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En marge de ses indices de pauvreté, Farciennes bouge

Petite entité wallonne du bassin de Charleroi, Farciennes porte encore les traces de son passé minier. Malgré de multiples investissements ces vingt dernières années, la commune reste l’une des plus précarisées du pays.

Marie-Flore Pirmez 03-02-2025 Alter Échos n° 521
(c) Marie-Flore Pirmez

Un paysage de terrils défile dans le train en provenance de Charleroi-Sud. Trois arrêts nous séparent de notre destination: Couillet, Châtelet, Le Campinaire, pour finalement poser le pied à Farciennes. Inaugurée en mai dernier, la gare farciennoise sent encore le neuf. Trois ans de rénovations, 5,5 millions d’euros cofinancés par le Fonds européen de développement régional (FEDER), la Wallonie et la commune.

Cette nouvelle gare s’ajoute aux nombreuses rénovations urbaines subsidiées ces dernières années sur le territoire farciennois: la modernisation de la rue Joseph Bolle et de la Grand-Place, l’installation de caméras de surveillance, la construction à venir d’un écoquartier, le développement de l’application mobile «BE6240» (un TripAdvisor local) et de plusieurs parcs d’activités économiques, comme le fameux Écopôle.

À terme, ce hub d’entreprises vise la création de 3.000 emplois dans le secteur du développement durable. Parmi les boîtes qui investiront cette ancienne friche industrielle de 125 hectares, Google y installera prochainement trois data centers, malgré les critiques sur sa consommation énergétique. «Google devra respecter des normes strictes», nous assure-t-on du côté de la commune. Dès 2025, le géant technologique devra entre autres garantir que 90% de l’énergie qu’il utilise est décarbonée. L’implémentation d’une centrale de panneaux photovoltaïques est prévue et devrait également aider en la matière.

Selon Statbel, le revenu moyen par habitant à Farciennes est de 14.360 euros, ce qui en fait la commune la plus pauvre de Wallonie.

Farciennes donne donc l’impression d’être dans le coup. Amélioration du cadre de vie, dynamisation du marché du travail. Les activités culturelles, formations et stages pour enfants n’ont pas l’air de manquer à proximité. D’où le slogan accrocheur de la commune: Farciennes bouge! «Ça a bien changé depuis les années 1980, lance une habitante en nous indiquant notre chemin vers l’administration communale. Il y a encore quelques années, ça pouvait être malfamé par ici.»

Si la Farciennoise ne connaît pas les statistiques exactes, elle confie être au jus de la précarité qui caractérise sa commune. Selon Statbel, le revenu moyen par habitant à Farciennes est de 14.360 euros, ce qui en fait la commune la plus pauvre de Wallonie. Le titre d’un article de la DH datant de 2006, «Farciennes, commune la plus pauvre», s’applique donc toujours aujourd’hui. Des projets menés sur le territoire communal devaient inverser la tendance, indiquait Fabrice Minsart à la DH, à l’époque bourgmestre PS de Farciennes avant d’être inculpé pour faux et corruption en 2011. «Malgré les chiffres, je pense que les quelque 11.000 Farciennois vivent bien mieux aujourd’hui qu’il y a vingt ans, lance Benjamin Scandella, président du CPAS de Farciennes. Dans les années 1990, c’était presque ‘Chicago-sur-Sambre’. Il y avait du trafic de drogue, les bus ne passaient plus.»

Des pertes d’emplois massives qui laissent des marques

Dans le hall de la maison communale, Benjamin Scandella pointe une maquette de la tour du Roton: «On a fêté les quarante ans de la fermeture du puits du Roton cette année. Pour Farciennes, cette fermeture a vraiment marqué le début de la fin.» Le 30 septembre 1984, le dernier des charbonnages wallons ferme ses portes, après avoir mis à l’emploi des générations de travailleurs venus d’ici et d’ailleurs. «Les Italiens, les Espagnols, puis, plus tard, les Turcs et les Marocains. Du jour au lendemain, tous ces gens arrivés en Belgique se sont retrouvés au chômage», raconte ce petit-fils d’immigré italien.

«Malgré les chiffres, je pense que les quelque 11.000 Farciennois vivent bien mieux aujourd’hui qu’il y a vingt ans, lance Benjamin Scandella, président du CPAS de Farciennes. Dans les années 1990, c’était presque ‘Chicago-sur-Sambre’. Il y avait du trafic de drogue, les bus ne passaient plus.»

Le début des années 2000 marque heureusement une période de stabilisation pour l’ancienne cité minière. «On a arrêté de creuser les inégalités et on a commencé à activer des solutions pour s’en sortir», reprend Benjamin Scandella. La mise en place d’un pôle emploi sis à quelques pas de l’administration communale semble notamment avoir porté ses fruits en matière d’insertion professionnelle. «Il rassemble sous un même toit des partenaires divers: la Maison de l’emploi, notre ‘Monsieur Emploi’ – un employé communal dédié à la tâche que les Farciennois connaissent bien, l’agence locale pour l’emploi (ALE), la Mission régionale pour l’insertion et l’emploi, des permanences de la Régie des quartiers (MIREC), le CPAS… Tous ces services ont été rassemblés pour faire gagner du temps au demandeur d’emploi dans sa recherche.»

Selon l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS), en 2014, Farciennes enregistrait un taux de chômage record de 28,7%. Dix ans plus tard, le taux est redescendu à 24%, même si l’entité reste deuxième sur le triste podium des plus hauts taux de chômage de Wallonie, juste derrière Liège (24,5%). Ce qui vaut parfois à Benjamin Scandella, également échevin de l’emploi à Farciennes, le surnom d’échevin du chômage.

Rentrer dans une boucle vertueuse

Vers 2006, un tiers du parc immobilier farciennois était constitué de logements sociaux. La commune en a progressivement revendu une partie, en donnant priorité aux locataires. «Ces habitations, moins chères que le marché immobilier classique, ont permis à certains locataires d’obtenir un prêt, explique le président du CPAS, aussi échevin du logement. A priori, une fois pensionnés, ils n’auront plus de crédit à rembourser et transmettront ce bien à leurs enfants.» Permettant ainsi un potentiel enrichissement des futures générations de Farciennois.

Aujourd’hui, Farciennes reste la commune wallonne qui affiche la plus grande part de ménages vivant dans un logement public (20,41%, selon l’IWEPS). Dans une commune voisine, à Ham-sur-Heure–Nalinnes, le taux n’est que de 1,33%. «On sait que Nalinnes ne respecte pas le seuil de 10% de logements sociaux exigé par le gouvernement wallon, comme beaucoup d’autres», déplore Benjamin Scandella.

Farciennes reste la commune wallonne qui affiche la plus grande part de ménages vivant dans un logement public (20,41%, selon l’IWEPS). Dans une commune voisine, à Ham-sur-Heure–Nalinnes, le taux n’est que de 1,33%.

Le mandataire communal milite pour une répartition plus équitable de la gestion des inégalités. Un combat qu’il partage avec Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP): «Les communes à forte densité de logements sociaux attirent des ménages à faibles revenus. Elles s’appauvrissent avec moins de recettes et davantage de dépenses sociales. C’est un cercle vicieux qui participe à l’homogénéisation des ménages à conditions socio-économiques précaires.» Pour réduire les inégalités, la militante du RWLP convoite une solidarité institutionnelle entre communes. «Il faut qu’on s’attelle à un meilleur répartissement des moyens disponibles en Wallonie en dépassant les frontières communales. Il faudrait pour cela travailler par bassin, sans pour autant éradiquer l’autonomie des communes.»

Du décrochage à l’accrochage scolaire

Autre coup de sonde côté enseignement. Avec un niveau socio-économique faible, une population en marge du marché de l’emploi, qui ne maîtrise pas toujours le français, les jeunes Farciennois n’échappent pas au retard scolaire, voire au décrochage. La commune carolo prend aussi la tête de ce classement en Wallonie. Toujours selon l’IWEPS, 23,16% des élèves du secondaire sont en retard d’au moins deux ans sur l’année qu’ils devraient fréquenter selon leur âge à Farciennes.

Alors, on tente par tous les moyens de s’y attaquer, et ce, dès le plus jeune âge. De l’aide aux devoirs s’organise dans les écoles fondamentales farciennoises, tous réseaux confondus. Plusieurs structures tentent de remédier au problème. Au Centre d’éducation et de formation en alternance (CEFA) de Farciennes, Valérie Botte est accompagnatrice et référente du projet d’accrochage scolaire CEFAvenir: «Chez nous, l’accrochage scolaire passe par un projet d’insertion professionnelle solide. On organise de la remédiation, on s’attache à remettre les élèves à niveau dans les matières principales, on collabore également avec les services communaux de Farciennes, notamment avec ‘Monsieur Emploi’ qui propose aux jeunes du coaching à l’embauche.»

Au CEFA, les 15-25 ans en difficulté scolaire suivent une formation générale combinée à une formation pratique, en alternant entre un ou deux jours de cours par semaine, et trois ou quatre jours de travail en entreprise. Mais la référente CEFAvenir observe avec regret que beaucoup d’élèves débarquent désabusés. «La plupart ont pris du retard en voyageant d’une section à l’autre dans l’enseignement traditionnel, sans réellement développer d’ambitions. Le système social dans lequel ces jeunes évoluent ne leur permet pas de se projeter au-delà de la précarité. Ça les pousse à emprunter le même chemin que leurs parents sans voir l’intérêt d’ajouter des qualifications à leur parcours. On se retrouve souvent face à des ‘à quoi bon?’, en plus d’une perte de sens dans le scolaire.»

«Le système social dans lequel ces jeunes évoluent ne leur permet pas de se projeter au-delà de la précarité.»

Valérie Botte, référente du projet d’accrochage scolaire CEFAvenir

D’autres jeunes farciennois en difficulté sont redirigés vers l’un des douze services d’accrochage scolaire (SAS) déployés par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le plus proche, Sens-Sas, se trouve à Montigny-le-Tilleul. Une bonne heure en transport en commun depuis Farciennes. Jean Quériat, directeur de Sens-Sas, nous accueille sur le pas de porte d’une ancienne bâtisse investie par plusieurs associations de l’aide à la jeunesse: «Ici, on accueille des jeunes de 12 à 18 ans en situation de crise, de décrochage ou de rupture scolaire. Notre équipe d’éducateurs a pour mission d’accompagner chaque jeune dans le développement d’un projet personnel afin qu’il réintègre l’enseignement traditionnel dans les meilleures conditions possibles.»

Pour ces jeunes qui se raccrochent au wagon, non sans chahut, une fois l’étape des secondaires franchie, celle des études supérieures ne fait pas toujours partie du programme. «Personne dans ma famille n’avait fait d’études supérieures avant moi, se rappelle Benjamin Scandella. Lorsque j’ai terminé mes secondaires, j’ai décidé de tenter l’aventure. Ça n’a pas été simple pour mes parents de financer mes études, mais le plus gros souci restait que je n’avais pas de référents. Même si l’information sur les études et l’orientation s’est bien améliorée, les jeunes de la région sont encore nombreux à ne même pas considérer cette voie.» Pour le président du CPAS, rendre les parcours académiques plus accessibles géographiquement parlant pourrait créer de nouveaux champs des possibles pour les jeunes farciennois. Sur ce point, la récente ouverture de l’Université de Charleroi, officiellement le CampusUCharleroi, qui a fêté sa deuxième rentrée académique en septembre dernier, semble prometteuse, indique-t-il.

Malgré des efforts soutenus pour lutter contre les indices de pauvreté, les résultats chiffrés sont donc encore timides. Mais Benjamin Scandella le souligne: «On a beau se débattre et décrocher tous les subsides possibles à la Région, à l’Europe, vu d’où on part, il faudra des générations pour mesurer pleinement l’impact de ces mesures. Mais les statistiques l’attestent: Farciennes progresse.»

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