Paris complète depuis le 1er août la liste des capitales européennes qui ont opté pour un encadrement des loyers. À Bruxelles, la mesure revient régulièrement sur la table, tant du côté de la majorité que de l’opposition, mais a peu de chances d’aboutir. Les associations de défense des locataires la défendre depuis de nombreuses années.
Ralentir l’augmentation des loyers et faire baisser les tarifs locatifs excessifs, c’est l’objectif de la capitale française. Depuis le 1er août, l’encadrement des loyers est entré en vigueur à Paris. L’Observatoire des loyers parisiens, mis en place pour appliquer cet encadrement, estime que 20% des locataires parisiens en bénéficieront. Un tiers verra les loyers baisser de moins de 50 euros, un autre tiers entre 50 et 100 euros, et le reste de plus de 100 euros. Ce type de dispositifs existe aussi à Amsterdam, Berlin, Stockholm ou encore Luxembourg.
Et à Bruxelles ? Le sujet est à nouveau sous le feu des projecteurs suite à la proposition d’ordonnance déposée par le PTB il y a quelques jours. Les députés bruxellois Mathilde El Bakri, Claire Geraets, Michaël Verbauwhede et Youssef Handichi se sont inspirés de Vienne. « Un encadrement des loyers est une première étape qui donnera une petite bulle d’oxygène aux Bruxellois. Mais parallèlement, la création de logements sociaux de qualité est principale pour baisser les prix des loyers. Une ville comme Vienne (40 % de logements sociaux) nous prouve qu’un pourcentage élevé de logements sociaux influence à la baisse l’ensemble des prix du marché immobilier, y compris le marché acquisition », souligne le parti.
Les députés bruxellois d’Ecolo-Groen, Alain Maron, Arnaud Verstraete et Christos Doulkeridis ont déposé une proposition d’ordonnance dans le même sens afin de « mieux réguler les loyers et à stopper les augmentations, mais aussi à cibler les situations d’abus, ainsi qu’à promouvoir les investissements pour améliorer les logements ». Le parti propose de mettre en place des commissions paritaires propriétaires-locataires pour régler les litiges et d’utiliser des grilles indicatives de loyers, qui existent déjà à Bruxelles.
Dans la majorité, le sujet préoccupe aussi. En août dernier, l’échevin bruxellois et député socialiste Mohamed Ouriaghli, surfant sur l’initiative parisienne, plaidait pour l’adoption du mécanisme d’encadrement des loyers à Bruxelles, afin, déclarait-il, de « diminuer le coût du logement pour le locataire dont le loyer paraît abusif eu égard à des grilles de référence, tant pour les locations nues que pour les meublées », mais aussi « de mettre fin aux marchands de sommeil qui prospèrent sur la misère de ceux qui n’ont pas d’autres choix, en profitant de la dégradation des conditions d’accès au logement et en extorquant des loyers indécents ». Ce lundi, il annonçait qu’une proposition d’ordonnance serait bientôt débattue avec les autres partenaires de la majorité.
Les loyers bruxellois en hausse constante
Cette mesure est depuis longtemps proposée par les associations de défense des locataires, en vue de répondre à la crise du logement à Bruxelles. « Le logement est un besoin fondamental et pourtant les loyers ne cessent d’augmenter à Bruxelles », déplore Ilham Bensaïd du Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat, regroupement bilingue d’une cinquantaine d’associations qui, chacune sur leur terrain, défendent le droit à l’habitat et œuvrent pour un accès à un logement de qualité à prix abordable. Si un état des lieux précis du mal-logement à Bruxelles fait défaut, comme le rappelait le RBDH dans une étude parue fin mars 2015 [1], quelques chiffres suffisent à traduire la disproportion entre les loyers et la capacité contributive des locataires. Selon le rapport de l’Observatoire des loyers 2013, « entre 2004 et 2013, le loyer actualisé (c’est-à- dire en tenant déjà compte de l’inflation) a, en moyenne, augmenté de 2% par an ». Si bien que « depuis 2004, on assiste à une croissance des loyers qui est en moyenne supérieure à l’indice santé ». Et le rapport de souligner : « Cette augmentation continuelle renforce le constat posé déjà depuis de nombreuses années : on assiste à un décrochage de plus en plus marqué entre revenus des locataires et loyers demandés. Ainsi, en 2013, il fallait bénéficier de 2000 euros par mois pour que la part du loyer dans le budget du ménage soit inférieure à 30% et la part du loyer pour ceux qui n’ont que 1500 euros de revenus disponibles par mois était de 60% ». Le même constat est fait dans le Rapport bruxellois de la pauvreté 2014 : « En supposant que le loyer maximum accessible pour le ménage ne peut dépasser 25% de son budget, 60% de la population bruxelloise, n’a accès qu’à 10% du parc locatif en 2013, contre 17% en 2008 ». Selon ce même rapport, les allocataires sociaux consacrent jusqu’à deux tiers de leurs revenus à leur loyer. À cela s’ajoute une « fiscalité immobilière toujours favorable aux propriétaires », déplore Ilham Bensaïd, porte-parole du RBDH, « le revenu cadastral, qui permet de déterminer le montant du précompte immobilier, autrement dit ce qui détermine la valeur locative d’un bien, n’a pas été revu depuis 1975. Il est donc bien en deçà de la valeur réelle du bien».
Une grille de référence
Pour enrayer ce fléau, les associations de défense des locataires plaident depuis longtemps pour un encadrement des loyers. D’autant que chaque Région, depuis la 6e réforme de l’État, est désormais libre de modifier la loi sur le bail. « Le gouvernement bruxellois, sous la précédente législature, s’était déjà attaqué à cette problématique du logement, en proposant un encadrement des loyers », rappelle Nicolas Bernard, spécialiste du droit du logement et professeur de droit à l’Université Saint-Louis. Le projet avait avorté, faute de moyens suffisants. Toutefois, une grille de référence des loyers a vu le jour. Mais, précise-t-il, «le gouvernement ne s’est toujours pas entendu sur son utilisation». Du côté du RBDH, on juge qu’elle n’est pas assez représentative. «La grille de référence se base sur les loyers actuels, très élevés, ce qui la rend inutilisable. Nous avons besoin d’une grille avec des plafonds inférieurs aux loyers actuels. De plus, elle n’intègre pas des éléments qualitatifs comme la performance énergétique. Or, c’est fondamental quand on sait que certains locataires vivent dans des passoires énergétiques», analyse sa porte-parole.
Mais il n’y a pas que l’argument financier qui freine le gouvernement à adopter l’encadrement des loyers. « Le blocage est aussi culturel, analyse Nicolas Bernard. Le Belge a une brique dans le ventre et la propriété reste l’axe majeur des politiques de logement. Il existe peu de soutien à la location». Le spécialiste, «étonné par la sortie du député socialiste», ne se fait pas d’illusions : « On ne doit rien attendre de ce gouvernement-ci. L’encadrement des loyers n’est pas la priorité ». D’ailleurs, la mesure ne figure pas dans l’accord de gouvernement.
Allocation-loyer ?
En revanche, une autre mesure pourrait sortir de terre prochainement : l’allocation- loyer pour aider les plus précarisés. Son montant couvrirait la différence entre le loyer et 1/3 des revenus du ménage. C’est en tout cas l’une des pistes étudiées par le cabinet de la ministre bruxelloise du Logement, Céline Frémault (CDH). Cette option est défendue par le syndicat des propriétaires, par ailleurs fermement opposé à l’encadrement des loyers. Pour le spécialiste du droit au logement, le mécanisme est insuffisant à deux niveaux. « D’une part, il est réservé à des personnes devant réunir de nombreuses conditions, comme celle de figurer sur une liste d’attente de logement social. De plus, elles doivent en faire la demande et la procédure est complexe », mais surtout, et il insiste, « on ne pourra pas faire l’économie d’un encadrement des loyers en adoptant l’allocation-loyer ». En effet, sans loyer de référence, le bailleur sera encore libre de fixer le prix qu’il désire. Pour les associations, une piste serait aussi le développement de commissions paritaires de régulation des loyers, moins coercitives que l’encadrement des loyers. Il s’agit d’organes de recours composés des représentants des locataires et des prioritaires. Ceux qui se sentent lésés, d’une partie comme de l’autre, peuvent y faire appel. « Les décisions qui s’y prennent devraient être contraignantes », avance le RBDH. Des expériences pilotes ont déjà été menées à Gand et à Charleroi. « Il faut de toute façon une politique d’extension de l’offre de logement à caractère social » rappelle aussi Nicolas Bernard. Un vrai problème : aujourd’hui à Bruxelles, la demande de logements sociaux augmente tandis que la production stagne : il y a plus de 44 000 candidats locataires sur les listes d’attente du logement social.
Face à cette réalité, l’Observatoire des loyers rappelle que cette action doit être complétée par « un engagement de moyens publics afin de soutenir financièrement les ménages aux revenus modestes qui doivent se loger dans le parc locatif privé ». Le RBDH rappelle aussi la responsabilité des propriétaires. « Leur argument de base est qu’il n’incombe pas aux bailleurs de collaborer à une politique sociale du logement. Il faut en effet, des politiques publiques efficaces, l’autorité doit agir et réguler le marché privé. Mais ils ont aussi à respecter des conditions minimales pour proposer des logements dignes », souligne Ilham Bensaïd.
Cet article a été publié dans la Revue Politique n°91, septembre-octobre 2015, pour la rubrique Altersocialclub réalisée avec le concours de la revue Alter Échos et de l’Agence Alter. Actualisé le 27 octobre 2015.
[1] Anne Bauwelinckx et Carole Dumont, « Bruxelles ignore tout de “ses” locataires… Et surtout des plus pauvres », RBDH, jan–fév– mars 2015