Au cœur de la gare Centrale, la permanence d’aide juridique Droits sans toit accueille les personnes précarisées, parfois accompagnées de travailleurs de rue. L’équipe d’avocats propose gratuitement un premier conseil. Pour rendre visibles des droits souvent ignorés et retisser les liens rompus entre justice et grande pauvreté.
Bruxelles centre, rue Cantersteen, face aux galeries Ravenstein. À une infime encablure de la porte d’accès à la gare Centrale, de légères ombres se dessinent sur une vitrine opaque. Collée en son centre, une affiche indique «Droits sans toit: permanence d’aide juridique tous les jeudis de 19 à 20 h». Derrière la vitre, une pièce étroite. Tout juste la place pour une table flanquée de ses quatre chaises. Mady (*) vient de pousser la porte, accompagnée de Dieter, un travailleur de rue de l’asbl Diogènes. Ces deux-là se sont croisés le matin même devant la Bourse. Ils ont discuté longuement. Dieter lui a proposé de passer ici, à la permanence de Droits sans toit. Mady a fini par venir. Et là, sous un large poster arborant les 30 articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme, elle raconte: son incompréhension face à un titre de séjour non renouvelé, sa détermination à poursuivre une formation tout juste entamée, la vingtaine d’années passées en Belgique, son homosexualité pénalisée dans son pays d’origine. Sans logement, elle dort où elle peut, où elle trouve… Le récit de Mady est cadencé par les questions des deux avocates installées en face d’elle. Des questions claires et simples. Des reformulations aussi, pour mieux comprendre, pour bien contextualiser. L’une des deux avocates amorce une solution: introduire une demande d’asile. Dieter rapporte alors les mots de Mady, partagés quelques heures plus tôt sur le pavé bruxellois: «Elle a perdu espoir et il faut beaucoup de force pour reprendre des procédures…» L’avocate encourage: «On va vous expliquer les choses, ça va vous aider à comprendre et à agir.» Mady se détend. Sur un bout de papier, se griffonnent les démarches à suivre, les institutions où se rendre, les coordonnées d’une avocate à contacter pour entamer la procédure… Quelques «Récapitulons» plus tard, Mady la remercie de son aide et, avant de saluer, plonge sa main dans le paquet de chocolats trônant au milieu de la table. «Prenez-en plusieurs, vous en aurez bien besoin pour tout ce qui va suivre», lui glisse l’avocate. Dieter toujours à ses côtés, Mady retourne de là où elle vient, la rue, dehors, dans le froid et la noirceur d’une nuit déjà bien installée.
Elle sera la seule à passer le pas de la porte de la permanence, ce jeudi de janvier. «En hiver, il y a moins de monde, explique Hélène Crokart, avocate pour Droits sans toit. À 19 h, les gens fréquentent moins la gare, ils cherchent plutôt un endroit où dormir au chaud. De manière générale, la fréquentation est très variable. Certains jours, il n’y a personne, d’autres beaucoup de monde. Dans tous les cas, c’est important pour nous d’assurer la permanence.» «Nous», c’est la vingtaine d’avocats et d’avocates de Droits sans toit. Un engagement bénévole, organisé en tournantes, afin que chaque jeudi deux avocats soient présents dans ce petit local mis à disposition par la gare pour un loyer dérisoire.
«Organiser une permanence au cœur même de la gare Centrale permet d’être là où les personnes précarisées et les travailleurs sociaux se trouvent. Pour créer des ponts entre la grande pauvreté et la justice.» Liola de Furstenberg, avocate et actuelle coordinatrice du projet
Au plus proche
Né en 2001 de la concertation d’avocats, de magistrats et de membres d’ATD Quart Monde, Droits sans toit a pour objectif de rendre la justice accessible aux plus démunis, à celles et ceux exclus de leurs droits et des moyens de les faire valoir. En installant sa permanence à proximité immédiate d’une gare, là où la précarité trouve refuge, Droits sans toit a déniché une alternative plus adaptée et intimiste que l’imposant palais de justice de Bruxelles. «Tous ces avocats en toge, présents en nombre, c’est très impressionnant pour ce public, raconte Liola de Furstenberg, avocate et actuelle coordinatrice du projet. Organiser une permanence au cœur même de la gare Centrale permet d’être là où les personnes précarisées et les travailleurs sociaux se trouvent, d’être au plus proche d’eux, pour créer des ponts entre la grande pauvreté et la justice.»
«Beaucoup de gens viennent nous raconter leur histoire, sans parvenir à identifier une question précise, tant ils sont noyés dans les problèmes.» Hélène Crokart, avocate
La permanence décentralisée de Droits sans toit propose une aide juridique de première ligne. Du premier conseil juridique, donc, touchant à un large éventail de matières: droit au logement, droit de séjour, droit social, droit de la famille, protection de la jeunesse, droit pénal… «Beaucoup de gens viennent nous raconter leur histoire, sans parvenir à identifier une question précise, tant ils sont noyés dans les problèmes. On va alors essayer de comprendre pour mieux cibler la problématique soulevée, explique Hélène Crokart. Il y a toutes sortes de demandes: des questions relatives au droit des étrangers ou à l’aide sociale, des situations d’endettement ou de logements insalubres…»
Dans certains cas, une procédure devra être introduite. L’équipe de Droits sans toit redirigera alors la personne vers un avocat de deuxième ligne, qui suivra le dossier dans le cadre de l’aide juridique gratuite. Il arrive aussi qu’un simple renseignement fourni lors de la permanence suffise pour rendre visible un droit ignoré et débloquer une situation. Mais il y a aussi les cas où aucune solution ne peut être apportée. «C’est dur, mais, quand il n’y a pas de solution juridique, ça fait partie de notre travail d’avocat d’en informer les gens afin qu’ils n’aient pas de faux espoirs», poursuit Hélène Crokart.
Dernier filet
Fournir des conseils juridiques à des personnes en situation de précarité nécessite d’adapter ses pratiques. Liola de Furstenberg en parle: «En tant qu’avocat, il faut être patient, flexible et avoir bien conscience du profil des personnes qu’on a en face de soi. Certaines personnes rencontrent des difficultés pour s’exprimer. C’est aussi très compliqué pour elles d’arriver à l’heure à un rendez-vous, par exemple. C’est pour cette raison que notre permanence est accessible sans rendez-vous. Par ailleurs, les personnes qui s’adressent à nous sont bien souvent découragées par le système classique. Il est donc essentiel de s’adapter à ces situations car nous représentons le dernier filet d’accès à la justice.»
ATD Quart Monde, Diogènes, Infirmières de rue… Plusieurs associations de lutte contre la pauvreté et d’aide aux sans-abri s’adressent à Droits sans toit. «Notre association n’a pas les moyens d’engager un juriste, alors pour nous, travailleurs de rue, c’est pratique d’accompagner ici les personnes que nous rencontrons, partage Filip Keymeulen, de Diogènes. Ces personnes ignorent bien souvent leurs droits ou sont trop fatiguées par la vie pour entamer des procédures. Pourtant, si leurs droits sont touchés, elles doivent être défendues.»
(*) Prénom d’emprunt.
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Plus d’infos: https://droitssanstoit.be/