Le 29 juin 2010, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme rendait publique l’étude « Diversité et discrimination dans le logementsocial1 : pour une approche critique de la « mixité sociale » »2. L’étude montre que bien que « pavée de bonnes intentions », la mixité sociale peutêtre perverse.
Au printemps 2008, éclate l’affaire du Foyer namurois. Ce dernier sélectionne les candidats-locataires sur la base de critères ethnico-culturels. Objectifavoué : favoriser la mixité sociale pour éviter la création de ghettos ethniques. Pour certains, il s’agit de discrimination. Aussitôt, le Centre pourl’égalité des chances prend langue avec la Société wallonne du logement (SWL) pour se pencher sur cette problématique. Mais, ailleurs dans le pays, d’autrespratiques de discrimination faites en vertu de la mixité sociale ont pu être observées dans le logement public. Le Centre commandite une étude. L’Erasmus Hogeschool Brussel– Ster Stedenbouw en Ruimtelijke Planning décroche le marché. L’étude est menée auprès de cinq sociétés de logement« social » wallonnes, cinq flamandes et trois bruxelloises. D’autres acteurs institutionnels et associatifs sont également consultés. Les chercheurs identifientles pratiques de mixité dans le logement social dans les trois Régions. Bien évidemment, les auteurs rappellent qu’il n’y a « pas de définition univoque du conceptde mixité sociale ».
Jozef De Witte, directeur du Centre, observe que si la mixité sociale semble une bonne réponse pour éviter la concentration de publics dans certains quartiers, elle posenéanmoins question. « Que veut-on mélanger ? Veut-on mélanger des pauvres et des riches dans un même quartier, faire de la mixitéintergénérationnelle avec des jeunes et des vieux, ou un mix de différentes cultures ? Et si oui, est-ce que le logement social peut apporter une réponse ?Veut-on faire de la mixité sociale dans le logement social, améliorer les finances du logement social ou améliorer la société interculturelle. » Ilconstate que « la mixité sociale est un concept un peu flou et comporte en soi un risque de discrimination ». Et d’ajouter : « L’enfer est pavé debonnes intentions. Il y a des risques de dérapages. Au-delà des intentions, il faut mesurer l’application, il peut y avoir des dégâts collatéraux. »
La mixité par le bâti
Pour les chercheurs, « le meilleur moyen de tendre à la mixité sociale est (…) le patrimoine ». Pour y parvenir, il faut accroître l’offre de logementssociaux. Mais cela n’assure pas pour autant une bonne répartition territoriale de ce type d’habitat, certaines communes plus riches n’en voulant pas sur leur territoire. De plus,l’augmentation de l’offre de logement social n’empêche pas pour autant la formation de ghettos. D’où la nécessité d’avoir un urbanisme réfléchi (ex. :avec des quotas de logements sociaux pour les gros projets immobiliers privés). Mais là aussi, la vigilance s’impose. Certains pouvoirs locaux décident de ne pas construire degrands logements pour favoriser l’exode de familles immigrées. Autre piste pour favoriser la mixité : diversifier le type de logements lors de la restructuration de quartiers anciens.Ici, c’est du spectre de la gentrification qu’il faut se méfier. Enfin, quatrième piste proposée par les chercheurs : disséminer le logement social dans la ville enréalisant des petits projets, plutôt que de gros blocs. Mais n’y a-t-il pas un risque (ou une volonté) de rendre les problèmes moins visibles, sans lesrésoudre ?
« J’ai connaissance d’un projet de logements sociaux dans un quartier calme de la ville où le programme de construction original consistait, pour plus de la moitié,en grands logements de trois, quatre, voire cinq chambres à coucher. Dans la pratique, ça veut donc dire pour des familles d’immigrants. Sous la pression des comitésd’habitants, il y a eu des protestations sérieuses contre ce projet et on a adapté le programme de construction. Aujourd’hui, le projet consiste principalement en de petitslogements pour des personnes plus âgées. » (Interview, groupe de pression)
Qui peut avoir un logement ?
Jouer sur l’attribution de logements sociaux est un autre moyen de favoriser la mixité. Certains acteurs recourent aux « objectifs ». « Cette approcheimplique d’intégrer dans le règlement d’attribution local des objectifs chiffrés visant certaines catégories d’habitants, par le biais d’unrèglement d’attribution local. Un pourcentage donné de revenus plus élevés ou de familles traditionnelles dans un quartier ou complexe sont des exemples tirésde la pratique », notent les chercheurs. Mais il y a un risque de laisser les personnes plus précarisées sur le carreau.
Une autre approche consiste à « placer » les gens. « Dans certains cas, les sociétés de logement social comparent, lors del’attribution, le profil locataire et celui des nouveaux locataires. Pour garantir la stabilité de l’environnement, la société de logement essaie, par exemple,d’éviter qu’une famille nombreuse ne s’installe au beau milieu de personnes âgées, un Palestinien près d’un juif orthodoxe, un pédophilecondamné près d’une école… ou tente d’éviter les concentrations de toxicomanes et de personnes souffrant de problèmes psychologiques dans unmême immeuble. » Les chercheurs estiment que « le « placement » est bien plus subjectif, moins transparent et plus difficile à contrôler. Le risque d’abuset de discrimination est bien présent, surtout lorsque des locataires potentiellement problématiques, les revenus plus faibles ou les candidats locataires d’origineétrangère se voient systématiquement attribuer les logements de moins bonne qualité. »
Troisième technique d’attribution, le « refus ». Mais s’agit-il vraiment d’une attribution ? Ne devrait-on pas parler de discrimination? Les chercheurs observent que « les »refus » de candidats locataires sont de plus en plus utilisés pour tenter de tenir l
es locataires potentiellement problématiques à l’écart du logement social, sur labase d’informations obtenues officiellement ou non auprès d’un service social, de la police locale, par un certificat de bonnes vie et moeurs, etc. Dans d’autres cas, lescandidats locataires sont éconduits sur la base d’un rapport établi après une visite à domicile préalable. »
En guise de recommandations, les chercheurs estiment que la lutte contre la pauvreté doit rester prioritaire. Ils pointent aussi la nécessité de mettre davantage de logementsabordables sur le marché locatif privé, via les agences immobilières sociales (AIS) notamment. Enfin, il faut, selon eux, développer l’encadrement social et en faire unemission à part entière des sociétés de logement social.
Réactions des politiques
Lors de cette matinée, les trois ministres régionaux du Logement étaient représentés. Pour Helmer Rooze, conseiller au cabinet de Freya Van den Bossche (SP.a),ministre flamande du Logement, « la mixité sociale n’est pas un objectif, mais un moyen d’arriver à une vie plus agréable dans certains quartiers. Que ce soit via laparticipation des habitants, les règlements d’attribution visent la qualité de vie entre autres… » Il admet que le manque de choix ou la volonté d’habiter rapidementun logement social entraîne souvent un déséquilibre dans l’occupation des complexes sociaux. Mais la Flandre ayant prévu la réalisation de quelque 43 000 logementspour 2020, il lui sera possible de répondre à la demande.
Pour Pol Zimmer, directeur de cabinet adjoint et responsable de la Cellule Logement au cabinet de Christos Doulkeridis (Ecolo), secrétaire d’État bruxellois en charge du Logement,l’étude est très intéressante, mais « la question de la mixité sociale ne peut être abordée à travers le seul secteur du logement social(…) Donzelot a mis en évidence l’impasse de la mixité sociale vue uniquement à partir d’une offre de logements publics ». D’après Pol Zimmer, on demandebeaucoup au logement social, sans s’interroger sur ses capacités à répondre aux demandes qu’on lui formule. Il regrette encore que l’étude évoque peu la place desusagers dans le logement social : « Il y a des processus de participation. Les usagers doivent être des acteurs, et l’étude ne les positionne pas en tant quetels. » Il signale aussi que le métier du logement social s’est diversifié et qu’il va au-delà d’une gestion immobilière pure. Quant aux objectifs bruxelloisd’offre de logements pour 2020, ils sont de 15 % de logements publics par commune.
Quant à Bernard Monnier, directeur de cabinet adjoint et responsable de la Cellule Logement, au sein du cabinet de Jean-Marc Nollet (Ecolo), ministre wallon du Logement, il constate que« l’étude a montré l’absence de recettes en termes de mixité sociale ». Selon lui, en Wallonie, le besoin de mixité sociale est souvent avancédans le cadre de l’équilibre financier des sociétés de logement social. Il observe peu de difficultés en lien avec la mixité culturelle et davantage dedifficultés avec l’âge des occupants. Bernard Monnier pointe la sous-occupation de grands logements par des personnes âgées, qui empêchent ainsi des grandes famillesd’accéder au logement social. De plus, quand dans un quartier majoritairement occupé par des personnes âgées, arrivent des grandes familles, cela n’est pas sans poserproblème.
Pour lui, le débat sur la mixité sociale est à branches multiples. « Avant de dire on va créer autant de milliers de logements supplémentaires, ilfaut travailler sur l’image du logement, la qualité du bâti, du quartier, avec des espaces publics appropriables… Il est en effet difficile de trouver des locataires pour les logementsmoyens situés dans les ensembles sociaux. Et même si l’on arrivait à y attirer des revenus plus élevés, nombre de personnes dans le parc privé locatif nepourront pas accéder au logement public. » Dès lors, il faut aussi agir sur le parc privé et établir une meilleure adéquation entre les attentes despropriétaires pour un loyer acceptable et des locataires qui n’entreront jamais dans le logement social.
La mixité social, un concept creux ?
Pour clore la matinée, Edouard Delruelle, directeur adjoint du Centre, constate que « la mixité sociale fait l’objet d’un grand consensus politique », maisqu’il en va tout autrement quand on creuse un peu. Il observe aussi que la mixité joue parfois comme un leurre, qu’il s’agit plutôt de racisme, de repli sur soi… En d’autres termes, lamixité – tout comme le ghetto – produit aussi des effets pervers.
1. Au cours de cette matinée, c’est le terme « logement social » qui a prédominé. Il revient donc tout au long de cet article.
2. Cet article est paru initialement dans une version plus longue dans Alter Echos n°299 sous le titre « Mixité dans le logement social : il y a du boulot ! »