Consommer moins d’énergie ? C’est possible. Encore faut-il s’y retrouver dans tous les conseils proposés, et poser les bons gestes. Si vous le pouvez.
« Réduisez votre facture d’énergie. » « Isolez votre habitation. » « Devenez un consommateur responsable. » Depuis plusieurs années, les appels à une « URE » (Utilisation rationnelle de l’énergie) se sont faits de plus en plus insistants. Pressé de s’adapter, que ce soit pour des raisons économiques ou écologiques, le public a aussi vu les initiatives et les intervenants se multiplier à ce niveau, que ce soit en Wallonie ou à Bruxelles. Écoconseillers, guichets énergie, facilitateurs, on ne compte plus les outils censés aider tout un chacun à se lancer dans une révolution verte qui commence souvent par chez soi.
Chacun dans son coin ?
Pourtant, pour beaucoup d’intervenants, cette multiplication d’initiatives n’a pas que des bons côtés. « On a parfois l’impression que chacun est dans son coin en train de réinventer l’eau chaude, alors que les moyens sont limités. Ne faudrait-il pas les investir de manière plus concertée et plus efficace ? », s’interroge à ce sujet Jan Willems, coordinateur de la cellule énergie du CPAS de la ville de Bruxelles. Conséquence : face à cette multitude, le public « lambda » aurait parfois du mal à s’y retrouver. Pour Françoise Henry, du guichet de l’énergie d’Ottignies, il existerait pour l’heure « un amalgame entre tous les dispositifs et fonctions qui ont été mis en place. Les gens ne savent plus où s’adresser ». Avec des effets parfois « amusants » pour les opérateurs eux-mêmes. « Chez nous, l’affluence du public est en diminution. Nous sommes méconnus à cause de la multiplication des intervenants », explique-t-elle.
Plus préoccupant encore, du fait de l’éclatement des sources d’information, celle-ci serait parfois contradictoire. La qualité, quant à elle, ne serait pas non plus toujours au rendez-vous. « On a multiplié les intervenants, mais pas les compétences », illustre Françoise Henry. Aujourd’hui, nombre de personnes en recherche de conseil se verraient donc proposer des solutions « clef sur porte », souvent inadéquates, à leurs problèmes d’énergie alors que tous les intervenants que nous avons pu interroger s’accordent au moins sur un point : ce genre de question se traite au cas pas cas et il n’existe pas de solution toute faite. « L’énergie est un domaine très compliqué. Mais pour vendre, on a souvent tendance à tout simplifier à outrance », déplore Christophe Verwilghen, architecte spécialisé en performance énergétique des bâtiments au guichet énergie de la commune bruxelloise de Woluwe-Saint-Lambert.
Que faire dès lors ? À Woluwé, on ne se pose plus trop de questions. Quoique… « La question c’est : où sont les vrais experts, les gens en qui je peux avoir confiance ? » Et pour Christophe Verwilghen, la réponse est claire : ils se trouvent du côté de la commune, des services publics. Ceux-ci doivent selon lui se montrer proactifs face à la confusion ambiante. « Les gens ne croient plus dans les services publics, ils se disent qu’ils vont devoir attendre des heures au guichet. Il ne faut pas que ce soient eux qui viennent chez nous, mais nous qui allions chez eux. » La commune démarche ainsi ses habitants pour une série de projets-pilotes, notamment de guidance énergétique. Avec une volonté : « Que les gens se réapproprient les matériaux, leur espace de vie, qu’ils comprennent comment une maison fonctionne. Il faut qu’ils deviennent acteurs », explique Christophe Verwilghen.
Et les précarisés ?
Certes, pour certains de nos intervenants, le grand public semble plus familiarisé avec les concepts de basse consommation qu’il y a quelques années. « Lorsque je travaillais auparavant avec des groupes d’adultes sur ces questions, les personnes ayant des comportements responsables se taisaient. On les considérait un peu comme « les vieux qui avaient connu la guerre » et c’étaient les « dispendieux » qui tenaient le crachoir, explique Delphes Dubray, écoconseillère indépendante. Aujourd’hui, ceux qui ont des pratiques économes en énergie osent se manifester. »
Néanmoins « s’il fallait auparavant que nous convainquions les gens de faire des économies d’énergie, il faut aujourd’hui que nous leur montrions comment faire. Le problème à l’heure actuelle réside dans le fait que les gens qui pourraient effectuer des économies d’énergie (NDLR comme les mandataires publics, notamment au niveau local) ne savent pas comment faire, parce que ce n’est pas leur métier », détaille Michaël Cotton, éco-conseiller chez Objectif 2050, une asbl qui agit notamment en tant que bureau de consultance en énergie et développement durable. C’est que les questions relatives à l’énergie sont parfois très abstraites, ce qui peut poser problème. Pour ce faire, rien de tel donc que de devenir acteur, de passer à la pratique. Jean-Marc Guillemeau est facilitateur éducation-énergie en Région wallonne. Il organise des audits énergétiques participatifs au sein d’établissements scolaires, en impliquant les élèves. Et pour lui, le constat est clair : « Quand les étudiants effectuent les mesures par eux-mêmes et qu’on leur apprend à les objectiver, c’est mobilisateur. À titre d’exemple, leur réaction lorsqu’ils découvrent ce qu’est la consommation cachée de certains appareils est spectaculaire. » Cela dit, la plupart des nos intervenants ne se font pas d’illusions. Si la dimension écologique fait partie des préoccupations du public avec lequel ils sont en contact, le portefeuille est aussi dans toutes les têtes. Existe-t-il dès lors un « public type » d’économiseurs d’énergie ? « C’est difficile à dire, explique Jean-Marc Guillemeau. C’est plutôt l’occasion et l’outil de sensibilisation, efficace ou pas, qui fait le larron. »
Pour Michaël Cotton, il existerait cependant à côté des « 50 % qui ne feront rien sans baïonnette dans le derrière » et des 25 % d’« indécis qui ont peur et qu’il faut accompagner, y compris dans les communes, chez les échevins ou les bourgmestres », 25 % de personnes capables d’effectuer le changement par elles-mêmes. Surprise : selon notre interlocuteur, cette catégorie est composée d’individus de tous types, en ce compris des personnes précarisées « qui vu leur situation, notamment en termes de logements insalubres, ont parfois très vite compris où se situaient leurs pertes d’énergie ». Des personnes « que l’on a souvent tendance à considérer comme consommant beaucoup, alors que cela constitue plutôt l’exception. Certaines sont même en sous-consommation, du fait de leur situation précaire », selon Jan Willems. Problème : si ces personnes précarisées sont conscientisées et capables de changements, reste à savoir si elles peuvent matériellement le faire. Difficile d’effectuer des économies d’énergie lorsque l’on habite de véritables passoires énergétiques et que l’on n’a pas l’argent pour remplacer des appareils électroménagers particulièrement énergivores. « De plus, beaucoup de ces personnes sont locataires de leur logement et les charges sont comprises dans leur loyer. Réduire leur consommation n’a donc parfois pas beaucoup d’effet sur leur facture », déplore Delphes Dubray. Pour les moins riches, la marge de manœuvre paraît donc souvent bien limitée. « On peut bien sûr leur demander de mettre un couvercle sur leur casserole lorsqu’ils font bouillir de l’eau, mais bon… », souligne Jan Willems en guise de conclusion.