À première vue, les inégalités territoriales sont bien identifiées. Poches de pauvreté, (manque d’)accès à un air pur et à des espaces verts, ségrégation scolaire ou encore prix du logement au mètre carré: on peut lire, cartes à l’appui, la traduction dans l’espace des inégalités sociales, tout comme la production d’injustices sociales par l’organisation de l’espace. Des «injustices spatiales» que nombre de politiques visent aujourd’hui, tant bien que mal, à réduire (lire dans notre dossier sur le «local» l’article «Inégalités de santé: faire le pari des territoires»).
Pourtant, les cartes ont une langue qui leur est propre et les déchiffrer n’est pas si simple qu’il n’y paraît, ne fût-ce que parce que, selon que l’on observe les choses de loin ou de plus près, les inégalités sociales peuvent prendre des colorations discordantes. Certains géographes français s’opposent ainsi sur la question des fractures territoriales, les uns voyant une rupture entre la capitale et les zones périphériques, abandonnées, les autres mettant en avant le fait que la pauvreté et l’exclusion sont plus importantes dans les grandes aires urbaines. Or les zones en marge, qu’elles se situent en milieu rural (lire notre article sur la pauvreté dans les rurales et inégalitaires que sont le Luxembourg et le Brabant wallon) ou urbain se glissent souvent dans les plis des cartes. Parfois visibles mais souvent plus discrètes, elles occupent une position périphérique, non pas forcément dans l’espace physique, mais par leur mise à l’écart des mécanismes dominants de notre organisation socio-économique.
Aujourd’hui, le fossé «se creuse entre la réalité des dynamiques territoriales et ses représentations collectives» engendrant un «désordre territorial contemporain», nous dit aussi Daniel Behar, professeur en géographie à l’Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne (UPEC)1. Notre relation au territoire se recomposant sur des échelles temporelles et spatiales de plus en plus nombreuses et éclatées – il suffit de penser à la distance franchie en un simple petit clic –, les disparités sont en effet toujours plus fines et complexes à décrypter.
Le territoire, dans lequel on entre et duquel on sort, ne peut ni se définir par des frontières tracées au crayon noir ni être réduit à une proximité en mètres ou en kilomètres. Car il est vécu. L’abondance des tentatives pour définir cette notion suggère d’ailleurs la multiplicité de ses dimensions – physique, sociale, temporelle, identitaire, affective ou sensorielle…
Et si le territoire est objet d’appropriation, il est aussi sujet de transformation. En tant que réseau ouvert et tissu de relations et d’interdépendances entre un milieu, un environnement et ses habitants – humains et non humains –, le territoire, quelle que soit son échelle, est un commun. Une zone à défendre. C’est justement parce qu’il n’est pas «hors sol» que le territoire est porteur, en s’organisant autour d’intérêts communs – des questions climatiques à celles de la propreté d’une rue en passant par le lien physique avec des services essentiels à sa survie –, de démocratie, de lien social ou de propositions pour enrayer la machine des injustices sociales.
1. «Les inégalités entre les territoires deviennent des inégalités au sein des territoires», The Conversation, 29 septembre 2021, Daniel Behar.