C’est la ronde des visages, des numéros et des petites phrases. C’est la banalité, voire l’absence de message, le battage et l’omniprésent affichage. C’est l’overdose de papiers – arbres sacrifiés sur l’autel de l’ambition politique – plus ou moins bien torchés, dans nos avenues, dans nos allées, dans nos commerces de proximité. C’est tout simplement la campagne électorale, européenne, régionale, fédérale.
Oui, les élections, ça rend lyrique. Et pas que nous manifestement. En cette période effervescente, notre brigade s’est imprégnée de l’état d’esprit des camarades du social adeptes des bistrots et pareillement appelés à se rendre aux urnes électroniques. Rendez-vous en terre très connue du Parvis, au Rocky Pompadour précisément, pour glaner les souhaits et les prévisions de nos coreligionnaires. Il est 18 h 15 et c’est l’hiver indien en Belgique.
Le Rocky Pompadour, vous dites?
Le café a été repris il y a cinq ans par Anneke, main de fer dans gant de velours, qui a procédé en deux temps pour adoucir l’atmosphère du lieu, que d’aucuns jugeaient glauque. D’abord, en y proposant de la petite restauration, afin de dire aux «turbulent(e)s» de ne pas crier pour respecter les «plus sages» qui mangeaient à côté. «Ça nous a permis de ne pas éradiquer des gens, mais des comportements.» Des comportements humanimaux de type: gueuler comme des putois, prendre le bar pour un zoo, manquer de respect aux femelles et/ou fumer la ganja en terrasse. Pour boucler l’opération, Anneke a changé le nom du bar.
«Notre idée, c’était de garder le côté convivial, mixte, dans une atmosphère détendue, joyeuse. Quand on voit la plupart des nouveaux cafés qui éclosent à Saint-Gilles, ce sont ce que j’appelle des cages à bobos. Ici, le mélange est très important. Tout le monde est bienvenu.»
Spécificité de l’endroit: sa déco insolite. Vieille caisse enregistreuse, objets hétéroclites, ampoules nues qui pendent du plafond, poêle à gaz avec plaid écossais à disposition. Aux murs: Charles Bukowski, le grand orchestre de Paul Mauriat, Nana Mouskouri et Anne Sylvestre en format vinyle, mais, surtout, des pans entiers de murs tapissés de pages publicitaires de vieux magazines des années 60, 70. «C’est de la créativité de n’importe quoi», nous explique Anneke.
Par leur connotation franchement machiste par endroits, ces publicités montrent comment la perception de la femme a évolué au sein de la société depuis lors. Une volonté d’Anneke? «Je ne suis pas vraiment féministe. J’aime la femme. Mon féminisme, c’est plutôt au quotidien, sans agressivité, qu’on n’oublie pas la féminité. Dans beaucoup de combats féministes, la féminité est un peu rangée au placard et ça me plaît moins.»
Et le social là-dedans? «Je n’ai jamais conçu de travailler sans m’amuser. Donc je joue au bistrot. Et forcément, oui, il y a une dimension sociale dans la pratique. Avec le temps, j’ai quand même appris à fixer mes limites. Moi, j’essaie d’apporter le côté positif.» Car oui, pour Anneke, le café, c’est l’endroit où l’on se réchauffe la tête, l’esprit, et le cœur. Où l’on vient déposer et glaner ce qu’on ne peut déposer ou glaner ailleurs.
En parlant de glaner, c’est l’heure d’aller tâter le terrain du futur politique de notre royaume (et au-delà) auprès du public présent.
Dans sa boule de cristal, notre premier sondé voit un clivage Nord-Sud et un clivage gauche-droite qui s’amplifient. Quand nous abordons les idées, il devient amer: «Actuellement, tu as tous les grands dirigeants politiques qui recueillent ce qu’ils lisent dans la presse et qui en font des slogans de campagne. Parce qu’on est à deux semaines des élections. Plein de gens disent des choses intéressantes sur le climat, sur les inégalités sociales, sur l’accueil des migrants. Les hommes politiques les écoutent, piochent à droite à gauche et bricolent un truc. Ça ne va pas.»
Pour les votes à venir, il va encore cogiter et s’informer. Néanmoins: «Mon vote est déjà fait en toute âme et conscience.»
Et le résultat alors? «Un beau bordel à la belge. Une majorité bricolée à la 6-4-2 pour contenter les uns sans froisser les autres, qui tiendra le temps qu’elle tiendra. C’est ça qui est chouette en Belgique aussi, c’est qu’on ne sait pas à quoi s’attendre.»
L’homme semble désabusé mais, selon lui, maintenir le vote obligatoire est essentiel. «Regarde en France ce qui se passe. Après les gens qui ne vont pas voter, c’est les plus nombreux à gueuler.» Pour clôturer notre entretien, il se fend d’un véritable cri du cœur: «J’espère que le MR va se prendre une bonne branlée comme aux dernières communales.»
Le souhait de notre deuxième cliente pour la Belgique est limpide: «Un gouvernement sans N-VA ni extrême droite. J’aimerais avoir un équilibre où l’on écoute les humains, le climat, le cœur des hommes.» Elle n’y va pas de main morte: «Francken et Jambon, c’est Goebbels et Goering pour moi. Pour l’avoir vécu au parc Maximilien, pour avoir accueilli des Soudanais et avoir été dénoncée pour ça, pour les considérer responsables de la situation en centres fermés, je peux te dire que ces gens-là, je ne suis pas pour la violence, mais si je pouvais leur faire ressentir ce que c’est…»
Sa conclusion: «En tant que citoyen, tu dois voter en étant conscient de ce que les partis prônent. Il faut voter stratégique, alors que j’ai envie de voter avec le cœur.»
Monsieur D., lui, est catégorique: «On prend les mêmes et on recommence. Ils sont tous là1, mais c’est une campagne qui n’en est pas une. Une fois élus, ils n’en ont plus rien à foutre de rien ni de personne. Ce sera la même soupe: priorité aux nantis et les pauvres n’ont qu’à crever.»
D. ne vote pas, car c’est obligatoire. «Si t’es obligé, tu ne le fais pas forcément en âme et conscience. Tu le fais parce que ça t’emmerde, parce que t’en as rien à cirer, parce que la fin du mois prochain sera aussi difficile que la fin du mois précédent.»
Selon lui, le système en place ne va pas améliorer la condition des gens. La faute à tout le monde finalement: «Les électeurs sont aussi coupables que les candidats. Ils votent sans savoir pour qui ils votent ou pour quoi ils votent. Ou alors, c’est un vote de mécontentement. On a voté à gauche et ça ne marche pas, donc on va voter à droite.»
«C’est un piège à cons, un nid de pigeons, y a pas de solution.» Poésie quand tu nous tiens.
«Je n’aime pas la démocratie, c’est le moins mauvais des systèmes. C’est un peu comme le socialisme premier, tant que le pékin moyen ne vivra pas décemment, la démocratie elle ne sert à rien.»
Pour l’Europe, c’est pareil. «Au départ, c’est la libre circulation des biens et des personnes mais l’Europe sociale n’existe toujours pas. Y a de grands débats comme ce midi à la radio, avec Chastel ou autre. Celui-là, c’est le plus grand fabricant de pauvres que le MR peut imaginer, il est magnifique. C’est un Snuleke bol de première, il ne fait même pas lui-même son nœud de cravate, faut pas déconner.»
Nous poursuivons notre investigation au bar, avec un monsieur à la fois pessimiste et indulgent envers les politiques: «La situation sociale en Belgique, ça ne sent pas bon. Il y a un décalage entre ce que les politiques racontent et la réalité qui les dépasse.» Le problème en Belgique, c’est une question de coalition. «Le côté communautaire et régional, ça permet des choses bénéfiques et l’inverse.» Le manque de logements, le niveau catastrophique de l’enseignement, les gens qui travaillent et qui ont des difficultés à vivre, ce n’est pas nouveau. «Comment tu veux rattraper ça en une législature?» Mais «on serait à leur place, on ne saurait pas comment faire. C’est facile de rejeter la faute sur eux».
Après avoir épinglé le décalage entre les politiques et celles et ceux qu’ils représentent – «ils ne viennent pas de la grande précarité» –, le matraquage et le culte de la personnalité, M. nous invite à lire La guérison du monde, de Frédéric Lenoir, et cite Gandhi: «Soyez le changement que vous voulez voir dans ce monde.» C’est bien noté.
- Au moment de la discussion, les candidats régionaux du PS s’affichent dans le café d’en face.