L’ordonnance bruxelloise du 18 mars 2004 organisant l’agrément et le financement des initiatives locales de développement de l’emploi (Ilde) et des entreprises d’insertion (EI)serait à un tournant. Critiqué pour son imprécision, le texte est actuellement passé à la loupe par un groupe de travail.
Alors que l’année 2009 marquait le terme des quatre premières années d’agrément pour les trente projets initialement reconnus dans le cadre de l’ordonnance, ledébat relatif à la « qualité » et à l’imprécision de celle-ci semble plus que jamais d’actualité, notamment dans le chef des opérateurs deterrain. « Il faut savoir que lorsque le texte a été écrit, il y avait une forte demande de la part de ceux-ci, affirme Delphine Huybrecht, attachée « économiesociale » à la Fédération bruxelloise des organismes d’insertion socioprofessionnelle (FeBISP)1. L’ordonnance a donc été réalisée dansl’urgence. » Un empressement qui, d’après certains, expliquerait l’imprécision globale du texte. « Cette imprécision a cependant eu certains effets positifs,enchaîne notre interlocutrice. Elle ne ferme pas le champ, tant au niveau du public cible que des domaines d’activité reconnus. Cela a permis à bon nombre de projetsd’émerger, ce qui n’aurait peut-être pas été le cas si les critères avaient été trop restrictifs. »
Néanmoins, et c’est un problème de taille, le financement, n’a, lui, jamais vraiment suivi. « Sans faire de politique, si on lit l’ordonnance, on s’attend à recevoir uncertain montant de subsides, déclare Carine Janssens, directrice de l’entreprise d’insertion « À vos services-Tot uw dienst »2. Or les montantsversés sont moindres… » Si l’on considère également que le nombre d’agréments ne cesse d’augmenter, en partie à cause de l’imprécision de certainscritères, la situation s’est dès lors quelque peu compliquée. « La tarte se divise de plus en plus », continue Carine Janssens. Plus important, le manque defonds a également eu un impact sur le fonctionnement même de l’ordonnance. « Ce qui était prévu dans l’ordonnance à propos du financement n’a jamaisété respecté. On s’est retrouvé directement hors cadre », affirme Simon Verstraeten, Coordinateur général de « Casablanco»3 et administrateur de la Federatie van de Brusselse Initiatieven voor de Ontwikkeling van de werkgelegenheid (Febio), la fédération néerlandophone del’économie sociale à Bruxelles. Initialement réglée selon un droit de tirage qui garantissait une certaine équité, la répartition de l’argent,grevée par le manque de fonds, a en effet finalement été dévolue à la plate-forme de concertation de l’économie sociale, dont le rôle est notamment deremettre des avis concernant les dossiers de demande d’agrément des projets. « La plate-forme a dès lors joué un rôle de ventilation de la répartition dessubsides, ce qui n’était pas prévu », déclare Youcef Hammani, responsable de Febecoop4, Agence Conseil Bruxelles. Selon moi, dans ce cas, soit il fallaitaugmenter l’enveloppe, soit modifier l’ordonnance. »
Les petites structures « avantagées » ?
Selon certains, une autre conséquence de ce manque d’argent résiderait dans le fait que les petites structures se seraient retrouvées « avantagées » parrapport aux plus grosses. Concrètement, les Ilde et les EI peuvent en effet prétendre à un subside de maximum 15 000 euros pour la première tranche de quatre travailleursemployés dans l’initiative (les tranches suivantes sont subsidiées à 50 %) ; subside qui est censé couvrir les tâches d’accompagnement du public cible. Un autresubside, salarial celui-là, de maximum 31 000 euros pour la première tranche de quatre travailleurs (les tranches suivantes sont subsidiées à 50 %) est prévupour l’encadrement. « Le problème, c’est qu’il est quasi impossible pour une petite structure qui se lance de commencer sans pouvoir disposer de ce total de 46 000euros », affirme Simon Verstraeten. Un constat qui aurait poussé la plate-forme à octroyer systématiquement le « plein subside » aux petites structuresalors que les plus grosses, censées pouvoir effectuer des économies d’échelles, se voyaient « arrosées » à raison de 50 % ou moins de ce qu’ellesétaient supposées recevoir. « Dans ce contexte, ce système n’incite pas vraiment les structures à se développer, avance Youcef Hammani. De plus, cela peutengendrer un effet d’opportunité, poussant à la création de petites structures fonctionnant avec un équivalent temps plein et recevant pour ce faire 46 000 euros. Ce quin’est pas sans conséquence sur l’enveloppe disponible. » Et sur le nombre de structures agréées, déjà à la hausse du fait de la relativeimprécision de l’ordonnance.
Concernant la répartition des subsides par la plate-forme, des « principes généraux » auraient été récemment mis en place, selon DelphineHuybrecht. Une affirmation à propos de laquelle Simon Verstraeten précise : « J’imagine qu’on va en effet vers une sorte de système puisque les grilles derépartition des subsides établies pour 2008 ont été reprises pour l’année 2009. »
Deux études fantômes
Dans ce contexte, certains plaident pour que l’ordonnance soit évaluée, ce qui aurait été fait. Deux études, l’une relative à l’ordonnance et à laviabilité financière des structures et l’autre concernant les structures de soutien à l’économie sociale seraient à l’heure actuelle en possession du cabinet deBenoît Cerexhe (CDH), le ministre de l’Emploi et de l’Économie de la Région de Bruxelles-Capitale. Un cabinet qui, selon certains intervenants du secteur, se serait « assis» sur les deux documents. Aucun de nos interlocuteurs n’a, en tout cas, eu l’occasion d’y jeter un œil. Contacté par nos soins, le cabinet de Benoît Cerexhe, en ces heurespost-électorales, n’a pas été en mesure de répondre à nos questions.
Quoi qu’il en soit, l’ensemble des intervenants plaide pour une analyse en profondeur de l’ordonnance. « Le problème réside dans le fait qu’à part ces deuxétudes, aucun avis neutre ou externe n’a été donné à propos de cette ordonnance. Il faudrait que celle-ci soit réformée, mais de manièreopérationnelle. Il faut une réforme en profondeur », continue Youcef Hammani. Un point de vue partagé par Simon Verstraeten. « Ma crainte serait qu’on réformele texte en fonction du budget disponible actuellement. Cette situation ne ferai
t qu’entériner la situation compliquée de ces dernières années. » Une formalisationdu texte serait donc bénéfique pour tout le monde. « Ce qu’il faut, continue Simon Verstraeten, c’est clarifier les objectifs. Il n’y a pas, à l’heure actuelle àBruxelles, de définition de ce qu’est l’économie sociale d’insertion. Il faut clarifier la définition de ce qu’est une « organisation d’économie sociale», définir les formes opérationnelles que peut prendre l’économie sociale d’insertion. À partir de ce moment-là, on pourra faire un travail législatifcorrect. »
Il est vrai que le texte tel qu’existant aujourd’hui prétend déjà régler l’agrément et le financement de deux types de structures (Ilde et EI) fortdifférents puisque les ILDE sont des associations sans but lucratif ayant comme but social l’insertion professionnelle alors que les EI sont des sociétés commerciales àpart entière.
« Dans ce contexte un peu flou, il est compliqué de donner une priorité à l’économie sociale vu qu’il n’y pas de contours et d’objectifs précis pour cettemême économie sociale », affirme Simon Verstraeten qui cite, à titre d’exemple, quatre modèles d’économie sociale qui mériteraient d’êtreidentifiés au sein d’une ordonnance cadre « quitte à avoir une ordonnance complémentaire pour le financement de chacun d’eux. » Sont ainsi citées lescoopératives d’activités, la création d’emplois adaptés pour personnes en difficultés « psychosociales » durables, l’action vers la transitionprofessionnelle (impliquant la « stabilisation » des travailleurs et l’acquisition de compétences par ceux-ci en vue d’une intégration) et la création d’emploisdurables au sein des structures d’économie sociale (destinée à faire du travailleur un travailleur « normal »).
Notons également qu’un groupe de travail a été constitué afin de remettre des pistes de travail au ministre.
1. FeBISP asbl :
– Cantersteen, galerie Ravenstein, 3 boîte 4 à 1000 Bruxelles
– tél.: 02 537 72 04
– site : www.febisp.be
2. A vos services-Tot uw dienst :
-adresse : rue des ateliers, 7-9 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 412 56 77.
3. Casablanco :
– quai de l’industrie, 121C à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 527 57 75
– site : www.casablanco.be
4. Febecoop agence conseil Bruxelles :
– adresse : rue Haute, 28 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 500 53 05
– site : www.febecoop.be