Les écoles «ghettos» ont-elles absolument besoin d’élèves «blancs» pour être de bonnes écoles? Il est permis d’en douter.
«Est-ce assez blanc pour vous?» Un élève d’origine africaine montre son T-shirt avec ce slogan, écrit noir sur blanc. Tout est parti de cette action «ludique» organisée par deux établissements situés dans des quartiers colorés du sud d’Amsterdam, l’école Avonturijn et l’école Catharina, qui comptent chacune 95 % d’élèves d’origine immigrée. Dans un communiqué de presse, elles ont expliqué le sens de leur action. «Nous en avons marre de constater que les écoles de couleur n’attirent aucun enfant blanc. Il faut tout faire pour augmenter le pourcentage d’enfants blancs.»
Mais cette initiative fait bondir Orhan Agirdag, sociologue flamand de l’enseignement de l’Université d’Anvers. Dans une tribune libre publiée par le quotidien néerlandais Volkskrant, il tance vertement les deux directions d’école et les professeurs à la base de cette initiative. «Qu’est-ce que les enfants d’origine immigrée vont retenir de cette action? Qu’en tant qu’élèves de couleur, il leur manque quelque chose qui ne peut leur être apporté que par des élèves blancs, qu’ils ont besoin de ceux-ci pour pouvoir apprendre. En gros, qu’ils ont moins de valeur que les Blancs.»
La recherche de la multiculturalité est pourtant une préoccupation constante de la plupart des ministres de l’Enseignement. Mais pour Orhan Agirdag, non seulement il reste très difficile de convaincre des parents blancs d’inscrire leurs enfants dans une école très colorée mais, surtout, il ne semble pas que les enfants d’immigrés se mettent subitement à avoir de meilleurs résultats parce que des élèves blancs font irruption dans leur classe.
La quasi-totalité des enquêtes effectuées en Flandre et aux Pays-Bas montre que la qualité de l’enseignement n’est pas moins bonne dans les écoles à forte concentration d’immigrés que dans les écoles blanches. Car ce n’est pas tant l’origine géographique mais bien le milieu social et économique des élèves qui peut conditionner leur réussite scolaire.
Mécanismes inconscients
Une enquête commune des universités de Gand, d’Anvers et de Louvain a aussi montré que beaucoup d’élèves d’origine turque ou marocaine se sentaient stigmatisés. En Flandre, le corps professoral est constitué presque uniquement de Flamands de souche, tous néerlandophones. Dans les écoles à forte concentration étrangère, beaucoup de ces enseignants en attendent moins de leurs élèves. C’est un mécanisme inconscient qui n’a probablement rien à voir avec une quelconque forme de racisme mais plutôt avec l’importance qu’ils accordent à une bonne connaissance du néerlandais. Dans ces conditions, le multilinguisme n’est plus un atout mais une tare. «Comment parler d’égalité quand un enfant est puni pour avoir parlé sa langue maternelle à la maison?», souligne Orhan Agirdag.
Le journaliste du Morgen, Remy Amkreutz, voit plusieurs solutions alternatives à cette mixité à tout prix mais aucune d’elles n’est simple à mettre en œuvre. Scolariser plus tôt les jeunes d’origine étrangère afin qu’ils apprennent plus vite le néerlandais, mais la solution radicale – avancer l’âge de l’obligation scolaire – est une opération coûteuse, impossible en période d’économies. Accorder plus d’attention au turc ou à l’arabe à l’école: dans la configuration politique actuelle, cela paraît totalement impensable. Une salle des professeurs plus colorée pourrait aussi constituer un signal dans le bon sens. Mais prévenir et combattre la pauvreté au sein des familles immigrées auront bien davantage d’effets positifs, selon lui. Dans l’enseignement même, on pourra utilement renforcer les écoles à forte population immigrée, en y envoyant des professeurs plus expérimentés par exemple.
D’après De Morgen et De Volkskrant