En Wallonie et à Bruxelles, les loyers ne cessent d’augmenter. Pour maîtriser la flambée des prix sur le marché privé, une solution consisterait à les encadrer. Mais nos pouvoirs publics traînent la patte, alors que nos voisins allemands, français et hollandais ont déjà adopté des mesures. À quoi pourrait ressembler un tel dispositif chez nous? Quels sont les enjeux? Explications de Nicolas Bernard, spécialiste du droit du logement et professeur aux facultés universitaires Saint-Louis.
Alter Échos: Qu’entend-on exactement par encadrement des loyers? S’agit-il nécessairement de mesures prises au niveau de la fiscalité immobilière?
Nicolas Bernard: Non, pas du tout, même si c’est effectivement cette réflexion-là qui a été privilégiée jusqu’à il y a peu. Avant, les Régions n’étaient pas compétentes en matière de baux, d’où l’idée de travailler sur un levier qui était alors à leur portée: le précompte immobilier. Il s’agissait d’un mécanisme un peu savant de ristourne pour le bailleur qui se conformerait à un loyer de référence. Pour diverses raisons, ce système n’a jamais vu le jour. Mais il ne faut pas trop s’appesantir sur cet échec puisque, avec la Réforme de l’État, le bail est devenu une compétence régionale depuis le 1er juillet de cette année.
A.É.: Qu’est-ce que cela change?
N.B.: Chacune des trois Régions doit à présent adopter une réglementation pour l’ensemble de la matière location, y compris un éventuel encadrement des loyers. Cela signifie qu’il n’est plus nécessaire de chipoter avec des incitants fiscaux. Il suffirait de mettre dans la loi sur le bail, qui est impérative, que les loyers ne peuvent pas dépasser tel pourcentage d’une grille de référence. Le gain en simplicité serait phénoménal. Par contre, la discussion politique s’annonce ardue puisqu’il s’agirait d’un instrument de type coercitif. Or, les débats politiques étaient déjà très vifs quand on ne parlait que de mesures incitatives.
A.É.: L’établissement d’une grille de référence des loyers est-il un préalable indispensable à toute mesure d’encadrement des loyers
N.B.: Qui dit encadrement dit qu’on fixe des limites. Et ces plafonds ne peuvent être définis arbitrairement. Le sujet est tellement sensible qu’on ne peut pas imposer des seuils maximaux sans les avoir éprouvés scientifiquement. Pour moi, ces seuils doivent refléter les valeurs moyennes du marché locatif d’aujourd’hui et pas les valeurs du passé. Même s’il y a eu de fortes augmentations les années précédentes, on ne peut pas revenir dessus. Il faut surtout empêcher qu’il y ait une flambée des prix actuels.
A.É.: Vous êtes partisan de la mise en place de commissions paritaires pour réguler les loyers, ce qui serait une manière de ne pas opter pour la voie coercitive.
N.B.: Concrètement, la fixation du loyer resterait libre mais une fois dans les lieux, le locataire disposerait de quelques mois pour contester devant cette instance paritaire le caractère conforme du loyer par rapport à la grille. Des expériences le montrent: dès que le propriétaire et le bailleur se mettent ensemble pour réfléchir à l’adéquation du loyer par rapport aux tarifs du marché, ils parviennent à s’entendre parce qu’ils ont des intérêts communs. Le propriétaire a intérêt à avoir un locataire aussi pérenne que possible et, généralement, le locataire désire rester dans son logement. Pour moi, cela désamorce les critiques de ceux qui disent que l’encadrement des loyers ne peut mener qu’à un système bureaucratique lourd et arbitraire.
A.É.: Que répondez-vous à ceux qui craignent qu’encadrer les loyers pénalise les petits propriétaires?
N.B.: Dans la grille indicative de loyers, il y a toute une série d’éléments qui répercutent la qualité du bien. Les améliorations apportées au logement par les bailleurs peuvent être valorisées. On peut certes chipoter sur la grille, mais, sur le principe, il est tout à fait possible pour le propriétaire de récupérer sa mise. Ce n’est dans l’intérêt de personne que le parc locatif tombe en désuétude. Les commissions paritaires permettraient aussi d’entendre certains arguments des propriétaires et d’intégrer éventuellement d’autres éléments dans le calcul du loyer.
A.É.: Les pouvoirs publics n’ont pas l’air de vouloir beaucoup avancer.
N.B.: Les nouvelles majorités se montrent plus en retrait que sous la précédente législature. Il y avait alors un volontarisme qui, à Bruxelles, a notamment débouché sur la création d’une grille de loyers de référence. Je ne vais pas dire que le plus gros du travail est fait, mais en tout cas le socle scientifique et méthodologique est acquis. Avec tout le travail de défrichage qui a été fait, je ne comprends pas pourquoi rien n’est tenté. Il faut sortir des débats corporatistes et ouvrir les yeux. L’encadrement des loyers n’a rien d’exceptionnel, c’est l’absence totale de régulation qui l’est. L’Allemagne, la France, la Hollande ont pris des mesures. La Belgique fait vraiment figure d’exception. Est-il acceptable, à l’heure où l’on entend défendre le pouvoir d’achat des ménages, que le premier poste du budget d’un locataire soit exempt d’une quelconque régulation?
À Bruxelles, le loyer moyen s’élève à 695 euros, en Wallonie à 417 euros. Des chiffres à mettre en perspective pour comprendre la situation critique dans laquelle se trouvent nombre de locataires. À Bruxelles, le revenu net imposable moyen plafonne à 1.050 euros par mois et un Bruxellois sur trois ne bénéficie que d’un revenu de remplacement (chômage, CPAS… ), si bien que la part du budget affectée au loyer peut facilement atteindre les deux tiers des revenus d’un ménage. Dans les deux Régions, les loyers augmentent de manière continue et beaucoup plus rapidement que les revenus. «La crainte de l’expulsion conduit de nombreux ménages à payer le loyer en priorité, si bien qu’ils opèrent des coupes dans d’autres budgets, la santé par exemple», explique Nicolas Bernard qui rappelle que le problème des loyers engendre souvent «un cercle vicieux de la précarité». Bruxelles est davantage touché par le phénomène parce qu’elle compte une proportion beaucoup plus forte de locataires: 59%, contre 32% en Wallonie et 27% en Flandre.
Mais elles se montrent timides sur ces questions. Côté bruxellois, le gouvernement s’est engagé à mettre en place «une allocation loyer qui ne sera pas uniquement limitée aux personnes démunies». Pour le Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBDH), «cette nouvelle allocation aidera des locataires mais elle n’est pas la réponse adéquate à la hausse des loyers privés. Pour l’encadrement des loyers, c’est encore raté!» Le RBDH dénonce en outre une multiplication des systèmes d’aide qui rendent la politique illisible: «Il y aura bientôt cinq types d’allocations différentes.» Bruxelles annonce l’entrée en vigueur de cette allocation pour début 2016 et indique aussi que des grilles de référence de loyers contrôlées par un opérateur public seront mises à la disposition des locataires «à titre informatif». En Wallonie, on a décidé d’opter pour des grilles indicatives de référence et de mobiliser des instruments incitatifs vis-à-vis des bailleurs. La Région pense notamment à un conditionnement des aides publiques (rénovation, isolation) au respect de ces grilles de référence. Le Centre d’études en habitat durable mène actuellement une enquête dans les arrondissements de Charleroi et dans le Brabant wallon afin d’évaluer les niveaux de loyers. Cette expérience pilote vise à jeter les premières bases d’un observatoire wallon des loyers.
Aller plus loin
Alter Échos n°362 du 14.08.2013 : Une course contre des loyers trop chers