C’est avec un curieux mélange de perplexité et d’agacement que je me suis furtivement éclipsée dans l’humidité hivernale de ce 24 février du colloque consacré à la régionalisation de la santé organisé par la Plate-forme d’action Santé & Solidarité.
Menace ou opportunité? C’est par cette interrogation – qui présageait la concomitance de l’une et de l’autre – que titraient nombre d’articles ou de conférences sur la régionalisation de la santé, à cette époque pas si lointaine qui a précédé les dernières élections (Lire notre article «Régionalisation, bonne pour la santé?», datant d’il y a un an). Six mois après l’entrée en fonction des nouveaux ministres, les opportunités (la principale pointée étant la possibilité de mettre un peu d’ordre dans des politiques particulièrement éclatées) ne sont-elles pas en train de fondre comme neige au soleil?
Il est difficile de résister à la tentation d’élaborer une longue – et inquiétante – liste des risques associés à la mise en œuvre de ces transferts. Une liste dressée sur la base des seules interventions des représentants des ministres de la Santé lors de ce colloque. (Nul besoin d’y ajouter les visions presque apocalyptiques de militants échauffés.)
Il y a d’abord ce brouillard dense enveloppant les budgets, toujours élaborés de manière transitoire par l’Inami, mais que doivent s’approprier les entités fédérées. Et derrière ce brouillard, le trou noir: l’insuffisance inéluctable des moyens qui résultera de l’opération du transfert (à politique inchangée, deux milliards d’euros manqueront au bout du compte, toutes matières confondues). Il y a aussi le dédale administratif dans lequel pourrait se perdre le citoyen et qui, si l’on n’y prend garde, entravera sa liberté de circulation dans notre système de santé, la rendant presque plus complexe que pour une personne débarquant d’un autre pays. «On n’a pas assez de réunions à l’heure actuelle pour y arriver», a-t-on d’ailleurs entendu, à propos de la mise au point d’un système informatique de partage des données commun à notre pays. Il y a aussi ce besoin de toujours plus de coordination entre les niveaux de pouvoir, entre des Régions qui auront mis en place des modèles de gestion différents, avec des droits distincts pour leurs citoyens. (On va sans doute passer notre temps à recréer du lien entre ce qui a été cassé, a expliqué en substance la représentante du cabinet de Didier Gosuin.) Mais le plus grand danger, a martelé Alda Greoli, la chef de cabinet du ministre Prévot, est la possible remise en question de notre modèle de soins solidaire, s’il passait de la logique de l’assurance santé à celle de l’assistance. C’est enfin le spectre de la marchandisation des soins qui semble se rapprocher à grands pas, les Flamands ayant ouvert grand leur porte aux organismes d’assurance privée pour gérer leur assurance santé. Des Flamands par ailleurs absents de ce colloque, «pour des raisons d’agenda». Même les maigres opportunités, quand elles sont évoquées, semblent teintées de «complexité», de «difficultés», de «regrets» en tous genres.
Extirpons-nous de cette drôle de vision, de laquelle subsiste la sensation, étrange et désagréable, qu’on ne sait ni où on va, ni avec quels moyens. Nous voici aujourd’hui à l’heure des négociations, jusqu’ici à huis clos, touchant à la tuyauterie de la réforme. Une tuyauterie qui doit se planifier, puis devra se construire. Tout cela nécessite du temps, tout cela a un coût. À tel point qu’on pourrait se demander si les cabinettards ne vont pas y passer leur législature, à faire atterrir cette réforme. La question est de savoir si cela ne fera pas aux dépens de la construction d’une vision politique, voire, plus fâcheux, de la continuité des actions menées jusqu’ici sur le terrain.
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Fil d’info du 13.02.2015: «Social-santé à Bruxelles: mais où est donc l’OIP?»