Comment encourager la population à retourner vivre en ville? Comment limiter les déplacements entre le domicile et le lieu de travail, qui génèrent un trafic excessif et polluant? Une des clés de réponse pourrait se trouver dans la fiscalité. Une recherche de l’Université de Liège s’intéresse à certains leviers fiscaux que la Région wallonne pourrait activer pour mieux maîtriser le développement territorial.
Quel lien entre les droits d’enregistrement, les mal nommés «frais de notaire»1, et les embouteillages aux heures de pointe? Pour la comprendre, il faut se pencher avec attention sur notre système fiscal. D’un côté, ce dernier encourage les déplacements entre le domicile et le lieu de travail, en permettant de déduire les frais de trajet, surtout ceux effectués en voiture. De l’autre, il taxe fortement le transfert de propriété à travers les droits d’enregistrement, qui sont parmi les plus élevés d’Europe. Résultat: en Wallonie, où 67% des habitants sont propriétaires de leur habitat, quelqu’un qui change d’emploi et se retrouve à habiter loin de son lieu de travail aura tendance, et même intérêt à faire les trajets plutôt qu’à déménager. «La déductibilité des frais de trajets contribue au phénomène d’exode urbain caractéristique des villes wallonnes», observe Guillaume Xhignesse, doctorant à l’Université de Liège. «Pour des raisons fiscales et de cadre de vie, les personnes aux revenus plus élevés préfèrent s’installer dans les communes en périphérie des villes, abandonnant les centres urbains à une population plus précaire. Ce comportement de passager clandestin a des conséquences financières. Ces populations travaillent en ville, y utilisent des services, mais elles payent l’impôt dans la commune de résidence.» Actuellement, la fiscalité favorise donc clairement l’usage de la voiture et l’habitat en périphérie des villes, alors même que la Région wallonne déclare vouloir une mobilité «plus réfléchie» et affirme sa volonté de lutter contre l’étalement urbain.
Un impôt incitatif
Depuis deux ans, Guillaume Xhignesse et Bruno Bianchet, du Centre de recherche sur la ville, le territoire et le milieu rural de l’Université de Liège, étudient les effets voulus et non voulus de la fiscalité sur la dynamique territoriale. Commandée sous la précédente législature, leur recherche fait partie des missions confiées à la Conférence permanente du développement territorial, une plateforme multidisciplinaire qui a pour vocation de fournir des outils d’aide à la décision au gouvernement wallon. La Région commence visiblement à s’intéresser à un autre usage de l’impôt. «Jusqu’ici, il a surtout été considéré comme un moyen de financer les pouvoirs publics», souligne Guillaume Xhignesse. Le contexte institutionnel invite à cette réflexion; depuis les deux dernières réformes de l’État, la Wallonie dispose de nouveaux leviers fiscaux qui pourraient être utilisés pour inciter certains comportements, à l’image de la France, où la fiscalité fait déjà partie de la politique d’aménagement du territoire et où il existe notamment un impôt spécial pour les projets immobiliers jugés insuffisamment denses. La Région wallonne, de son côté, pourrait par exemple favoriser davantage la mobilité résidentielle en réduisant le montant des droits d’enregistrement.
Le précompte immobilier, un impôt qui, comme le droit d’enregistrement, a été régionalisé en 2001, est également à l’étude. Actuellement, cet impôt, prélevé chez tous ceux qui détiennent un bien immobilier en propriété, est calculé sur la base du revenu cadastral. Or, si ce dernier est indexé chaque année, il est par contre totalement déconnecté de la situation actuelle. Il se réfère en effet à l’état du marché immobilier en… 1975! Une référence pour le moins obsolète mais qui n’a jamais été réactualisée, malgré l’intention initiale de le faire tous les dix ans. Cette situation génère des injustices. Prenons l’exemple d’un immeuble situé dans un quartier peu convoité à l’époque mais aujourd’hui rénové et attrayant; il peut être habité par une population au profil socio-économique favorisé qui paie un précompte immobilier modéré. Inversement, un immeuble autrefois situé dans un quartier recherché mais aujourd’hui dégradé a plus de chance d’accueillir une population aux revenus faibles, qui elle, doit s’acquitter d’un précompte élevé. De plus, les travaux effectués à l’intérieur des immeubles ne sont pas reflétés dans le revenu cadastral. Peu importe que les propriétaires aient, ou non, apporté des améliorations, par exemple au niveau de l’efficacité énergétique. Peu importe aussi qu’ils aient augmenté leurs revenus locatifs en procédant à des subdivisions non déclarées.
«Une personne qui possède une maison quatre façades dans une zone plus récemment urbanisée, en périphérie d’une ville, aura souvent un revenu cadastral assez bas, illustre également Guillaume Xhignesse. Quelqu’un qui possède un immeuble bourgeois dans un quartier dévalorisé du centre-ville peut quant à lui avoir un revenu cadastral très élevé.»La Région a aujourd’hui la possibilité de modifier la base de calcul du précompte immobilier et d’abandonner le revenu cadastral au profit d’autres critères. «Ils pourraient par exemple être liés à la localisation si l’objectif est de ramener les gens vers les villes. On peut aussi imaginer des critères énergétiques: les logements plus efficients seraient moins taxés.»
Réforme fiscale
Depuis la dernière réforme de l’État, la Région wallonne a aussi hérité d’une lourde charge qui incombait autrefois au gouvernement fédéral: le fameux «bonus logement», une déduction d’impôt qui porte sur l’habitation propre. «C’est un instrument qui a une influence très forte sur le territoire parce qu’il influence la manière dont les gens occupent leur logement: soit propriétaire, soit locataire.» L’équipe de l’ULg s’intéresse à cette dépense fiscale et aux effets qu’elle génère, jamais évalués jusqu’ici. «Plusieurs études réalisées à l’étranger montrent que cet avantage fiscal n’est pas déterminant dans l’accès à la propriété. C’est plutôt une mesure qui est capitalisée dans les prix et qui profite aux vendeurs. Les Pays-Bas ont par exemple décidé de réduire fortement les déductions des intérêts des crédits immobiliers. Dans certaines zones, les prix ont baissé de 25 à 30%.»
Alors que les effets sont incertains, le coût du bonus logement est loin d’être négligeable. Les chercheurs ont fait des prévisions: si la Région choisit de poursuivre ce système aujourd’hui à sa charge, elle devra débourser 40 millions supplémentaires chaque année pour les nouveaux crédits, et ce jusqu’en 2024, date à laquelle on atteindrait une vitesse de croisière avec une dépense totale annuelle estimée à 650 millions d’euros. Un budget deux fois plus important que celui du plan Marschall 2.vert (360 millions par an).
Fin septembre, Paul Furlan, ministre des Pouvoirs locaux, de la Ville, du Logement et de l’Énergie, a déclaré qu’il explorait des pistes pour revoir ce régime; il envisage de supprimer cet avantage qui touche indifféremment toutes les couches de la population, sans cibler particulièrement ceux qui en ont le plus besoin. Pour compenser, il parle d’abandonner le précompte immobilier. Mi-novembre, il a franchi une première étape en annonçant une modification du taux de calcul du bonus logement, revu à la baisse dès janvier 2015; la déductibilité forfaitaire passera de 45% à 40%. Paul Furlan ne cache pas son intention de poursuivre cette réforme dans un futur proche et espère aboutir à une «fiscalité familiale moderne et solidaire» d’ici à 20162. La Région a tous les outils en main pour réformer sa politique fiscale immobilière et la mettre en adéquation avec ses objectifs en matière de mobilité, d’aménagement du territoire et de logement. Reste à voir comment le ministre se saisira de tous les leviers à sa disposition.
1. En réalité, seule une petite partie de la somme constitue les honoraires du notaire; il s’agit surtout d’un impôt.
2. Le Soir du 12 novembre dernier.
En savoir plus
Centre de recherche sur la ville, le territoire et le milieu rural de l’Université de Liège — tél. : 04.366.59.28 — site : www.lepur.ulg.ac.be