La « fugue encadrée »… Un dispositif existant ? Un concept théorique en voie de mise en pratique ? Comment imagine-t-on encadrer la fuite, la rupture ? Est-ilpossible d’accompagner sans dénoncer ?
La « fugue encadrée » était récemment mentionnée dans les recommandations de la recherche « Jeunes prostitué(e)s et réponses sociales» (voirAÉchos n°229). Les auteurs y voient une forme de réponses – parmi d’autres – au « problème récurrent » du « manque de place etde l’inadéquation des placements dans les services de l’aide à la jeunesse ». « Une collaboration entre les associations et les SAJ (services d’aideà la jeunesse) pourrait être envisagée, notamment en ce qui concerne les fugues, précise le document de synthèse. Il faudrait pouvoir négocier avec les SAJsans devoir dénoncer la fugue, mais cela pose le problème de la loi de protection de la jeunesse. Il serait intéressant d’approfondir l’idée de » fugueencadrée » : laisser faire le jeune et maintenir le lien avec lui. »
Assurer une présence
Dans son travail de rue sur le terrain de la prostitution, Michèle Villain de l’asbl Icar1, dessine les prémisses de ce type d’accompagnement. Elle rencontreparfois des mineurs d’âge. Elle s’attelle alors surtout à maintenir le contact avec eux – savoir où ils sont, qu’ils sont en vie et savoir où les trouveren journée.
Elle interviendra à leur demande. « La demande d’aide est toujours la même pour ces jeunes dont 90 % , estime-t-elle, viennent d’institutions : quand ils en ont marrede la fugue, ils souhaitent renégocier avec le juge en charge de leur dossier. » Mais la demande d’aide prend parfois du temps à se formuler. Et la travailleuse de dire sadifficulté face à la déglingue que l’un ou l’autre peuvent vivre.
Comme nombre de ses collègues, aussi hors des frontières belges, et conformément à leur conception du travail de rue, elle a pris pour optique de ne pas dénoncerla situation de fugue. Elle essaiera qu’au moins un contact soit pris avec l’institution d’hébergement du jeune, et encore plus avec la famille, si le jeune a fugué dumilieu familial, afin de les rassurer. « Il est arrivé que des mineurs vivent tellement mal leur fugue, qu’ils acceptent qu’on les reconduise », ajoute MichèleVillain, avec joie. Il lui arrive aussi d’accompagner le jeune dans ses démarches auprès du juge, ou du SAJ. La « renégociation » peut mener à une miseen autonomie dont le mandat d’accompagnement est parfois confié à Icar. Paiement du loyer, gestion de l’argent de poche… et surtout rencontres trèsrégulières avec le jeune en sont les composantes. « Des visites chez lui, pour ne pas qu’il soit en contact avec un public qui pourrait l’entraîner plus loin.»
En écoutant Michèle Villain, on comprend que l’attitude à adopter relève d’un juste dosage. Rien ne sert d’entrer dans un discours moralisateur, ni derenforcer le positionnement du jeune, de le féliciter. Il ne s’agit pas de cautionner, plutôt de ne pas juger et d’amener à certaines prises de conscience, notammentsur les aspects destructeurs de la prostitution.
De l’hébergement
La prostitution n’est bien entendu pas toujours au rendez-vous pour les jeunes en fugue. Les jeunes accueillis par Abaka (voir AÉducn° 85), centre de crise et d’accompagnement non mandaté pour adolescent(e)s2, le confirment. Des jeunes en rupture de lien, précise Guillermo Rubio, psychologuede ce service de l’aide à la jeunesse. En fugue, ou mis dehors, abandonnés parfois par les institutions. Des jeunes adressés à Abaka, par le SAJ, par un centrepsycho-médico-social, par la police… et pour lesquels Abaka propose avant tout un moment d’apaisement, pour se sentir rassuré, être hors de danger, puis entamer untravail de réflexion. Dans un laps de temps, cependant assez court (7 jours, renouvelables une fois). Des jeunes qui pour une grande majorité ont environ 17 ans. Une périodecharnière quand on sait qu’à partir de 18 ans « tout le réseau social disparaît, que les interlocuteurs changent ».
Ce type de structure d’hébergement, Icar aimerait la développer à Liège.
1. Asbl Icar-Wallonie, place Xavier Neujean, 36 à 4000 Liège – tél. : 04 223 18 26.
2. Abaka, rue Goffart, 105 à 1050 Bruxelles – tél. : 02 640 07 11.