Deux études commandées par le cabinet de Benoît Cerexhe (CDH)1, le ministre de l’Emploi et de l’Économie en Région de Bruxelles-Capitale, analysent lesecteur de l’économie sociale d’insertion : les difficultés financières des EI/Ilde d’un côté, et le fonctionnement des trois Agences-conseil subventionnéesde l’autre. Elles dégagent également des pistes de réflexion et des recommandations. Rien de très nouveau sur les EI/Ilde, mais certaines idées quelque peuiconoclastes sur les Agences-conseil.
On en parlait depuis bientôt un an, les voici. Alter Échos a en effet pu prendre connaissance des deux études concernant l’économie sociale bruxelloise que lecabinet de Benoît Cerexhe (CDH), ministre de l’Emploi et de l’Économie de la Région de Bruxelles-Capitale, avait commandées début 2008. Relatives auxdifficultés financières des initiatives locales de développement de l’emploi (Ilde) et des entreprises d’insertion (EI) pour la première et aux Agences-conseil enéconomie sociale pour la deuxième, ces analyses auront leur importance puisqu’une modification (jugée nécessaire par le cabinet) de l’ordonnance du 18 mars 2004 organisantl’agrément et le financement des Ilde et des EI est à l’ordre du jour.
Une modification qui sera aussi l’occasion pour Benoît Cerexhe de se pencher sur le subventionnement des Agences-conseil. Le cabinet devrait d’ailleurs bientôt communiquer àpropos de l’ensemble de ces sujets (on parle du mois de février) alors qu’un texte devrait être déposé devant le Parlement avant les vacances d’été.
Des Ilde et des EI en difficultés financières
La première étude, réalisée par PriceWatehouseCoopers (PWC) et relative aux difficultés financières des Ilde et des EI, se base sur un échantillonde douze entreprises et asbl. Globalement, les chiffres analysés concernent l’année 2006. En guise de préambule, l’étude note qu’en 2005 et 2006, les moyensbudgétaires de la Région de Bruxelles-Capitale n’ont pas permis de respecter les montants de financement fixés par l’ordonnance. Dans ce contexte, un chiffre frappeparticulièrement : en 2006, la différence globale entre les financements reçus par les Ilde et les EI et le financement autorisé par l’ordonnance serait de –55 %.
Outre ce problème récurrent, bien connu par les acteurs du secteur, le document pointe d’autres particularités concernant la situation financière des structures. Ainsi,certains dispositifs diversifieraient leurs sources de subsides plus que d’autres de sorte que la part que représente le subside Ilde/EI dans l’ensemble des subsides reçus varierait de6 % à 100 %.
Deuxièmement, les principales difficultés financières des structures concernent leur liquidité. Pour l’année 2006, l’étude note d’ailleurs qu’une sur deuxprésentait des signes de difficultés sur la base de leur « Net cash flow »2. Mais PWC fouille plus loin pour identifier les origines de cesdifficultés financières. La première explication avancée est relative aux retards et aux incertitudes quant au paiement des subventions. La deuxième se trouve dansla rentrée « tardive » des pièces justificatives, en une seule fois pour cause de recherche d’efficacité, de gestion des différents subsides ou demanque de cash pour effectuer des dépenses au cours des premiers mois de l’année. Troisièmement, la faiblesse du plan d’affaires des dispositifs, due entre autres aux faiblesmontants reçus dans le cadre de l’ordonnance ou encore à une sous-capitalisation récurrente des projets (fonds propres) ne leur permettant pas de résister auxpériodes plus difficiles, est également pointée. Enfin, la faible solvabilité des créanciers semble poser problème.
On notera aussi que les chercheurs soulignent l’absence, pour certaines Ilde et EI, de support d’une structure mère qui prendrait certaines activités en charge (comptabilité,GRH) comme source de difficulté. Ils recensent également au rayon « problèmes » les difficultés à planifier, estimer ou anticiper les revenuscommerciaux ainsi que les revenus issus des subsides lors de l’élaboration du plan d’affaires ou encore les retards de paiement engendrés par les problèmesfinanciers3.
Peu de constats, finalement, que le secteur n’avait pas déjà posés. Et l’étude de pointer l’attentisme qui empêche les structures de se stabiliser et de sedévelopper.
Quelques recommandations pour l’ordonnance
À la suite de ce constat, le document énonce une série de recommandations touchant à différents volets de l’ordonnance, ou avancées parce qu’elles sontliées à un champ d’action du ministre en charge de l’Emploi et de l’Économie. Orientées selon quatre axes, les recommandations sont au nombre de 19. Nous nedétaillerons ici que celles qui nous semblent les plus importantes. Ainsi, dans le premier axe ayant trait à l’amélioration du processus de sélection des dossiersd’agrément, l’étude recommande d’améliorer la transparence. Certains projets dont le plan financier est jugé faible par Brusoc seraient en effet agréés parla Plate-forme de l’économie sociale, sans justification. Toujours par rapport à la Plate-forme de l’économie sociale, les chercheurs conseillent également de gérercelle-ci en prenant en compte les conflits d’intérêts. Ils notent effectivement que la composition actuelle de la Plate-forme ainsi que son mode de vote engendrent des situations dedouble casquette pour les représentants des organisations représentatives des employeurs du secteur de l’économie sociale (Febisp, Febecoop, Tracé-Brussel, Acfi etRessources) lorsque le vote concerne l’un de leurs affiliés.
Troisièmement, l’étude préconise une prise en compte plus pointue des aspects financiers des demandes d’agrément. Il s’agirait ici pour Brusoc d’évaluer lesprojets suivant une grille d’analyse attribuant un score basé sur les opportunités de marché, la pérennité du dispositif, la solidité des hypothèsesde croissance, l’impact sociétal ou l’expérience de l’équipe dirigeante du dispositif.
Concernant le deuxième axe (la diminution de l’incertitude du système), l’étude suggère la mise en place d’un agrément roulant. Il serait accordé pour unepériode p. ex. de deux ans au lieu de quatre, mais évalué chaque année. D’après PWC, à l’heure actuelle, la fin de la première périoded’agrément de quatre ans est une source d’incertitude trop forte pour la continuité des EI/Ilde, d’autant plus que la dépendance au subside est importante. Dans cecadre, la mise en place d’un agrément roulant permettrait de réduire cette source d’incertitude et ses effets pervers.
Dans la même logique, le document pr&
eacute;conise de proportionner les subsides au nombre d’équivalents temps plein du public cible. Le mode de calcul actuel fonctionnant par tranchede travailleurs crée un effet de seuil (engager du public cible dans le seul but d’avoir droit au montant prévu dans la tranche supérieure). Changer la logique, tout en diminuantles montants reçus par ETP pour les dispositifs atteignant une certaine taille permettrait, selon PWC, de supprimer ce problème.
Enfin, en guise de troisième, quatrième et cinquième recommandations, le document préconise de moduler les subsides Ilde/EI en fonction de l’éligibilitéà d’autres subsides, d’organiser une liquidation par avance du subside et enfin de faciliter l’accès aux marchés publics, la clause permettant un accès prioritaireà ces marchés semblant peu utilisée (pour des raisons techniques et politiques sur lesquelles PWC ne s’aventure malheureusement pas).
Pour conclure, on remarquera que le troisième axe, relatif au renforcement du suivi des asbl et entreprises agréées, se révèle un peu moins touffu. Onrelèvera dans ce contexte une recommandation relative à l’organisation de visites sur le terrain par l’administration permettant d’améliorer la compréhension pratique dela réalité des dispositifs ou encore l’organisation de rencontres régulières avec Brusoc et/ou les Agences-conseil, la note émettant l’hypothèse quel’expertise de ces organismes en termes d’évaluation et de financement de dispositifs opérant dans le milieu social bruxellois peut être très utile aux Ilde etEI rencontrant des difficultés financières. Le quatrième axe, peu chargé, suggère notamment la mise à disposition de templates détaillésde dossiers d’agrément.
Les agences-conseil dans le détail
La deuxième étude, celle relative aux agences-conseil en économie sociale, a été réalisée par Comase et se donne « […] pour butde cerner ce qui est actuellement réalisé par les agences-conseil en termes de promotion, de soutien et de suivi aux Ilde et EI, en tenant compte des actions des autres acteurs sur leterrain, et de voir dans quelle mesure le ministère de la Région de Bruxelles-Capitale devrait reconsidérer (leur) rôle ». Après avoirdétaillé le fonctionnement de chacune des trois Agences-conseil bruxelloises (Febisp, Febecoop et Tracé), Comase présente plusieurs autres intervenants dans le champ del’économie sociale (Febio, Alter, GroupeOne, Ressources, Acfi, Saw-b, Credal, Sociare), et détaille neuf problématiques ainsi que les recommandations censées yrépondre. Comme pour l’étude précédente, nous ne nous attarderons que sur certaines d’entre elles.
Premièrement, concernant le champ d’intervention des agences-conseil, l’étude note qu’il n’existe pas de définition de ce que couvre le champ de l’économie socialeà Bruxelles. Elle dit également constater que les conventions établies avec les Agences-conseil diffèrent en ce qui concerne leur champ d’intervention. Ainsi,d’après elle, alors que la Febisp et Tracé reçoivent une subvention pour soutenir exclusivement des associations et/ou entreprises qui désirent poser leur candidature entant qu’Ilde ou EI, l’objet de la subvention de Febecoop est plus large puisqu’on y parle de conseils aux entreprises d’économie sociale sans faire mention de la notiond’Ilde/EI en particulier. Cette distinction créerait des disparités dans la réalisation des missions sur le terrain. Dans ce contexte, les chercheurs de Comase conseillentà la Région d’harmoniser le champ d’intervention sur lequel elle souhaite positionner ses agences-conseil. Cette définition devrait, selon eux, partir des orientations politiqueset des moyens financiers qui pourraient être dégagés.
Deuxièmement, concernant ce qu’elle appelle « le contexte », l’étude recommande à la Région de « clarifier ses attentes en termes de missionsattendues pour les agences, mais également d’y inclure de nouvelles modalités de fonctionnement visant à une meilleure structuration et articulation non seulement dans lesrelations avec le porteur de projet, mais également avec les autres acteurs présents dans le secteur. »
À propos des missions, et en guise de troisième point, le document relève qu’alors que les agences-conseil développent peu leur mission de promotion, de nouveauxdossiers de candidature sont néanmoins déposés chaque année. Se pose donc la question de savoir s’il faut encore soutenir cette mission de promotion. Autrement dit,centrer l’action des agences sur l’accompagnement individuel. Dans ce contexte, en ce qui concerne le soutien aux dossiers de candidature ainsi que le suivi à mettre en œuvre pour lesIlde/EI agréées, l’étude estime que l’objet actuel de la subvention manque de précision, notamment au niveau de ce que recouvre la notion de soutien. D’aprèselle, ce manque de précision a pour conséquence d’avoir créé des disparités dans le travail qui est réalisé par les trois agences-conseil. Etles auteurs de plaider pour que la Région insiste auprès des agences-conseil pour une plus grande implication de celles-ci dans les différentes étapes del’élaboration du dossier de candidature. L’accent devrait également être mis sur leur rôle en termes de suivi des structures existantes, notamment sous la forme d’unsuivi de structures nouvellement agréées (par le biais d’une convention proposée librement à la suite de l’agrément) et de la réalisationd’études spécifiques auprès des structures existantes.
Enfin, en clôture de cette problématique liée aux missions, Comase note que l’analyse des diagnostics des trois agences-conseil n’a pas permis de constater la mise enœuvre d’actions spécifiques concernant la création d’emploi et la transition vers un emploi classique ou, à tout le moins, la pérennité des emploiscréés au sein des structures existantes. Ce qui pousse la société à avancer que, à côté de l’aspect économique et du conseil liéà la gestion, une attention toute particulière pourrait être portée par les agences-conseil aux aspects liés à l’insertion socioprofessionnelle même sielle constate que « […] vu la différence entre les budgets octroyés et ceux prévus initialement dans l’ordonnance, on peut se demander si les structuresagréées parviennent à respecter le contenu de leur plan de formation. Une autre question qui surgit également est la capacité pour ces structures àélaborer les contenus des formations. »
En guise de conclusion, l’étude suggère également de contractualiser la relation entre le porteur de projet et l’agence-conseil ou encore de mettre en place un processusd’évaluation des agences-conseil. Elle propose également, en ce qui concerne leur financement, de passer du financement forfaitaire actuel à un mécanisme associant u
nmontant fixe minimum et un montant variable, la partie fixe devant être insuffisante pour couvrir les charges de l’agence. Le reste, le montant variable, serait obtenu grâce auxprestations effectives de l’agence sur les dossiers, au travers d’un cofinancement assuré par le bénéficiaire et la Région.
1. Cabinet de Benoît Cerexhe :
– adresse : rue Capitaine Crespel, 35 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 508 79 11
– courriel : info@cerexhe.irisnet.be
– site : www.cerexhe.irisnet.be
2. Tout en faisant remarquer que si les montants des subsides octroyés avaient été égaux aux montants autorisés, un seul dispositif aurait présentéun « Net cash flow » négatif.
3. L’incapacité de régler à temps certaines dettes telles que les cotisations ONSS, qui entraîne des coûts supplémentaires – majorations –qui sont difficilement récupérables.