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Regard critique · Justice sociale

Economie

Économie collaborative, économie sociale: même combat ?

Peut-on vraiment comparer économie collaborative et économie sociale? Tentative de réponse avec deux interlocutrices issues chacune d’un de ces deux « mondes » : Françoise Bernon, déléguée générale du think tank français «Le labo de l’économie sociale et solidaire», et Flore Berlingen, cofondatrice de la plateforme Ouishare.

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Peut-on comparer économie collaborative et économie sociale? Quelles sont leurs perspectives d’avenir en commun? Tentative de réponse avec deux interlocutrices issues chacune d’un de ces deux «mondes». Françoise Bernon est déléguée générale du think tank français «Le labo de l’économie sociale et solidaire». Flore Berlingen est quant à elle cofondatrice de la plateforme Ouishare, un des gros acteurs de l’économie collaborative.

Françoise Bernon: «Les outils financiers ne sont pas du côté de l’économie sociale»

Alter Échos: Quel regard portez-vous sur l’économie collaborative?

Françoise_BernonFrançoise Bernon: Il s’agit d’un processus de transformation de l’économie. C’est une démarche qui nous intéresse donc beaucoup. Certaines de ses caractéristiques sont importantes. Je pense au fait de travailler en circuit court, avec peu d’intermédiaires. Ou encore à la transparence. Et puis il y a cette idée révolutionnaire que l’usage prévaut sur la propriété.

A.É.: Existe-t-il des points communs entre l’économie sociale et l’économie collaborative?

F.B.: Je pense que l’économie collaborative intègre dès le départ certaines valeurs de l’économie sociale, comme cette attention portée au circuit court, à la transparence, à la participation active des membres ou de la communauté, à l’équité recherchée dans les échanges.

A.É.: Certaines «grosses écuries» de l’économie collaborative fonctionnent pourtant selon un modèle de gestion très capitaliste qui a peu de rapport avec les principes «traditionnels» (voir encadré) de l’économie sociale.

F.B.: Je pense que c’est notre faute. L’économie sociale n’a pas, ou pas assez, développé d’outils qui peuvent permettre à ces nouvelles structures de se développer, de gérer leur «changement de taille». Les outils financiers ne sont pas du côté de l’économie sociale et solidaire. Il y a bien la finance solidaire, mais cela reste assez marginal. Il règne de plus une certaine lenteur au sein de l’économie sociale, inhérente à sa manière de fonctionner. Dans ce contexte, certaines jeunes structures se tournent vers l’économie «traditionnelle».

A.É.: Comment voyez-vous les relations entre ces deux «mondes»?

F.B.: Bien qu’il y ait des connexions entre leurs approches respectives, ces deux secteurs ont chacun leurs particularités. L’économie sociale va mettre l’accent sur des principes de gestion économique, l’économie collaborative sur l’innovation, la technologie. Mais il existe un point commun d’importance: toutes ces innovations réinventent les échanges, l’investissement des usagers. Il s’agit d’une transformation de l’économie. Dans ce contexte, l’économie sociale a ses vertus. Elle prend d’ailleurs de plus en plus de place. En Corse par exemple, 30% de l’économie est constituée par des structures de l’ESS. Nous investissons les territoires désertés par l’économie classique, tout comme l’économie collaborative. Et puis il est aussi bon de constater que les principes de l’économie sociale infusent dans le milieu de l’économie «classique».

A.É.: Avez-vous l’impression qu’ils percolent assez dans le secteur de l’économie collaborative?

F.B.: Je pense qu’il faut rendre les initiatives d’économie sociale plus lisibles. Les médias, par exemple, vont souvent s’intéresser à une initiative, alors qu’elle n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans un champ, qui est celui de l’économie sociale.

A.É.: Vous voulez dire que c’est à cette condition que l’on rendra l’écosoc plus visible pour l’économie collaborative. Existe-t-il en France des structures d’économie collaborative qui ont également un agrément économie sociale?

F.B.: Oui, il y a notamment «La ruche qui dit oui», qui se revendique des deux approches. Et puis nous sommes en contact presque permanent avec le secteur de l’économie collaborative. Je reçois toutes les semaines des invitations à participer à des colloques traitant de ces sujets ou de leurs connexions, interactions. Ces deux économies sont complémentaires et partagent une communauté d’intérêts.

 

Flore Berlinger © Clemence Herout
Flore Berlinger © Clemence Herout

Flore Berlingen: «L’économie sociale a 100 ans, l’économie collaborative, trois.»

Alter Échos: Quels sont vos rapports avec le secteur de l’économie sociale?

Flore Berlingen: Notre objectif est de créer des liens entre le secteur de l’économie collaborative et celui de l’économie sociale. Tout en sachant qu’il existe une très grande diversité de modèles au sein de ces deux secteurs.

A.É.: Vous parlez de diversité. L’économie collaborative a-t-elle défini des principes de gestion «de base», comme l’économie sociale?

F.B.: Dès le début, nous avons fait le choix d’être inclusifs. Il y a trois ans, il aurait été ridicule d’exclure des projets sur la base de valeurs trop strictes. Il n’y a pas des bons et des méchants. Nous ne jugeons pas sur les motivations, toujours difficiles à évaluer, mais sur les pratiques, la manière dont une structure s’organise. Le fonctionnement «peer to peer», horizontal, la communauté.

A.É.: Pour vous, on peut trouver des points communs entre l’économie sociale et l’économie collaborative?

F.B.: Les deux secteurs sont tellement diversifiés que c’est peut-être de la partie «Social business» de l’économie sociale que nous nous rapprochons le plus. Cela dit, nous avons mis sur pied une grille de critères qui s’appliquent aussi bien à l’économie collaborative qu’à l’économie sociale. À ce propos, il ne s’agit plus de voir si une structure est à but lucratif ou pas. Ce critère est de plus en plus flou. Nous mettons plutôt l’accent sur le fait de savoir si la gouvernance est ouverte ou pas. Ou sur le partage de la valeur.

A.É.: Existe-il des plateformes d’économie collaborative fonctionnant comme des coopératives, c’est-à-dire en associant la communauté à la gouvernance ou au capital?

F.B.: C’est de cela que je voulais parler en évoquant le partage de la valeur. De plus en plus de projets d’économie collaborative se financent en crowdfunding et il serait donc logique que les financeurs soient associés à la gouvernance et bénéficient aussi de la valeur éventuellement créée. Maintenant, je ne crois pas qu’il existe vraiment à l’heure actuelle de plate-forme collaborative fonctionnant sur le modèle d’une coopérative d’économie sociale.

A.É.: Vous voyez donc aussi des divergences entre l’écosoc et l’économie collaborative?

F.B.: J’ai participé à une conférence où Valérie Peugeot, présidente de l’association Vecam (NDLR, association qui s’intéresse aux transformations liées à la numérisation croissante), évoquait cette question. Elle soulignait trois points de «frottement» entre les deux secteurs. Le premier est incarné par la question du numérique, dont l’économie sociale n’a pas encore saisi tout le potentiel. Il y a ensuite le «point d’entrée» des deux modèles: l’écosoc a une entrée par la production, alors que l’économie collaborative a une entrée par la consommation et ne se pose pas la question de la production, même si ce n’est vrai que pour la consommation collaborative. Avec le financement participatif, nous avons aussi une entrée sur la production. Enfin, il existe un décalage de génération. L’économie sociale a 100 ans, l’économie collaborative, trois.

A.É.: Ce dernier point vous paraît important?

F.B.: Il est clair que l’économie sociale ne prend pas toujours la mesure des changements opérés par le numérique. Je participe à beaucoup de conférences en compagnie d’associations environnementales. Beaucoup d’entre elles ne connaissent pas des sites contributifs comme «ifixit». De l’autre côté, l’économie collaborative réinvente parfois des choses que l’économie sociale a déjà faites. Ces deux mondes pourraient se nourrir l’un l’autre.

Les principes de l’économie sociale
  • finalité de service à la collectivité ou aux membres, plutôt que finalité de profit;
  • autonomie de gestion;
  • gestion démocratique et participative;
  • primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition des revenus.

 

 

 

 

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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