilote pour une équipe «psycho-médico-sociale» et, enfin, l’affectation de subventions pour cinq «espaces parents dans la séparation» (Liège, Verviers, Mons, Charleroi et Neufchâteau).
Reste à voir si ces solutions se révéleront efficaces sur le terrain.
En savoir plus
«L’hospitalisation sociale de bébés, encore et toujours», Alter Échos n° 416, Cédric Vallet, 27 janvier 2016.