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Égalité des femmes et des hommes : rapprocher Mars de Vénus

Vendredi 9 septembre, l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes1, en partenariat avec la Région de Bruxelles-Capitale et la Ville de Bruxelles,invitait un panel de chercheurs à éclairer le rôle des hommes face au changement dans les relations hommes-femmes. Entre évolutions marginales et stagnationgénérale.

13-09-2005 Alter Échos n° 193

Vendredi 9 septembre, l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes1, en partenariat avec la Région de Bruxelles-Capitale et la Ville de Bruxelles,invitait un panel de chercheurs à éclairer le rôle des hommes face au changement dans les relations hommes-femmes. Entre évolutions marginales et stagnationgénérale.

Stagnation des schémas traditionnels

Les schémas traditionnels qui guident les comportement des hommes et des femmes persistent. Tant le doctorat de Suzana Koelet (Vrije Universiteit Brussel)2 quel’étude européenne coordonnée par Sophie Pioro le confirment. Dans le premier, centré sur les ménages flamands, la chercheuse relève que les hommesconsacrent deux fois plus de temps que les femmes aux activités rémunérées. Ces dernières en consacrent deux fois plus aux tâches ménagères ettrois fois plus aux enfants. Quant aux loisirs, les hommes s’y adonnent en moyenne durant sept heures de plus par mois que les femmes. Tendanciellement, elle observe toutefois uneévolution à la baisse du temps consacré par les femmes aux tâches ménagères, parallèlement à un statu quo du côté des hommes.

Par ailleurs, un fossé persiste entre le discours sur l’égalité et les pratiques personnelles. L’enquête européenne montre que chez un grouped’entrepreneurs interrogés, l’argent des programmes européens en faveur de l’emploi féminin n’est pas perçu comme un moyen de susciter unepolitique de genre. Il s’agit plutôt d’une opportunité de puiser dans un vivier de talents particuliers, au service de leur intérêt professionnel. Des hautsfonctionnaires et des mandataires concernés par des politiques d’égalité ont par contre manifesté une attention particulière pour les usagères desdispositifs dont ils ont la charge. Ils peuvent cependant se sentir lésés par la féminisation des structures professionnelles dans lesquelles ils travaillent. Souvent, ils nepeuvent expliquer cette évolution qu’en référant avec fatalisme à des décisions prises en « haut lieu ».

Le paradoxe de l’essentialisation

Selon Fabio Lorenzi-Cioldi3, psychosociologue suisse, la sphère professionnelle a vu évoluer la place des femmes. Elles se retrouvent aujourd’hui toujours plusnombreuses à des postes décisionnaires. Bémol de taille : elles restent victimes d’une ségrégation horizontale qui les cantonne dans des domaines jugés »féminins » (la comptabilité, les ressources humaines mais pas les finances, par exemple). Face à des mesures de discrimination positive, les hommes occupant des fonctions »menacées » n’accepteront l’ascension de femmes qu’en les « essentialisant ». Soit : en les considérant globalement par quelques traits caractéristiques « naturels »(attention aux autres, intuition, recherche de consensus, franchise, etc.) qui les rendent généralement compatibles avec certaines fonctions. Donc moins menaçantes. Paradoxe :l’essentialisation fixe l’état des représentations accolées à un groupe social et interdit d’appréhender toute évolution par rapportà ces stéréotypes. Mais elle facilite, dans une certaine mesure, un dispositif – la discrimination positive – qui vise un changement des comportements, donc desreprésentations.

Le changement des hommes naît à la marge

Pascale Jamoulle, anthropologue à l’UCL4, a enquêté durant trois ans auprès d’hommes en situation d’insécurité multiples(insécurité financière, affective, sociale, …), dans une cité hennuyère de tours d’habitations sociales. La construction identitaire « viriliste » desadolescents masculins s’y opère dans un contexte d’absence de figure paternelle et de féminisation de la vie en appartements. Trafics informels, appartenance de bande, sensde l’honneur, prise de pouvoir sur les filles deviennent alors la règle. Au moment de trouver une compagne et de faire l’expérience de la paternité, ces jeunes hommesrenoncent souvent à leur rôle de père. Symboliquement d’abord, notamment parce que les domiciliations dans ces tours sont souvent exclusivement le fait des femmes (maintiendu niveau des allocations oblige). Pratiquement ensuite, du fait de l’absence de modèle de référence pour guider leur rapport aux enfants ; et du fait de leur moindremaîtrise (par rapport aux femmes) des modalités de négociation avec les institutions (CPAS, Justice, …), ce qui les marginalise d’autant plus.

Si la plupart des hommes oscillent alors entre la figure du « père déprimé » (infantilisé et distant d’avec ses enfants) et celle du « pèredésimpliqué » (n’assumant pas du tout la [co-]parentalité), d’autres tentent de s’adapter. Ces derniers transitent entre un modèle paternel rigoristeouvriériste et un modèle plus relationnel. Pour l’anthropologue, ces évolutions à la marge, dans des milieux populaires, même bricolées,témoignent d’évolutions effectives de l’identité masculine. De plus, leur analyse révèle l’existence d’une véritable « fabriquesociale de prise de risque » qui enferme les individus de certaines classes sociales dans une spirale de la dualité (adolescents contre adolescent(e)s, hommes contre femmes, pères contreinstitutions).

Comment réintroduire un tiers, quel tiers et dans quelle perspective temporelle ? Autant de questions à se poser quand on prétend intervenir en faveur del’égalité des femmes et des hommes. Et en faveur de l’égalité tout court !

Mixité des dispositifs et moyens conséquents

Comment désamorcer la guerre des sexes dans un contexte de stagnation des politiques d’égalité ? Pascale Vielle, directrice de l’Institut, a insisté sur lanécessité de clarifier l’intérêt qu’ont les hommes, d’une part, et les femmes, de l’autre, à faire progresser l’égalitéentre eux. Pour y contribuer, l’Institut associera désormais systématiquement les deux sexes aux comités de pilotage de son ressort.

De même, les chercheuses et chercheurs ont relevé la nécessité d’associer des hommes et des femmes dans les équipes de recherche sur les questions de genre.Histoire d’au moins confronter les interprétations possibles d’un même phénomène. En outre, ils relèvent l’utilité de mener des recherchessur les changements dans les rapports entre hommes. En effet, de nombreux comportements sont renforcés ou dévalorisés par les groupes de pairs.

Enfin, lors des moments de débat, certain(e)s ont rappelé que la charge mentale des tâches ménagères ou parentales incombait encore le plus souvent aux femmes.Même lorsqu’elles sont réparties de façon égale au sein du couple. D’autres ont insisté sur la sauvegarde des budgets consacrés à larecherche et aux mesures en matière d’égalité des femmes avec les hommes. L’importance d’un renforcement de l’offre de services s’adressant aux hommes(lieux d’accompagnement pour hommes violents, conditions d’octroi du logement social, …) doit être rencontrée sur la base de nouveaux budgets.

1. Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, rue Ernest Blerot, 1 à 1070 Bruxelles -tél.: 02 233 49 47 – fax: 02 233 40 32 – courriel : egalite@meta.fgov.be

2. http://www.vub.ac.be
3. http://www.traboules.org (PDF)
4. Pascale Jamoulle, Des hommes sur le fil. La construction des identités masculines dans les milieux précaires, La Découverte, Paris, à paraître endécembre 2005.

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