Partager des locaux, c’est bien; les acquérir ensemble, c’est mieux. Le projet liégeois DynamoCoop mise sur la coopérative immobilière pour promouvoir la création artistique.
Publié le 3 février 2016, Alter Echos n°417.
C’est un «dispositif convertissant la vitalité des créateurs en une énergie créative continue et stable»: voilà la définition que se donne DynamoCoop, un récent projet de coopérative immobilière né à Liège. Pour comprendre de quoi il retourne, il faut se rendre rue Dony, située «en Saint-Léonard», à vingt-cinq minutes à pied de la place Saint-Lambert et de l’hyper-centre. Dony, c’est d’abord le nom d’un chimiste liégeois qui inventa, au début du XIXe siècle, un procédé d’exploitation du zinc: un témoignage du passé industriel de ce quartier populaire, qui connaît depuis quelques années un profond redéploiement. Au numéro 33, un vaste hangar accueille déjà des créatifs de tout poil: costumière, luthier, designer, réparateur de vélos… Les installations sont encore sommaires mais les travaux de rénovation devraient bientôt conférer un autre visage à cet espace de 1.400 m2.
DynamoCoop a acquis ce site en décembre dernier. Parmi les fondateurs du projet, le Comptoir des ressources créatives (CRC) – qui proposait déjà des espaces de création mutualisés – mais aussi deux autres structures: Jaune-Orange – collectif musical liégeois désormais réputé qui organise chaque été un festival de musique, le Micro Festival, dans le quartier – et la Fondation Smart, qui accompagne depuis 1998 les créateurs dans la gestion de projets et les aspects administratifs de leurs activités. Autant d’acteurs qui incarnent la volonté – et la nécessité – pour les artistes d’agir aujourd’hui collectivement. Question de survie autant que de principe. «Notre projet, c’est bien plus que des locaux partagés. Il s’agit de générer une prise de conscience effective des besoins. Les créateurs n’arrivent pas avec une idée déjà formée des services qui leur seraient nécessaires: c’est quelque chose qu’il faut stimuler», explique Gérard Fourré, l’une des chevilles ouvrières du projet.
Le CRC, qui se veut une «chambre d’écoute» des besoins du secteur artistique, a néanmoins vu une demande émerger prioritairement: celle de locaux adaptés et abordables. Découragés par les prix du marché immobilier, de nombreux créateurs travaillent en effet à leur domicile, un contexte décrit comme contre-productif en raison de l’empiétement de la sphère privée sur le travail mais aussi de l’isolement et de l’appauvrissement du réseau, pourtant central dans ce type de professions. Depuis 2013 et pour un loyer modique, le CRC met donc à disposition 400 m2 de bureaux place Vivegnis, mais sans pouvoir répondre à l’ensemble des demandes. «Très rapidement, il est apparu que toutes les professions ne pouvaient pas trouver leur compte dans des espaces de bureaux ‘classiques’», commente Gérard Fourré. Si un graphiste peut se contenter d’une table, d’une chaise et d’un ordinateur, il n’en est pas de même pour le musicien, le designer de meubles ou la compagnie théâtrale. La plupart des processus créatifs génèrent en effet du bruit et – sinon de la fureur – pas mal de crasse… Alors que la réflexion fait son chemin, le CRC apprend que le hangar Dony, à quelques centaines de mètres de là, cherche un acquéreur. Par son étendue, l’espace correspond aux objectifs revendiqués: rassembler une masse critique de créateurs et engendrer ainsi des synergies. Acheter plutôt que louer? Les travaux à faire, très importants, semblent justifier cet engagement. Une copropriété immobilière à finalité sociale, DynamoCoop, est alors créée.
Soutenir l’émancipation des créateurs
Certains prétendent que la créativité réside d’abord dans le don de saisir les opportunités. C’est ce que feront les fondateurs de DynamoCoop lorsque, quelques mois plus tard, ils apprennent que le Cirque divers, situé en Outremeuse, est lui aussi à vendre. «Pour toute une génération, c’est un endroit emblématique de la vie culturelle liégeoise», raconte Gérard Fourré. Ni une ni deux, ils deviennent également acquéreurs de ce bâtiment. Baptisé «13 rue Roture», il sera consacré à l’accueil d’événements culturels en tout genre. «Trouver des salles pour organiser des concerts ou des soirées est un autre problème récurrent pour les créateurs. Les frais qu’ils doivent engager sont souvent beaucoup trop élevés. Et ils ne peuvent bénéficier des recettes du bar, qui représentent souvent le gros des bénéfices», poursuit Gérard Fourré. En permettant aux artistes de devenir copropriétaires, DynamoCoop apporte une solution à ce problème, tout en permettant à ce lieu mythique, véritable vivier culturel depuis 40 ans, d’être sauvé in extremis de la spéculation immobilière. «Alors qu’il reste de moins en moins de lieux pour la vie nocturne, le projet était d’en faire des appartements!», s’indigne Gérard Fourré.
Pour financer l’acquisition et la rénovation de ces deux bâtiments, DynamoCoop – qui a reçu le label Financité & FairFin, certifiant des produits finançant des activités génératrices d’utilité sociale et/ou environnementale sur la base de critères sociétaux – a investi quelque 912.000 euros. Soixante pour cent de ce montant a fait l’objet d’un emprunt hypothécaire. Le capital de 40% a quant a lui été apporté par les fondateurs (47.000 euros) et par le dispositif Brasero de la Région wallonne, qui soutient l’investissement dans le domaine des coopératives actives en économie sociale (100.000 euros). Les 203.000 euros restants ont fait l’objet d’un appel public à l’épargne qui se clôt ce 14 février. «C’est une manière d’impliquer les parties prenantes en termes de financement participatif mais aussi de pouvoir décisionnel», explique Marc Moura, l’autre cofondateur principal du projet. Avec des parts à 250 euros, une limite de 5.000 euros par coopérateur et un droit de vote limité à 5% des voix au sein de l’AG, DynamoCoop vise une gestion la plus démocratique possible. Si elle génère des bénéfices, l’AG décidera de verser ou non des dividendes, dans tous les cas limités à 6%. Car le but est évidemment de réinjecter prioritairement les marges bénéficiaires dans la coopérative elle-même.
Partage en marche
À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’appel à l’épargne a permis de récolter 73% de la somme. Pour les fondateurs, il ne fait pas de doute que le citoyen, face aux faibles taux de rendement des comptes d’épargne et à la mise au jour des excès de la finance, est mûr pour s’engager dans ce type de projet. «Cette recherche effrénée de lucre a fait naître un désir de plus de transparence et d’action locale», estime Marc Moura. Affecter son épargne à la vie culturelle et à l’émancipation des créateurs plutôt que de la confier aveuglément à une banque: le pari est lancé. «Ce n’est pas déterminant, mais nous souhaitons aussi faire bénéficie
r les coopérateurs de réductions sur certaines activités culturelles et leur donner un accès prioritaire aux projets», explique Gérard Fourré.
La prochaine étape sera le début des travaux à l’Espace Dony. Avec ses deux grands halls, ses mezzanines, sa cave et sa cour, il comptera à terme quelque 22 ateliers entre 20 et 60 m2, pouvant accueillir quelque 60 créateurs. Une partie du hangar sera dévolue au stockage – autre problématique récurrente rencontrée par ces professions. Un espace de diffusion et d’exposition avec cafétéria et espace commun de travail coopératif pour la gestion des tâches administratives est également prévu. Le tout devrait être achevé dans le courant 2017. Mais le partage des outils, des savoirs et des questionnements, lui, est déjà en marche.
Pour découvrir d’autres Liégeois coopératifs : Alter Échos n°401, «Aux Grignoux, les vertus de la méthode horizontale», Quentin Noirfalisse, 29 avril 2015.