Au cœur d’une énième polémique sur la nécessité, ou non, d’ouvrir de nouvelles places fermées pour juguler la délinquance juvénile, laministre de l’Aide à la jeunesse, Évelyne Huytebroeck (Écolo)1, avait confié à la Fondation Roi Baudouin la tâche d’organiser une table ronde ayantpour thème : « Quelles priorités dans les réponses à la délinquance juvénile ? » Six mois plus tard, le rapport est disponible. Laministre a accepté de faire part à Alter Échos de son ressenti après lecture du rapport.
– Le rapport de la Fondation Roi Baudouin sur la délinquance juvénile est sorti. Il est le fruit d’échanges de représentants du secteur de l’Aide à lajeunesse. Quelles sont vos premières impressions à la lecture de ce document ?
Je tiens d’abord à rappeler le contexte qui m’a amené à demander qu’une table ronde soit mise sur pied. C’était à l’époque des discussions sur le centrefédéral fermé d’Achêne. La décision relative à sa construction a été prise par le Fédéral. Mais il faut savoir ce qu’on veut enfaire de ce centre. J’ai dit à l’époque : « Je n’ai pas assez d’éléments pour savoir le nombre de places qu’il faudra. Combien dépendront de laCommunauté française ? Quel type de jeunes qui y seront placés ? » C’est dans ce contexte que j’ai voulu cette table ronde, avec un panelreprésentatif du secteur. On l’a souhaitée rapide, en quelques mois, et nous avons demandé explicitement aux participants d’adresser des recommandations. Le document m’aété remis le 30 septembre dernier, par Françoise Tulkens. C’est un beau travail, les participants ont répondu présents et ont montré leur enthousiasme. Toutle monde a joué le jeu.
– Ce rapport est effectivement très complet. Mais n’avez-vous pas été déçue de constater que les participants à la table ronde ne répondent pasà votre question relative au nombre de places fermées nécessaires pour répondre à la délinquance juvénile ?
Je ne suis pas déçue. Je m’y attendais et j’ai bien lu que des participants rappellent qu’un placement en section fermée d’une IPPJ (institution publique de protection de lajeunesse) permet de marquer le coup pour certains jeunes. D’autres demandent un moratoire et enfin, certains voudraient que l’on réduise le nombre de places. Je savais que ces trois positionsexistaient.
– En ne tranchant pas, les participants ne renvoient-ils pas la balle aux politiques : c’est à vous de trancher un tel débat ?
Oui, c’est certain, nous devons prendre nos responsabilités. Même s’il n’y a pas d’avis péremptoire sur le nombre de places, on peut lire certaines choses entre les lignes. Onvoit clairement qu’il n’y a pas de mouvement majoritaire ni d’engouement pour dire « il faut plus de places fermées ». Même ceux qui y sont favorables nuancent leurpropos, en insistant sur le fait que l’augmentation des places en milieu fermé n’apparaît pas prioritaire pour autant que l’on travaille en amont à renforcer d’autres mesures etsur le fait que, en aval, des solutions soient offertes. Et ce point est essentiel, il faut en effet renforcer les dispositifs avant et après. Si des choix budgétaires doivent se faire,c’est dans ce sens-là ! C’est d’ailleurs ce qui m’a marquée dans ce rapport, c’est le « fil vert », l’idée de voir la problématique dans saglobalité, de créer ce qu’ils appellent une « chaîne éducative ». Et en effet, on loupe le coche si on ne voit que l’IPPJ.
Rapport de la table ronde : les principales recommandations
Après six mois de consultations d’acteurs de terrain sous l’égide de Françoise Tulkens, juge à la Cour européenne des droits de l’homme, le rapport de laFondation Roi Baudouin sur les priorités dans les réponses à la délinquance juvénile a été remis à la ministre de l’Aide à la jeunesse,le 30 septembre.
Point important : les tables rondes n’ont pas abouti à un avis tranché relatif aux nombres de places en IPPJ, alors qu’il s’agissait d’une demande de la ministre. Comme l’affirmeFrançoise Tulkens, « on ne peut pas répondre simplement à une question si complexe. Nous proposons un ensemble de solutions ». Avant de répondre àces questions, il est nécessaire « d’objectiver les connaissances », donc de réaliser des études et évaluations « sur l’impact desplacements ».
Parmi les solutions proposées, notons que ce rapport insiste sur le fait que les placements en IPPJ ne sont qu’une mesure parmi d’autres. Il existe de nombreuses mesures qui permettraientde personnaliser la réponse à apporter à l’acte délictueux.
Chacune de ces alternatives ou de ces mesures complémentaires au placement en IPPJ est présentée. Leurs avantages et leurs inconvénients sont détaillés.Citons par exemple : la surveillance par un service social compétent, l’accompagnement éducatif intensif, la prestation positive ou la médiation.
De plus, les placements en IPPJ doivent « être inscrits dans la ligne du temps ». L’avant et l’après doivent être réinvestis.
Une recommandation phare, mais pas nouvelle : il faut créer une véritable chaîne éducative. Pour le dire simplement, il est plus qu’urgent d’intensifier les liens entretous les intervenants qui gravitent autour de jeunes ayant commis des faits qualifiés infractions, tant en aval qu’en amont. Pour créer ce lien et favoriser les articulations, il estproposé de créer un poste de « référent délinquance » par arrondissement judiciaire.
Le rôle du juge de la jeunesse est aussi mis en lumière. Ce dernier est souvent bien seul pour prendre des décisions qui pourtant auront un impact considérable sur lavie des jeunes. Pour Françoise Tulkens, « il doit être assisté par une équipe pluridisciplinaire et solide ».
Enfin, il est rappelé que la prévention, cet éternel « parent pauvre », mériterait bien qu’on s’y attarde un peu plus.
– Le rapport vous adresse une demande spécifique : avant de prendre des décisions en matière d’enfermement, il faut objectiver les connaissances en lançant desétudes, notamment sur l’impact des placements. Où en est-on ?
Il y a deux études concomitantes qui vont être lancées. Tout d’abord une étude sur le dispositif de la loi de 1965 sur la protection de la jeunesse : comment lesmagistrats utilisent-ils les différentes mesures prévues ? Nous souhaitons entamer ce travail avec l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC), car c’est un enjeufédéral. Mais cela démarre lentement, on ma
nque de réponses concrètes de la part de l’INCC. Nous lançons aussi une étude sur le parcours des jeunespris en charge par les IPPJ.
S’il faut encore attendre le résultat d’études, il n’y aura pas de décision rapide sur le nombre ou le type de places fermées que le centre d’Achêne accueillera.Certains participants de la table ronde proposaient, par exemple, de faire d’Achêne une structure ouverte…
C’est vrai que ce rapport et Achêne sont liés. Pour l’instant, je me refuse à dire combien il faudrait de places relevant de la Communauté française. Il seranécessaire d’analyser le type de places. Ce centre pourrait par exemple recevoir des mineurs dessaisis, donc relevant du fédéral [NDLR considérés comme majeurs auvu de la gravité des faits pour lesquels ils sont inculpés] ou des jeunes relevant de l’Aide à la jeunesse mais nécessitant un suivi psychiatrique. Le rapportrelève la proposition qu’Achêne soit plutôt un centre « ouvert ». Il y a plusieurs options et nous n’avons pas tranché, rien n’est exclu. Lorsque legouvernement de la Communauté française tranchera, le sort de Saint-Hubert [NDLR qui a ouvert en avril 2010], qui est aussi un centre fédéral fermé, devraêtre considéré avec celui d’Achêne. Il faudra prendre des décisions pour ces deux centres.
– L’autre point fort du rapport est de rappeler que la loi de 65 permet de répondre à la délinquance juvénile de multiples manières. Les mesures sontnombreuses et diversifiées. Les auteurs du rapport recommandent de mieux utiliser ce potentiel…
C’est un point important. Ils pointent dans le détail chaque mesure alternative et font un « scan » de leurs avantages et faiblesses respectifs. Certainesmesures, comme la concertation restauratrice en groupe, sont peu utilisées par les juges qui peut-être les connaissent mal ou ont un a priori. Il faudrait plus de pédagogie pourles faire connaître.
– À cet égard, le rapport de la Fondation roi Baudouin suggère de mieux entourer les juges, par une équipe pluridisciplinaire. Êtes-vous favorable à unetelle mesure qui pourrait impliquer des coûts supplémentaires ?
Un cri est lancé : le juge est souvent trop seul pour prendre une décision. L’idée de plancher sur la création d’équipes pluridisciplinaires estintéressante. Mais ce n’est pas seulement une question de moyens, car cela relève aussi du fédéral. Les magistrats du parquet sont entourés, par exemple, decriminologues qui dépendent du fédéral. On pourrait travailler avec ce niveau de pouvoir pour réfléchir à la mise en place d’une telle équipe. Mais ilfaudrait d’abord en parler avec les magistrats.
– On perçoit aussi une nécessité de mieux informer les juges sur les places disponibles dans tel ou tel service ou dans telle institution. La Cioc, cellule d’information,d’orientation et de coordination, a été fondée dans ce but en 2008. Elle ne fonctionne visiblement pas, faut-il la supprimer ?
On ne supprimera pas l’outil « Cioc ». Mais on revoit son fonctionnement. Je déposerai une proposition d’ici la fin de l’année pour qu’elle soit plus efficaceet qu’elle atteigne son but.
– Il est recommandé de renforcer le rôle du délégué du Service de protection judiciaire (SPJ) qui est un « pivot entre les acteurs sociaux et lesintervenants du judiciaire ». Envisagez-vous de suivre cette recommandation ?
Nous avons déjà franchi deux pas en ce sens. Tout d’abord, nous sommes en train de lancer le « suivi éducatif intensif ». Les éducateurs serontintégrés dans les SPJ et le délégué aura un rôle important à jouer. Nous procédons à l’embauche des éducateurs. Le programmedevrait commencer sur le terrain en janvier 2011. C’est déjà un renforcement du rôle du SPJ dans le secteur. De plus, la semaine passée, nous avons annoncétrente-cinq nouvelles embauches dans les SPJ et les Services d’aide à la jeunesse (SAJ), essentiellement dans les équipes sociales de ces derniers. Cela dit, il ne s’agit pas seulementd’une question de moyens, mais également d’une reconnaissance du rôle des délégués.
– Certaines recommandations ne sont pas neuves. Il y a par exemple l’éternel besoin de renforcer le travail en réseau, de faire se rencontrer les acteurs. Comment enfin mettrecette recommandation en pratique ?
Il y a une idée à creuser dans ce rapport, pour que le travail en réseau soit une réalité : la création d’un « référentdélinquance » par arrondissement judiciaire. C’est une bonne idée, car un tel référent permettrait de coordonner les services et les acteurs autour depolitiques communes. Il faudrait imaginer quelque chose en ce sens, peut-être inspiré des « coordinateurs de trajet de soins », mis en place par le SPF Santépublique.
– Une étude qui recommande de mieux utiliser les alternatives… le « grand public » est-il prêt à entendre ce message ?
L’information du grand public est un chantier essentiel. On le voit, à chaque moment émotionnel impliquant un acte de délinquance, des déclarations du type« il manque de places fermées en IPPJ » sortent dans la presse. Dans l’opinion, on est peu au courant de la multiplicité des mesures qui peuvent êtreadoptées pour répondre à la délinquance juvénile.
– La multiplicité des services et de leurs acronymes rend peut-être peu lisibles ces mesures pour les non-initiés ?
Le nombre de services, c’est tout à fait logique pour un secteur qui veut coller à la réalité des parcours des jeunes, qui sont multiples. Cela contribuepeut-être à la confusion dans l’esprit des gens qui voient l’Aide à la jeunesse résumée par les IPPJ alors que c’est un secteur très riche et que beaucoup dechoses se font. Il y a un gros problème de communication sur les mesures alternatives. Nous en sommes conscients et nous planchons sur cette question. C’est aussi au secteur d’agir. Il doitmieux se vendre. Pour le grand public, l’Aide à la jeunesse, c’est le monde de la délinquance et de l’impunité alors que c’est complètement faux. C’est à nous de ledémontrer. La pédagogie vers le public doit rappeler qu’il faut davantage travailler en amont, avec les mineurs en danger, travailler sur les questions de parentalité, sur ledécrochage scolaire et sur les placements pour causes sociales. Si on ne s’attaque pas à ces questions, on rate quelque chose…
– Pourtant, il existe une demande, parfois forte, pour une réponse plus ferme vis-à-vis de la délinquance juvénile…
C’est évident que pour certains jeunes, il est nécessaire de procéder à une mise à l’écart, ne serait-ce que pour les protéger eux-mêmes.Notre souhait est que chaque fait qualifié infraction commis par un jeune reçoive une réponse rapide et coh&eac
ute;rente en fonction de l’acte commis, du jeune, de son parcours.Il ne faut pas oublier l’objectif de chaque mesure : que le jeune ne récidive pas et qu’il se réinsère dans la société. Il est par ailleurs vérifiéqu’un enfermement n’offre pas de garanties qu’un jeune ne recommencera pas. Enfin, il est important de dire que les victimes ne sont pas toujours demandeuses d’enfermement. Parfois, ellesdésirent une médiation, elles souhaitent que le jeune prenne conscience de la gravité de ses actes.
Je tiens aussi à rappeler que l’après-IPPJ est important, la transition entre le placement et la mesure qui suit est un moment privilégié qu’il faut investir. Il y a eudans le passé un renforcement des cellules API (accompagnement post-institutionnel) ainsi que des SAIE (services d’aide et d’intervention éducative) qui font de la réinsertionfamiliale. Il est certain qu’il y a une demande forte en ce domaine et qu’il est nécessaire d’augmenter le nombre de jeunes suivis, car certains juges prolongent leur séjour en IPPJfaute de solution à l’extérieur.
– Quelles suites allez-vous donner à ce rapport ?
Avant décembre nous allons informer le gouvernement de la sortie du rapport et des principales recommandations. Nous allons informer de ce qui est déjà en route : lesuivi éducatif intensif, les deux études, la réforme de la Cioc, un grand chantier ayant trait à la prévention. Puis, nous ferons certaines propositions, mais ilest encore trop tôt pour les détailler.
1. Cabinet d’Evelyne Huytebroeck :
– adresse : place Surlet de Chokier, 15-17 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 801 75 11
– site : http://evelyne.huytebroeck.be