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Regard critique · Justice sociale

Panpan Culture

Du porno, mais pas celui que tu crois

Du 4 au 7 mai se tiendra la seconde édition du Brussels Porn Film Festival (BxlPFF), avec au programme plus d’une centaine de films «kinky» [coquins] redessinant les contours d’un monde méconnu, caché, stigmatisé et relégué aux marges de notre société frileuse et bien-pensante. Bienvenue dans le porno alternatif.

(c)My-Garage-My-Rules-2019-dir.-Manon-Praline-Insatiable-Pictures
(c) My-Garage-My-Rules-2019-dir.-Manon-Praline-Insatiable-Pictures

C’est le genre cinématographique le plus maté au monde, et pourtant c’est celui qui est le plus décrié, vilipendé, voué à toutes les gémonies: le porno, cette saleté, cet amas de chairs tristes au seul dessein masturbatoire. Sauf que «le» porno n’existe pas. «Il est souvent considéré comme un tout monolithique, mais nous préférons parler des pornographies», précise Thomas Lavergne, l’un des six responsables du BxlPFF, docteur ès genres et sexualités et membre du Rubis Collective – des réalisateurs de films pornos alternatifs. Alternatifs? «Ce qu’on entend par là, c’est du porno qui tend à apporter de la nuance et des revendications en termes de représentations – et ça ne touche pas que le porno, mais le monde social en général! L’idée, c’est de ne pas reconduire les stéréotypes sexistes, classistes, racistes, âgistes, validistes,…» auxquels on résume trop souvent le champ pornographique.

 

C’est le genre cinématographique le plus maté au monde, et pourtant c’est celui qui est le plus décrié, vilipendé, voué à toutes les gémonies: le porno, cette saleté, cet amas de chairs tristes au seul dessein masturbatoire.

Mais au contraire de déstigmatiser un genre, «des genres», trop souvent réduits à des clichés du style «le porno c’est pas du cinéma, c’est pas de l’art, c’est le degré zéro de la représentation, ça n’a aucune qualité esthétique, philosophique, politique ou morale», énumère Thomas. Et d’enchérir: «Notre objectif est vraiment de casser cette différenciation entre le cinéma qui serait de l’art et le porno qui serait de l’obscénité.» Et de le faire sortir de cette vision hétéronormative, pénétrative qui le gangrène et l’incarcère, en misant au contraire sur l’inclusivité et l’intersectionnel.

Un festival de résistances

Pour cette deuxième édition, le BxlPFF s’associe au festival SNAP! – pour «Sex Workers Narratives Arts and Politics». Créé à Paris en 2018 et exporté depuis lors à Bruxelles, le SNAP! est entièrement dédié aux discours, aux enjeux et aux représentations des travailleurs/travailleuses du sexe (TDS). Sa mission première: «Réinscrire dans l’espace public et dans l’imaginaire collectif et médiatique les personnes qui exercent le travail du sexe et leur redonner la parole afin qu’iels se réapproprient les discours à leur encontre», explique Marianna Chargois, programmatrice et travailleuse du sexe (en tant que dominatrice BDSM). S’associer paraissait évident, puisque «toute une partie du travail du sexe est liée à l’industrie pornographique», en ce sens où ce travail – puisqu’il s’agit bien d’un travail, bref d’une activité structurée, qui demande des compétences – englobe «toutes les personnes qui prestent des services sexuels» (les passes en rue ou en vitrine, l’escorting, l’acting porno, la sex cam, le BDSM…). En plus de proposer une prog’ alléchante de films «post-/alt-porn», le festival offre donc un espace safe de visibilité et d’audibilité à ces «groupes minorisés», qui sont en général «parlés par d’autres» (dans le cinéma traditionnel, dans la littérature, etc.), mais qu’on ne laisse jamais s’exprimer eux-mêmes…

Pour cette deuxième édition, le BxlPFF s’associe au festival SNAP! – pour «Sex Workers Narratives Arts and Politics». Créé à Paris en 2018 et exporté depuis lors à Bruxelles, le SNAP! est entièrement dédié aux discours, aux enjeux et aux représentations des travailleurs/travailleuses du sexe (TDS).

 

Ce qui, pour un festival à l’échelle belge, voire européenne, se révèle «complètement novateur»: «Notre objectif commun, c’est vraiment de faire comprendre les enjeux politiques liés au travail du sexe», dans une optique de déstigmatisation et de résistance: face à la censure et à la relégation, face à l’abolitionnisme, face aux normes dominantes, face à «la montée des politiques prônant la censure plutôt que l’éducation». Cela étant, rappelons quand même que la Belgique est devenue l’année dernière le deuxième pays au monde (après la Nouvelle-Zélande) à avoir adopté une loi décriminalisant le travail du sexe. Une réforme historique, certes, mais pour Marianne Chargois il ne s’agit que d’une «première étape.» «Tant que ça restera honteux d’avoir une mère, une sœur, un frère, un enfant TDS, leurs conditions de vie resteront dramatiques… Et l’intérêt du festival, c’est de dire que les travailleurs/travailleuses du sexe sont des personnes comme vous et moi. Il y a certes le cadre du travail, mais il y a aussi tout le reste, autrement dit la vie sociale», explique-t-elle.

Une prog’ politique et porteuse de joie

Très ancrée dans les enjeux politiques de minorités de genre et de sexe, la programmation du BxlPFF entend bien montrer que «les représentations sexuelles explicites s’avèrent très riches en termes d’expérimentation et de discursivité», dixit Marianne Chargois. D’ailleurs, il serait peut-être utile de le préciser: les hétéros cisgenres peuvent aussi y trouver leur compte – faut pas croire. «Les pornographies alternatives ne représentent pas que des sexualités non normées», insiste Thomas Lavergne, même s’il est clair que le festival entend faire voir et défendre en priorité d’autres courants esthétiques et par essence politiques, telle «une fenêtre sur des corps et des pratiques où gouines, trans, pédés, putes, racisé(e)s, s’entrelacent et s’enchevêtrent», d’après un communiqué du BxlPFF. Une fenêtre, un médium, qui permet à ces minorités de parler de leur réalité de vie, de montrer que leur sexualité, leur intimité (leur corps en somme), valent tout autant que celles de certains cishétéros. Montrer des sexualités très diverses qui sortent du modèle hétéronormatif, c’est donner à ces personnes la possibilité de trouver du réconfort, de retrouver de la fierté, et puis pour tous et toutes les autres d’en profiter pour changer d’avis et de mentalité: oui, le porno peut être émouvant, puissant, poétique, festif, engagé, exigeant, réflexif, sensuel et inventif.

 

Montrer des sexualités très diverses qui sortent du modèle hétéronormatif, c’est donner à ces personnes la possibilité de trouver du réconfort, de retrouver de la fierté, et puis pour tous et toutes les autres d’en profiter pour changer d’avis et de mentalité: oui, le porno peut être émouvant, puissant, poétique, festif, engagé, exigeant, réflexif, sensuel et inventif.

Plus pratiquement, sachez qu’au-delà des films projetés durant ces quatre jours au Nova et à L’Aventure (et catégorisés par thématiques, pas par les tags porno habituels), le festival propose également une soirée de performances de TDS (la «Perfs Putes Night»), un «Porn Market», une expo «Hot and Badass», des spectacles, des tables rondes et des workshops (au Beurs), sans oublier la «Porn Night» au Barrio, une soirée dansante «sexe admis» (tant qu’il est consenti) – et, on l’espère, bien d’autres «réconciliations charnelles»… Car, comme l’exalte l’égérie trans Patrick Califia, ne serait-il pas plus que temps de «libérer le sexe» en abattant «les barricades de notre propre psychisme», et de vivre notre vie «comme une aventure dont on fixe soi-même les limites en fonction de ses désirs profonds, sans se soucier des normes et du qu’en-dira-t-on»? En un mot et «tou·te·s ensemble, collectivement»: dé-stig-ma-ti-sons!

Grégory Escouflaire

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