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«École en colère» soutient les étudiants face aux CPAS

Un étudiant risque-t-il de perdre ses allocations d’insertion après une session d’examens de janvier ratée? Une pratique des CPAS, qui demandent aux étudiants de leur communiquer leurs notes dès le début de l’année dans le cadre du PIIS, suscite en tout cas des craintes dans le secteur de l’enseignement. Pour soutenir les étudiants face à cette pression latente, le collectif «École en colère» a lancé un débat public et interpellé les centres publics d’action sociale.

Un étudiant risque-t-il de perdre ses allocations d’insertion après une session d’examens de janvier ratée? Une pratique des CPAS, qui demandent aux étudiants de leur communiquer leurs notes dès le début de l’année dans le cadre du Projet individualisé d’intégration sociale (PIIS), suscite en tout cas des craintes dans le secteur de l’enseignement. Pour soutenir les étudiants face à cette pression latente, le collectif «École en colère» a lancé un débat public et interpellé les centres publics d’action sociale.

Tu es jeune, étudiant et désargenté? Le CPAS peut te proposer un revenu d’intégration. Il sera accompagné d’un «PIIS portant sur des études de plein exercice». Tu devras alors respecter les termes d’un contrat, dont l’obligation de «communiquer ses résultats d’examens dans les sept jours ouvrables». Mal géré, ce «suivi» des résultats scolaires par les CPAS peut être problématique.

Deux professeurs de l’IESSID, une haute école bruxelloise de formation pour assistants sociaux, membres du groupe d’action «École en colère», ont sorti leurs plumes pour soutenir les étudiants face aux pressions des CPAS. Dans un document envoyé, en décembre 2015, aux présidents et assistants sociaux des centres publics de Bruxelles, signé par les directeurs des cinq catégories de la haute école, ils demandent «de ne pas mettre, ou d’enlever, toute référence à une attente de résultat précis dans le PIIS des étudiants, y compris concernant leurs évaluations», à savoir leurs résultats aux examens. Plusieurs services, dont le comité de vigilance en travail social et l’Union des étudiants de la Communauté française (UNECOF), ont, à leur tour, apporté leur soutien à la démarche. 

Le «PIIS étudiant», c’est quoi?

Le Projet individualisé d’intégration sociale (PIIS) est un contrat signé entre le travailleur social et le bénéficiaire du revenu d’intégration au sein des centres publics d’action sociale (CPAS). L’objectif est d’accompagner le bénéficiaire dans sa démarche de recherche d’emploi. Le «PIIS étudiant» consiste, quant à lui, à encourager l’étudiant à obtenir un diplôme pour faciliter son insertion professionnelle. Le contrat précise les conditions auxquelles le jeune doit répondre pour obtenir les allocations. Des sanctions sont possibles si les engagements ne sont pas respectés. Ce PIIS est obligatoire pour tous les jeunes de moins de 25 ans soutenus par les CPAS.

Mauvaise approche, interprétation large

Sébastien Gratoir, un des professeurs à l’origine de cette lettre, explique pourquoi il remet en cause cette pratique. «Évaluer les points de l’étudiant peut être intéressant dans certains cas, par exemple si le jeune a choisi de passer son examen et qu’il l’a raté, dans le réel but d’améliorer sa situation. Mais cette évaluation est systématique» et non ciblée, regrette-t-il. Le professeur considère par ailleurs que, depuis la réforme de l’enseignement supérieur initiée par le ministre Jean-Claude Marcourt (PS), «juger l’étudiant dès le mois de janvier est complètement inadéquat». Le mouvement «École en colère» rappelle que le décret paysage structure l’enseignement en trois blocs, et non plus en année d’études. Dès lors, l’étudiant peut passer ses examens à plusieurs moments de l’année.

Du côté du syndicat étudiant UNECOF, on insiste sur l’interprétation trop large de la loi. «D’un point de vue légal, le texte dit que le centre doit évaluer l’année d’étude écoulée de l’étudiant», explique Raoul Hervy, juriste à l’Union des étudiants. Mais «le CPAS n’a pas à mettre la pression et forcer l’étudiant à communiquer ses résultats dès le mois de janvier car ce n’est qu’à la fin de l’année qu’on peut vraiment savoir si l’étudiant réussira ou non», souligne-t-il. L’UNECOF affirme également que les étudiants sont «de plus en plus scandalisés» car les informations demandées relèvent, selon elle, de l’«intime». 

«En secondaire, quand j’avais cinq échecs, j’avais peur de perdre le revenu d’intégration à cause de mes résultats.» Charlotte

Les discussions entre l’IESSID et les étudiants ont permis à Sébastien Gratoir de remarquer que des assistants sociaux faisaient régulièrement la leçon aux étudiants en échec. «Ils se prennent pour des pédagogues; or ce n’est pas leur mission», estime-t-il, en ajoutant que, bien entendu, les rapports peuvent être différents avec certains travailleurs sociaux. «Mon assistante sociale est très compréhensive car, selon ses termes, je suis un cas facile. Je lui explique que mes échecs sont dus à des abandons et voyant le reste de mes résultats, généralement positifs, elle n’insiste pas», confirme Charlotte (prénom d’emprunt), une étudiante de 25 ans bénéficiaire du revenu d’intégration depuis sept ans. 

Charlotte se souvient toutefois de ses premiers rendez-vous, plus difficiles. «En secondaire, quand j’avais cinq échecs, j’avais peur de perdre le revenu d’intégration à cause de mes résultats.» Une angoisse supplémentaire. C’est précisément ce que craint Sébastien Gratoir, qui pointe une inégalité des chances face à la réussite. «On se rend compte que certains de nos étudiants sont plus stressés que d’autres et peuvent même, sous cette pression, rater leurs examens», rapporte-t-il en convenant toutefois que la suppression d’allocations n’est pas, à sa connaissance, avérée. «Je pense que c’est plus utilisé comme une menace. Si l’étudiant répond aux exigences du CPAS sur tous les autres points, ça ne va jamais être utilisé comme seul argument d’exclusion.» La présidente du CPAS de Bruxelles, Pascale Peraita, explique qu’il n’y a pas de ligne directrice commune et que chaque CPAS peut agir différemment. 

«Ouh la, ça va faire mal»

Quatre mois après les premières interpellations publiques, l’IESSID a eu des retours positifs. Selon Sébastien Gratoir, le président d’un CPAS, a salué la démarche de soutien aux étudiants. «Ouh la, ça va faire mal! C’est une bonne chose que les hautes écoles réagissent car ça va remettre en question tout le système», a déclaré ce responsable qui préfère rester discret, selon ses propos rapportés par Sébastien Gratoir. Mais toutes les réactions ne sont pas aussi favorables, convient-il. Plusieurs centres d’action sociale ont répondu négativement. C’est le cas du CPAS de la Ville de Bruxelles, qui considère qu’effacer toute référence à des attentes précises de résultats ne profitera pas aux étudiants.

«Nous avons le même objectif, c’est la réussite des jeunes.» Jean Spinette, président du CPAS de Saint-Gilles

«L’objectif est de mettre en place un système d’accompagnement. Ne pas suivre un étudiant durant un an et s’en inquiéter en fin de session, ce n’est pas lui rendre service», estime la présidente du CPAS bruxellois. Le centre de Saint-Gilles souligne quant à lui qu’il n’y a pas encore de position commune des CPAS mais se réjouit des rencontres qui auront lieu, fin mai, entre hautes écoles et CPAS pour étudier collectivement la demande. «Nous avons le même objectif, c’est la réussite des jeunes», rappelle Jean Spinette, le président du centre. 

Pour l’UNECOF, plus généralement, la logique de contractualisation instaurée par les politiques d’activation pose problème. «Il y a une sorte de violence morale faite à l’étudiant car la loi créée une obligation de contracter, ça va complètement à l’encontre de l’essence même de l’aide sociale, qui est de permettre aux personnes de mener une vie conforme à la dignité humaine», regrette Raoul Hervy. «J’espère que cette réflexion et cette remise en question de l’utilisation du PIIS étudiant vont mener à une meilleure utilisation du PIIS de manière générale», confie Sébastien Gratoir, alors que les discussions entre les différents acteurs vont se poursuivre.

 

Aller plus loin

«RIS, un bénéficiaire sur trois est un jeune», Alter Échos n°387-388, septembre 2014, Pierre Jassogne

«Allocations d’insertion: il faudra étudier vite», Alter Échos n°399, mars 2015, Julien Winkel

En savoir plus

 

Nastassja Rankovic

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