Certains d’entre nous ne verront pas la sortie. Et si l’on a abondamment parlé des personnes âgées, une étude britannique a montré que les plus forts taux de surmortalité concernent aussi les travailleurs de première ligne, celles et ceux qui n’ont pas eu le choix de «rester chez eux», qu’on a aussi appelés «travailleurs essentiels»: métiers du soin à la personne, chauffeurs de taxi, de bus, livreurs. Professions qui présentent les conditions de travail les plus difficiles et les statuts les plus précaires. Et qui comptent un grand nombre de femmes et de personnes de couleur.
Il y a celles et ceux dont on ne sait pas comment ils vont s’en sortir. D’autant que, pour nombre d’entre eux, la porte de sortie semble depuis longtemps fermée à double tour. «Toutes les personnes qui dépendaient de l’économie informelle n’ont plus aucune ressource financière», alerte Céline Nieuwenhuys, secrétaire générale de la Fédération des services sociaux et membre du «GEES», le groupe d’experts du déconfinement, dans l’entretien qui ouvre ce numéro.
Comment vont s’en sortir les travailleurs au noir de la construction, les prostituées, les étudiants jobistes, les intérimaires, les artistes et travailleurs au projet, les travailleurs saisonniers, les parents qui ont dû arrêter de travailler pour s’occuper de leurs enfants? La liste est longue.
Au sein des CPAS ou dans le secteur associatif, les services de médiation de dettes, en mesure d’apporter leur aide aux personnes rencontrant des difficultés financières, s’attendent à «être submergés de demandes» (lire «Covid-19: des dégâts financiers en perspective»).
Dans quel état de santé physique et psychologique vont aussi sortir les travailleurs de l’associatif, sur le pont depuis le début du Covid au plus près des personnes fragilisées, dont la créativité durant cette crise a été proportionnelle au manque de moyens qui leur ont été alloués? «Comment ces services vont-ils pouvoir tenir dans la durée?», s’interroge aussi Céline Nieuwenhuys.
Il y a aussi celles et ceux qui craignent la sortie. Qui ne veulent pas sortir trop abruptement de cette «parenthèse», de cette période d’introspection. Ce temps suspendu qui a vu des solidarités se développer. Des questions environnementales et sociales remonter. Des injustices impossibles à nier. Des tabous se lever. Entre un monde meilleur et le meilleur des mondes, leur cœur balance… (lire «Post-Corona Dreamin, Chœur doux-amer pour le ‘monde d’après’»)
Ou en sortir. Mais pas n’importe comment.
«Des parents ne veulent pas remettre leur enfant à l’école pour ne pas ‘le renvoyer en prison’ comme s’ils savaient d’emblée que les arguments du type ‘droit à la sociabilité’ ne pourraient pas avoir de prise dans l’organisation scolaire telle qu’ils la connaissent jusqu’à maintenant», explique Elsa Roland, docteure en sciences de l’éducation, qui s’est emparée de ce moment de crise pour élaborer des pistes nouvelles pour l’école (lire son entretien).
De la petite enfance au grand âge, on veut sortir de modèles qui ont fait leur temps. «Soit on va comprendre toutes les erreurs qui ont été commises lors de cette crise, soit, par conformisme et par peur, on va continuer dans la même voie. Y aura-t-il des moyens pour financer les alternatives?», s’interroge Caroline Guffens, codirectrice de l’association Le Bien Vieillir (lire «Maisons de repos, maisons de chaos»). Pour une sortie réussie – et une deuxième vague moins violente –, il ne suffira pas d’ouvrir les portes des maisons de repos. Mais il s’agira peut-être de les fermer définitivement.
Comment (s’)en sortir enfin quand on est «sans»? Quel avenir, une fois les solutions d’urgence passées, réservera-t-on aux sans-papiers, aux sans-abri, «à toutes les marges passées de trop visibles à seules visibles» durant cette crise (lire «Parc Astrid: la misère moins pénible en plein air?»)?
S’en sortir? En sortir? (Par où) sortir ? À défaut de vous indiquer quelle direction ou issue emprunter, ce numéro (dont vous découvrirez le sommaire ici) s’emploiera, nous le souhaitons, à donner un peu de sens à ce déconfinement.