Pour la première fois, le «Baromètre de la précarité énergétique» vient d’être publié sur base des travaux réalisés par l’Universiteit Antwerpen et l’Université libre de Bruxelles. Des conclusions tout sauf surprenantes pour un outil de mise en perspective.
Décembre 2015, avec la chute du mercure nous arrive en Belgique le «Baromètre de la précarité énergétique». Ce premier opus qui deviendra un rendez-vous régulier pour comprendre le couple pauvreté/énergie porte sur la période 2009-2013.
Les conclusions ne sont guère surprenantes: en 2013, environ 14% des ménages belges consacraient une part trop importante de leur revenu disponible aux dépenses énergétiques (précarité énergétique mesurée). L’«excès» de dépenses tournait autour de 61 euros par mois.
Au premier rang des démunis énergétiques: les locataires, les familles monoparentales, les isolés et les ménages comportant un seul senior. Pour le scoop, on repassera.
Sophie Meyer, chercheuse de l’ULB et auteure de l’étude, évoque tout de même sa surprise face à l’ampleur du phénomène: «le taux global des personnes touchées rassemble presque un cinquième de la population. Et autre constat: les locataires sociaux ne sont en rien prémunis de la précarité énergétique par des loyers très bas.»
Le prix de l’étalement
Toujours au rang des constats: la Région wallonne culmine au top de la précarité énergétique mesurée avec 19,1% de sa population (contre 15,5% en Région bruxelloise et 10,5% en Région flamande). Si Bruxelles constitue une région plus pauvre, la faiblesse de revenus de ses habitants est compensée par la typologie des logements (en gros, les appartements). En Wallonie, les maisons détachées impliquent une surface plus importante et une isolation plus coûteuse à entretenir. La villa quatre façades et l’étalement urbain ont un coût pour les ménages. Lueur d’espoir pour l’habitant wallon tout de même: en quatre ans, leur nombre en précarité énergétique mesurée diminue légèrement, à l’inverse des ménages bruxellois. Le résultat d’une action publique volontariste?
Ce «Baromètre» permettra-t-il d’évaluer le succès ou l’échec des politiques de logement en matière d’isolation du bâti? «Les données traitées dans le baromètre le sont de manière globale et peu détaillée, explique Sophie Meyer. Nous n’avons par exemple pas de lien direct avec une politique de tarification sociale de l’énergie ou avec la qualité globale du logement. Je resterai assez prudente à ce niveau.»
L’intérêt du baromètre serait plutôt dans sa récurrence et dans l’analyse des causalités et conséquences. «Il permet d’identifier les vulnérabilités, un recoupement avec les risques de pauvreté. C’est un outil d’analyse et de mise en perspective.»
L’outil sera-t-il utile à l’ensemble des acteurs de la Plateforme de lutte contre la précarité énergétique qui publie ce baromètre? Elle rassemble entre autres les producteurs, fournisseurs et gestionnaires de réseaux, des organisations représentatives et associations de la société civile, des CPAS et les unions de villes et de communes, des représentants des consommateurs, des propriétaires, des locataires et des experts du monde académique. Et tout ce monde a l’énième confirmation de ce qui est déjà connu: en matière de logement et d’énergie, ce sont encore et toujours les plus démunis qui trinquent.
Une précarité cachée ?
Dans ce baromètre, trois types de précarités sont identifiées:
- la précarité énergétique mesurée s’attache à mettre en lumière la situation de certains ménages qui consacrent une part jugée trop importante de leurs revenus aux dépenses énergétiques;
- la précarité énergétique cachée identifie les ménages dont les dépenses énergétiques sont jugées «anormalement» basses par rapport à leurs revenus disponibles;
- la précarité énergétique ressentie, plus subjective, montre le nombre de ménages qui perçoivent des problèmes entre leurs factures d’énergie et leurs moyens financiers.
Question méthodologie, le concept de «précarité cachée» pose question. Si une personne à revenu modeste vit dans un logement très bien isolé, sa faible consommation ne sera-t-elle pas perçue à tort comme une incapacité à se chauffer?
Pour éviter ce piège, «on a éliminé autant que possible les revenus les plus élevés et les logements pour lesquels nous avions l’indication d’une excellente isolation» explique Sophie Meyer, chercheuse de l’ULB et auteure de l’étude. Une source du travail est constitué par l’enquête annuelle EU-SILC sur les conditions de vie des ménages (avec un échantillon «belge» de plus de 6.000 ménages), questionnaire au sein duquel des questions sur l’isolation du logement sont reprises depuis 2011.
Aller plus loin
«Un plan wallon musclé pour brider l’effort énergétique des plus démunis», Alter Échos n°412, novembre 2015, Martine Vandemeulebroucke.
«Compteurs intelligents: la Belgique avance avec prudence», Alter Échos n°371-372 , décembre 2013, Amélie Mouton.
«Précarité énergétique: réduire la f(r)acture?», Alter Échos n°371-372, décembre 2013 (numéro spécial)