Droit à l’information, droit au consentement libre et éclairé ou encore droit de se plaindre… C’est la loi «droits du patient» de 2002 qui consacre leur existence en Belgique. La promulgation de cette loi ne s’est, à l’époque, pas faite sans quelques échanges de vues animés ni sans quelques craintes émanant du corps médical. Plus de dix ans après, patients et médecins se sont-ils approprié la loi?
La loi «droits des patients», promulguée il y a plus de dix ans, a été «un signal fort» pour les patients et «un bouleversement sur le plan symbolique», plaçant le patient au centre de sa santé: un patient «en mesure de participer, de poser des choix en connaissance de cause», un patient «impliqué dans sa santé comme dans ses maladies». C’est ainsi que s’entame le dossier «Droits des patients» du Chaînon (2013), la revue de la Ligue des usagers des services de santé (Luss). «Cette loi a permis aux patients d’être davantage partie prenante de la gestion des données relatives à leur santé, confirme Anne Gillet, médecin généraliste et présidente du Groupement belge des omnipraticiens (GBO). Et elle a permis aux médecins de se positionner davantage comme des partenaires.»
Les médecins auraient-ils donc dépassé les craintes qui les tourmentaient à l’heure de l’entrée en vigueur de la loi (voir encadré)? Si, pour la Luss, cette loi n’est toujours «pas perçue d’un très bon œil par les professionnels en santé», la présidente du GBO ne relève quant à elle plus aucune récrimination émanant des médecins à son sujet. «La loi a pu crisper certains médecins au début par son côté “inquisition”, mais ils ont pu, avec le temps, s’accorder à un nouveau mode de relation.»
La reconnaissance en Belgique des droits des patients par la loi du même nom (2002) s’inscrit dans un vaste mouvement européen qui s’est amorcé dans le courant des années nonante. La volonté belge d’élaborer un droit du patient s’exprime dès 1999 à travers la déclaration gouvernementale fédérale. On y parle tant du droit des patients à l’information que de son droit de se plaindre.
En 2002, une proposition de loi donne lieu à de nombreux débats et discussions. Car elle touche non seulement au respect des patients, aux relations entre patients et médecins, à celles entre la société et ses médecins. Des médecins qui s’inquiètent des effets potentiels «d’instrumentalisation» qui pourraient être induits par la nouvelle loi: les patients, se transformant en «consommateurs» de soins, accepteraient de moins en moins la possibilité d’un risque lié à un acte médical. Imaginant un possible accroissement du nombre d’actions portées en justice, le corps médical se soucie de l’engagement de sa responsabilité pénale. «Il y a un risque de voir se développer une multiplication des procédures de médiation ou de recours à l’encontre des médecins, intentées de manière abusive et disproportionnée par rapport à leur objet. C’est un pas vers une espèce de “judiciarisation” à l’américaine de la médecine», a-t-on notamment pu entendre lors de la séance plénière du Sénat du 19 juillet 2002. Pour certains, la proposition de loi est déséquilibrée, ne donnant que des droits aux patients et des obligations aux médecins. «La médecine n’est pas une science exacte. Or le projet de loi place les médecins dans une situation quasi systématique d’accusés», clame un sénateur.
La loi sur les droits des patients «ne cherche nullement à être une menace pour les dispensateurs de soins ni à exacerber le caractère juridique de la relation entre le demandeur et le dispensateur de soins, rétorque une sénatrice au cours de cette même séance. Au contraire, elle veut prévenir au maximum les problèmes». Prévenir les problèmes en installant une relation de confiance basée sur l’écoute, l’information et la codécision. Et en évitant que le malentendu ne se transforme en conflit juridique.
Le 26 septembre 2002, la loi est publiée au Moniteur. Elle détermine les droits fondamentaux de chaque patient:
- le droit au libre choix du praticien professionnel;
- le droit à des prestations de soins de qualité;
- le droit à l’information sur l’état de santé;
- le droit au consentement libre et éclairé à la prestation médicale;
- le droit à un dossier de patient soigneusement tenu à jour et conservé en lieu sûr;
- le droit de consultation et d’obtention de copie du dossier de patient;
- le droit à la protection de la vie privée.
Un huitième droit sera consacré par la loi du 24 novembre 2004, celui de recevoir des soins visant à soulager sa douleur.
En outre, la loi «droits du patient» de 2002 institue la fonction de médiation. Au-delà du traitement de la plainte, c’est, en amont, la prévention de la plainte et, en aval, l’information du patient au sujet des autres possibilités existant en matière de règlements des plaintes, qui doivent être prises en charge par cette fonction de médiation, qui sera organisée tant dans le secteur hospitalier et celui de la santé mentale que dans l’ambulatoire par le biais d’un service de médiation fédéral.
Une loi méconnue
Mais un problème de taille subsiste. Cette loi est beaucoup trop peu connue des patients. Une enquête réalisée par la Mutualité chrétienne de Liège a mis en lumière le fait que seuls 17% de ses membres avaient connaissance de l’existence de cette loi. Plus surprenant, ce sont aussi trop souvent des médecins qui ignorent encore le contenu de la loi, épingle la Luss dans son dossier. «On la connaît dans ses grands principes, mais pas forcément dans les détails, puisqu’on ne l’utilise pas tout le temps», confirme Anne Gillet, pour qui son contenu devrait être «révisé» par les médecins lors de formations continues.
Dans le même ordre d’idées, ce sont aussi les services de médiation prévus par la loi, et notamment ceux des hôpitaux, qui ne seraient pas assez visibles, et donc pas assez accessibles aux usagers. Un phénomène confirmé par plusieurs enquêtes menées au cours des dernières années, notamment par le Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs (Crioc) ou encore par Test-Achats. En mars 2011, les enquêteurs de Test Santé1 se glissaient dans la peau de patients afin de récolter des informations sur les services de médiation des hôpitaux, tant sur le web que dans les institutions elles-mêmes. Une enquête qui a révélé d’énormes écarts de visibilité entre les différents services et, surtout, entre les régions. En Wallonie et à Bruxelles, les services de médiation seraient parfois, ni plus ni moins, introuvables…
Quant au service de médiation fédéral, difficile d’expliquer à quoi tient le faible nombre de plaintes qui y sont enregistrées (658 plaintes reçues en 2012, dont 242 qui relevaient des compétences du service fédéral, contre 18.995 plaintes liées à un droit du patient en 2011 dans les hôpitaux et 2012 dans les hôpitaux psychiatriques). À son caractère centralisé, et donc éloigné des patients? Ou au fait qu’il y aurait, par nature, moins de plaintes dans l’ambulatoire que dans le secteur hospitalier? C’est en tout cas l’hypothèse retenue par Anne Gillet. Les fautes médicales dues à de la négligence sont relativement rares chez les médecins généralistes, explique-t-elle. Par ailleurs, la relation entre un patient et son généraliste aboutirait moins couramment à une plainte: «Ce que je ressens, c’est que, quand il y a une erreur, on en parle avec son généraliste, une discussion a lieu dans le cabinet de consultation, ce qui, souvent, apaise la personne.» Alors qu’à l’hôpital la relation ne dure souvent que quelques jours, voire le temps d’une consultation. «À l’hôpital, on n’a pas le temps de se dire les choses.»
Les droits en question
Au-delà du caractère peu connu de la loi, l’analyse des plaintes révèle, sinon des manques, en tout cas des interrogations touchant à l’application des droits du patient aujourd’hui. La majeure partie des plaintes recueillies par les services de médiation concernent «le droit à des prestations de qualité». Une notion qui recouvre tant les aspects techniques du soin que le «comportement» ou la communication du médecin vers son patient. «Dans les dossiers que nous traitons, certaines plaintes sont vraiment étonnantes du point de vue de la relation entre le médecin et son patient», commente Alain Stassart, attaché à la direction de la Mutualité chrétienne de Liège.
La compétence du médecin en communication est au cœur de deux autres droits: les droits «à l’information sur son état de santé» et «au consentement éclairé». De nombreuses plaintes témoignent notamment du manque de clarté sur le coût financier d’une intervention. «Les droits à l’information et au consentement éclairé sont une bonne porte d’entrée pour nous quand il s’agit de traiter la question des suppléments d’honoraires», précise d’ailleurs Alain Stassart. Pour garantir l’accès à ces droits, le médecin doit s’adresser à son patient dans un langage clair et compréhensible, et user d’une certaine dose de pédagogie. Raison pour laquelle beaucoup plaident pour une intégration de cours de communication dans le cursus universitaire des médecins généralistes. Ces cours sont insuffisants dans le cursus actuel, confirme Anne Gillet. «Mais ce qu’il y a, c’est que les étudiants ne sont pas très intéressés par ce type de cours. Ce n’est que plus tard, quand ils sont confrontés au quotidien, que cela prend tout son sens.» D’où l’intérêt, pour elle de les intégrer plutôt dans la formation continue.
La consultation de son propre dossier médical et le respect de la vie privée dans le cadre du partage des données par les professionnels de la santé suscitent aussi des questionnements, voire des inquiétudes chez les patients. Des craintes d’autant plus perceptibles que l’on avance à grands pas vers l’informatisation généralisée des données. Que doit contenir un dossier médical? Le patient doit-il avoir accès à toutes les informations de son dossier (y compris aux informations «brutes») ou cet accès doit-il être asymétrique? Qu’est-ce qu’un dossier de qualité? Quel partage des dossiers entre les différents professionnels? Quelle protection de la vie privée dans le cadre du partage informatique des données? Autant de questions qui restent sensibles après dix ans d’application de la loi…
Santé mentale, des patients comme les autres?
Ces interrogations se posent aussi dans le champ de la santé mentale, mais elles y ont une résonance particulière. Les droits du patient y sont applicables comme dans les autres secteurs de soins. Des médiateurs, spécifiques à ce secteur, ont été raccrochés aux plateformes de concertation en santé mentale. Ils traitent les plaintes émanant de trois types d’institutions, les hôpitaux psychiatriques, les maisons de soins psychiatriques et les habitations protégées, tandis que celles en provenance de la santé mentale ambulatoire sont traitées par le service fédéral de médiation – une division quelque peu arbitraire.
Ici comme ailleurs, la qualité des soins prédomine quand on examine les motifs des plaintes. C’est avant tout le manque de soutien personnalisé en hôpital psychiatrique qui ressort. «Les patients voient peu leur médecin, qui ont beaucoup trop de patients. S’ils le voient dix minutes par semaine, c’est bien…», explique Marie-Françoise Meurisse, médiatrice à la Plateforme de concertation pour la santé mentale à Bruxelles. Effets secondaires des médicaments, traitements sous contrainte, contention… la notion de consentement éclairé prend ici une autre couleur. «C’est une des choses les plus difficiles en psychiatrie, un patient psychotique n’a pas forcément conscience de son état, parfois il refuse d’être un patient, on se trouve presque en amont du droit du patient. En cas de déni, le médecin et l’équipe de soignants invoquent la notion d’assistance à personne en danger. On se trouve tout le temps dans cette tension très complexe.» Même type de nœud au niveau du droit à l’information. «Certains soignants partent avec un a priori selon lequel le patient ne va rien comprendre. D’un autre côté, quand on lui explique, c’est vrai que parfois il n’intègre pas ou il oublie aussi vite…»
Pas question, pour autant, d’élaborer un droit spécifique à ce public, nous précise Marie-Françoise Meurisse. «Faire la distinction entre les catégories de patients, c’est risquer de les stigmatiser. Tous les patients doivent être logés à la même enseigne.» Et la médiation en santé mentale y est exercée de la même manière qu’ailleurs. «On part de l’a priori que c’est une personne comme les autres, avec l’idée de remettre de l’égalité dans la relation», commente la médiatrice.
Médiateurs, une indépendance contestée
S’il est bien un point de la loi qui suscite de la crispation, c’est le statut des médiateurs hospitaliers. Que ce soient les associations de patients ou les médiateurs eux-mêmes, beaucoup s’accordent à dire que leur indépendance n’est pas suffisamment garantie à l’heure actuelle. Selon les rapports annuels des médiateurs hospitaliers, environ un quart d’entre eux estiment rencontrer des problèmes par rapport au maintien de leur neutralité et de leur impartialité, 17% par rapport au secret professionnel et 14% par rapport à leur indépendance. Engagés par les gestionnaires des hôpitaux, ils dépendent de ces institutions du point de vue de leur salaire tout comme de l’organisation de leur travail. Certains médiateurs ont même une double casquette, cumulant cette fonction avec d’autres activités dans l’hôpital.
Les médiateurs «santé mentale» n’échappent pas à la critique. Pour Marie-Françoise Meurisse, leur indépendance est toute relative. «Notre employeur, c’est la Plate-forme, nous explique-t-elle. C’est-à-dire une association de tous les acteurs de la santé mentale, dont les hôpitaux psychiatriques, qui sont dans le conseil d’administration et qui financent notre fonction. Même si c’est plus dilué, ils ont voix au chapitre.»
Last but not least, qu’en est-il des plaintes issues de soignants? Car si la loi «droits des patients» prévoit l’introduction d’une plainte par les patients, pourquoi les prestataires de soins n’auraient-ils pas eux aussi ce même droit? Car la réalité n’est pas toute blanche ou toute noire. «J’ai l’impression que la loi a détendu les patients, parce qu’ils sont devenus des partenaires, qu’ils ont un droit de regard. En cela c’est positif. Mais il ne faut pas tout enjoliver, les médecins sont aussi confrontés à certains patients qui se donnent tous les droits. C’est la même chose dans tous les secteurs de la société. Les médecins doivent aujourd’hui être des diplomates hors pair…», contextualise Anne Gillet. Alors faut-il rééquilibrer davantage la loi? «Dans la pratique, nous acceptons les plaintes des soignants, nous glisse Marie-Françoise Meurisse. Mais cela devrait être explicité dans la loi…»
Bref, beaucoup souhaitent une refonte du système, notamment afin d’extraire les médiateurs de ce lien de subordination aux institutions hospitalières. Depuis 2002, plusieurs propositions de loi ont été déposées, suggérant de nouvelles organisations de la profession. En 2010, la Fondation Roi Baudouin menait une réflexion sur la question et formulait quelques recommandations en vue d’une réforme de la profession. En juin 2011, la Commission fédérale «droits du patient» émettait à son tour un avis soulignant l’intérêt d’évaluer le système de médiation tel qu’il existe aujourd’hui. Toute une série d’éléments utiles pour lancer un vaste chantier sur l’avenir de la profession…
En savoir plus
Cet article a été publié récemment dans le dossier «Médiation dans les soins, parapluie ou porte-voix?» de la revue Santé conjuguée n°68, publiée par la Fédération des maisons médicales. Pour en savoir plus: http://www.maisonmedicale.org/-Mediation-dans-les-soins-parapluie-.html